11 : Destination surprise
Elle avait passé deux jours entiers à faire des recherches, et en cette journée de réveillon, elle avait besoin de prendre l'air.
Riley avait prévu en amont l'affluence dans les boutiques, ce qui lui permettait de ne pas devoir faire la corvée de courses ce jour-là. Elle tentait également à tout prix d'éviter le centre-ville, qui était tellement bondé qu'aux abords de son entrée, il était déjà difficile de se déplacer. Elle n'irait donc pas au club, et, au vu de la date, elle était persuadée que Ryan avait fermé pour cause de fêtes en famille ou quelque chose du genre.
Après s'être emmitouflée convenablement, Riley se rendit donc au parc, seul endroit encore dépollué de tout rassemblement humain de masse. Elle avait sortit une de ses dernières Lucky Strike, pourtant, elle ne l'alluma pas. Comme si la conversation métaphorique d'Evan lui avait suffit pour se désintoxiquer de la cigarette.
Elle doutait encore, cependant elle s'était résolue à le faire. L'échange avec l'inconnue deux jours plus tôt lui avait enfin permis de comprendre ce qu'elle n'a jamais su expliquer, et dorénavant, elle ressentait l'irrésistible besoin d'affronter l'un de ses sept harceleurs. Néanmoins, Riley se demandait comment se passerait la «rencontre», et qu'est-ce qu'elle trouverait à lui dire pour qu'il réalise la souffrance qu'il lui a causé.
En marchant, elle se retrouva bien vite au bout du parc, en face du pont. Ce pont. Là où tout avait commencé. Ou plutôt, là où tout aurait dû finir. Tout dépendait du point de vue. Elle prit ses précautions avant de traverser et finit par s'accouder au pont. Elle soupira, les souvenirs remontant à la surface.
Ma vie aurait prit fin le 8 décembre s'il ne m'avait pas empêchée de sauter. Parfois, elle se questionnait encore sur ce moment précis : était-ce une bonne chose que d'avoir pris la décision de continuer, alors qu'elle perdait chaque jour un peu plus espoir d'un avenir plus sain pour elle ? Envahie de tous ces démons qui lui rappelait à quel point la douleur était intense et que rien ne pourrait la faire disparaître, avait-elle seulement le droit à cette existence ?
Riley avait encore du mal à saisir l'action d'Evan, quand bien même il lui avait expliqué. Pourquoi certaines personnes, de parfaits inconnus, prendraient le temps de venir à ton secours alors qu'elles ne savent rien de toi ? Et si la situation avait été inverse, aurais-je seulement eu le courage de le faire ? Elle qui avait toujours pensé que l'être humain n'était que manipulation, individualiste et cruel, ce geste lui démontrait que, peut-être, une poignée d'entre eux cachaient une bonté d'âme de plus en plus rare.
– Dois-je encore te rattraper ou faudra-t-il que je te laisse faire ?
La voix derrière elle, bien trop calme pour quelqu'un qui masquait de la crainte, la fit se retourner. Riley aurait répondu immédiatement si elle n'avait pas remarqué les yeux humides d'Evan, traduisant son inquiétude. Ou le froid ?
– Ne t'en fais pas, finit-elle par répondre pour le rassurer. Une fois m'a suffit.
– Pourtant, cela ne me surprendrait pas que ça te traverse à nouveau l'esprit. Il arrive que des gens vraiment mal dans leur peau atteignent l'extremis plusieurs fois.
– Je ne suis pas de ce genre-là, Evan. Je pense... que j'ai passé un cap.
Elle s'écarta, avant de se retourner et de poser son dos contre la rambarde.
– Pourquoi vouloir s'ôter la vie une deuxième fois quand on t'a déjà sauvé la première ? On t'offre la chance de pouvoir réaliser que la vie vaut la peine d'être vécue, à quoi cela servirait de la gâcher à nouveau ?
Evan baissa la tête, avant de sourire tout en exprimant un léger son.
– Je dépeins déjà sur toi on dirait. Depuis quand tu sors des phrases philosophiques ?
– Je vais arrêter de traîner avec toi dans ce cas, renchérit-elle non sans une pointe d'espièglerie.
– Impossible, on ne peut pas se passer de moi, répliqua Evan.
– Oh, tu crois ça ?
Le jeune homme lui donna un léger de coup de coude amical qui la déstabilisa aussitôt. Riley n'en était pas du tout à ce stade, et le moindre contact la crispait. Evan s'en rendit compte et s'excusa.
– Ça va... c'est juste que...
– Je n'aurais pas dû.
Un silence bien trop plat et pesant accentua le malaise. Une légère brise vint souffler sur le visage des deux jeunes adultes, et le jeune homme finit par soupirer, révélant la raison de sa présence.
– Dis, tu sais que ce soir c'est le réveillon de Noël.
– Oui, et ?
– Et bien...
Il se passa une main dans les cheveux. Décidément, Riley allait réellement finir par croire qu'il s'agissait d'un tic.
– On a prévu une soirée avec des amis à moi, je me suis dit que ce serait cool que tu puisses venir. Ça pourrait te permettre de faire des choses que... enfin... c'est seulement si tu veux.
Sérieux, il m'invite ? Chez lui ? Ses amis sont d'accord ? Riley était si surprise qu'elle ne pouvait couvrir sa gêne. Jamais personne ne l'avait invité pour quoi que ce soit. Mais cela ne faisait que quelques semaines qu'ils se connaissaient, et puis, elle n'osa pas lui dire qu'elle détestait les fêtes de fin d'année. De plus, elle avait prévu de partir dans quelques jours... ce n'était pas du tout dans ses plans.
– Ecoute, c'est vraiment gentil de ta part, et honnêtement, je crois comprendre ton geste. Après tout, en vingt ans d'existence, personne ne m'a proposé quoi que ce soit, cependant, je ne me sens pas prête à faire... ce genre de trucs. J'ai besoin de temps pour aller mieux, si je viens, je vais sûrement gâcher la soirée.
Quelque part, Evan s'y attendait un peu. Du moins, il aura essayé, et son argument tenait la route.
– D'accord, je vois. Je ne vais pas te forcer, tu as raison de vouloir prendre du temps. On fera ça plus tard, quand on se connaîtra un peu mieux.
Son sourire laissait entrevoir un soupçon d'espoir, et Riley lui répondit en retour. Il ne doit pas savoir où je vais, ni pourquoi. Avant qu'elle ne puisse lui répondre, il sortit son téléphone et tapota tout en reprenant la conversation.
– Avant que j'oublie... maintenant que tu es au club, ce serait bien qu'on s'échange nos numéros, au cas où.
– C'est vrai. J'ai dû appeler Ryan la dernière fois pour qu'il puisse m'ouvrir.
Riley tendit son portable à Evan qui nota le numéro, et vice-versa. Le jeune homme envoya un message en guise de vérification, et après quelques formalités, les deux comparses se quittèrent.
La journée se passa sans trop d'encombres, et le soir arriva bien vite. Tandis que Riley se rendit au pub histoire de «réveillonner» à coups de bobards tous frais que Fred aurait en stock, elle ne s'attendait pas à revoir son partenaire de boxe aussi vite. Et apparemment, il n'était plus autant dans son assiette que les heures passées.
***
– Merde, alors c'est annulé ?
– Ouais... je suis dégoûté. J'avais préparé une magnifique dinde et du pudding en dessert, mais je ne pourrais jamais manger tout ça tout seul.
– C'est un sous-entendu pour me faire culpabiliser d'avoir refusé ?
– Quoi ? N-non ! P-
– Hey, détends-toi Evan, je te taquine.
Elle s'en était même surprise à le faire, mais Riley n'appréciait pas le voir dans cet état. C'était la première fois qu'elle se souciait des autres à ce point, et en réalité, elle n'avait aucune maîtrise sur son comportement à l'heure actuelle. Elle avait du mal à se reconnaître.
Pour changer les idées et donner du peps à cette atmosphère plutôt morose, Fred, le barman, alla enclencher le juke-box et fit passer les vieilles chansons de Noël, ce qui ne manqua pas de faire râler Riley. Il offrit également aux clients boissons et repas gratuits, comme chaque année durant les festivités. C'est d'ailleurs à cette période que les pauvres du quartier, et ceux vivants dans la rue s'agglutinaient dans son pub afin de trouver chaleur, réconfort, et de quoi se remplir la panse.
Le barman était connu pour beaucoup de choses, et son coeur sur la main était une de ses qualités. Bientôt, une ambiance festive anima le pub, et les clients entamèrent rapidement quelques danses improvisées. Au comptoir, Evan et Riley, un peu éméchés et les joues légèrement rosies, s'amusaient de la tournure de la soirée. Les langues commencèrent à se délier, et sur un éclat de rire, Riley s'exclama.
– C'est vraiment dommage que je doive partir dans quelques jours !
– Quoi ? répondit Evan sur le même ton pour se faire entendre.
– Je dis que je me barre d'ici dans trois jours !
Après un léger hoquet, Riley se rendit compte de son erreur, et mit une main devant sa bouche, tout en souriant bêtement. Cette annonce fit l'effet inverse pour Evan, qui reprit très vite son sérieux, comme s'il venait de dessoûler en un éclair.
– Pardon ? Mais tu vas où ?
– Ça te regarde pas.
Elle croisa les bras en prime. Mais Evan ne s'amusait plus.
– Dis-le-moi, s'il-te-plaît.
– Nop ! J'en ai déjà trop dit.
Elle regarda le fond de son verre et le termina d'une traite, tandis que les paroles de la chanson actuelle répétait le mot «Paris».
– C'est drôle, même la chanson en sait plus que toi.
Elle masqua un rire, et Evan comprit rapidement.
– Tu pars à Paris ?! Mais, pourquoi ? C'est pour cela que tu as refusé ma proposition ?
– Nan, ce sont deux choses différentes. Je... déteste Noël, et je ne préfère pas t'en parler. Et ouais, je pars à Paris pour quelques jours, mais ça non plus je ne veux pas en parler.
Elle posa fortement son verre et tenta de se lever, mais chancela un peu trop.
– Tu sais quoi ? Je vais rentrer, sinon je vais révéler tous mes plus grands secrets.
Incrédule, Evan ne sut quoi faire pour en savoir davantage. Au vu de la situation, il préféra ne pas compliquer les choses, et faire comme si cette surprise ne l'inquiétait pas.
– Je vais te raccompagner. Tu es au bord de l'évanouissement.
– Ça vaaa, t'es aussi bourré que moi. Eh, t'as pas intérêt à m'emmener jusqu'à Paris !
Elle avait dit le mot un peu plus fort que les autres, et étouffa un nouveau rire.
– Paris ?! Qui a dit Paris ?
Alors qu'Evan installa de nouveau Riley sur sa chaise au comptoir, une jeune femme à l'allure excentrique et vêtue plutôt légèrement comparé à la fraîcheur extérieure, débarqua vers eux, secouant ses mèches vertes et violettes cachées par une épaisse chevelure blonde coiffée en couettes.
– J'ai entendu le mot Paris, ici !
– Oui, et ? demanda Evan, exaspéré.
– Mais j'adore Paris ! C'est la ville des lumières, de l'amour, de...
Tandis qu'elle parlait, Evan détailla un peu plus le personnage, trop joviale pour lui. En tout et pour tout, on aurait pu la comparer à Harley Quinn, celle du film incarnée par une Margot Robbie qui le fascinait. Pourtant, il y avait quelque chose en cette fille qui lui rappelait vaguement quelqu'un qu'il a connu dans le passé... mais impossible de s'en souvenir. Il mettait ça sur le compte de l'alcool.
– Hum, excuse-moi, l'interrompit le jeune homme, mais mon amie est dans les vapes, elle ne sait plus trop ce qu'elle dit.
– Oh, désolée ! Bah, je m'en vais alors, ravis de vous avoir rencontrés, vous êtes trop choux !
Elle décampa aussi vite qu'elle était apparue non sans balancer un «bon voyage» en sortant du bar, ce qui étira légèrement les lèvres d'Evan. Bon sang, je suis certain de l'avoir déjà vu. Quand il reporta son attention sur Riley, il remarqua qu'elle avait réussi à ignorer royalement l'inconnue, à tel point qu'elle s'était endormie.
– Et bah super.
La soirée se terminait ainsi, et Riley, assommée par l'alcool, ne semblait plus se préoccuper de son voyage.
Les jours passèrent néanmoins rapidement, et bientôt, la jeune femme fermait sa valise, ne pensant pas une seule seconde que, de son côté, Evan s'inquiétait de plus en plus de savoir qu'elle était la raison de ce départ soudain, quitte à culpabiliser.
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