Chapitre 2
« Le Lambeau » de Philippe Lançon
Ce livre est un pavé de 500 pages paru en avril 2018 et qui a obtenu le prix « Fémina » en novembre de la même année.
Un pavé dans une mare de sang.
Le récit d’une reconstruction : reconstruction physique, psychologique, sociale, familiale, et qui est une ode à la vie.
Le livre débute la veille de l’attentat de Charlie Hebdo par la description d’une sortie au théâtre, dernière sortie « d’avant » pour l’auteur qui considère, à juste titre, qu’il y aura définitivement un « avant » et un « après » attentat.
L’attentat de Charlie Hebdo, auquel Philippe Lançon, journaliste à Libération et chroniqueur à Charlie Hebdo survit, est perpétré le 7 janvier 2015, dans les locaux de Charlie Hebdo et au cours de la conférence de rédaction hebdomadaire de ce journal satirique.
Philippe Lançon est grièvement blessé, au deux bras, à l’une de ses mains mais surtout, au visage, une partie de sa mâchoire étant détruite - par une balle perdue, par une balle tirée par un des terroristes, nul ne pourra jamais Le confirmer, l’attentat ayant duré 2 minutes - laissant place à un trou béant.
Le récit de l’attentat est saisissant et surréaliste tant l’auteur a le don de retranscrire la sidération, le silence après l’attentat, la mare de sang, la cervelle de Bernard Maris dans son champ de vision, les gâteaux, imprégnés de sang, que Cabu mangeait au cours des conférences de rédaction, les corps enchevêtrés des morts, les journalistes dont certains sont décédés en se donnant la main, …
D’autres visions et des sons, accompagneront à jamais l’auteur : les jambes, vêtues de noir, d’un des terroristes ; la kalachnikov pointée vers le sol d’un des terroristes ; le cri du pompier quand il découvre l’auteur vivant : « blessure de guerre ! » ; les paroles d’autres intervenants que l’auteur perçoit à peine, comme dans du coton, se chevauchent, tels une musique macabre répétitive.
Commence ensuite la narration de la longue reconstruction physique et psychologique, de la rééducation, à l’hôpital de la Pitié-Salpétrière puis à celui des Invalides, des opérations chirurgicales (17 au total), des relations avec la chirurgienne, Chloé, qui devient, grâce à la magie de l’écriture, un personnage de fiction.
L’auteur noue des relations amicales avec, les policiers qui se relaient H24 devant sa chambre et l’accompagnent dans tous ses déplacements, les infirmières et les infirmiers, les brancardiers, les psychologues et les rééducateurs.
Relations muettes, dans un premier temps, l’auteur étant dans l’incapacité de parler puis après les opérations parce que l’auteur n’est pas autorisé à parler, pour des raisons de cicatrisation.
Relations écrites sur une ardoise, relations exprimées par le regard.
On pourrait penser cette longue reconstruction rébarbative et ennuyeuse.
Il n’en est rien parce que ce livre est foisonnant, d’une grande richesse littéraire avec ses nombreuses références à divers auteurs.
L’auteur enrichit le lecteur de souvenirs au fil d’un récit dense, souvenirs des visites qu’il reçoit, des événements hospitaliers qui font écho avec ses expériences passées, son enfance, sa vie d’adulte et sa vie professionnelle.
L’auteur fait, ainsi, des parallèles très intéressants et passionnants entre son expérience hospitalière et ses souvenirs, familiaux, amicaux, professionnels et amoureux.
Il y a des phrases formidables dans ce livre qui ne relèvent pas de la formule mais du talent de l’écrivain, que je ne révèlerai pas pour maintenir le plaisir de la découverte et qui marqueront l’esprit de nombreux lecteurs.
Point de pathos ou de voyeurisme dans ce récit très prenant au cours duquel l’homme se dévoile entièrement, de manière sincère, quitte à se dévaloriser, en mettant ses talents incontestables d’écrivain au second plan.
Modestie à toute épreuve de la part d’un homme attachant dont la pensée est riche et construite. Un homme qui n'a aucune pensée vengeresse.
Ce récit est empreint d’une immense humanité de la part d’un homme qui aurait pu la perdre à la suite de cet attentat.
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