chapitre 2
Solal avait pris la main d'Ariela. Il le faisait quand il était un peu inquiet. Justement, comme ils s'étaient un peu éloignés du village pour aller en quête de mûres bien noires et sucrées, il n'était pas très rassuré.
Le ciel était bleu et le soleil de septembre encore bien chaud. Toutefois, on sentait dans l'atmosphère que l'été s'épuisait, qu'il allait bientôt laisser la place au brouillard, à l'obscurité et à cette hécatombe de feuilles exténuées, tombantes sur le sol.
Ariela sautillait en marchant. Elle appréciait la période de la récolte des mûres et éprouvait une grande affection pour Solal. Elle ne percevait que des motifs de bonheur tout autour d'elle : le vieux cheval dans le champ, les oiseaux qui gazouillaient dans les arbres, et surtout le soleil. Elle aurait voulu nager dans sa lumière, glisser sur ses rayons.
Leurs petits paniers d'osier avec des feuilles fraîches dans le fond, pour ne pas abîmer les baies, les deux enfants suivaient le chemin en grappillant les fruits, qui tachaient leurs doigts de jus sombre.
Ils ne virent pas une ombre qui les suivait.
Leurs parents les avaient bien mis en garde de ne pas aller plus loin que le vieux chêne.
Le bonheur d'être ensemble, occupés à la cueillette, avait fait disparaître dans leur mémoire cette recommandation. Que pouvait-il leur arriver ? Ils étaient deux, ils étaient beaux et l'insouciance les habillait, d'un costume de rires.
Ils bifurquèrent en babillant dans un petit chemin sur leur droite. La cueillette s'annonçait extraordinaire.
Le chemin déjà étroit, s'était rétréci, les ronces devenaient plus hautes, et Solal s'était blessé à leurs crocs acérés.
Un souffle de vent, un peu plus frais ébouriffa leurs cheveux.
Soudain, il fit moins clair autour d'eux, comme si le soleil était prêt à se coucher. Les oiseaux s'étaient tu.
Solal serra la main d'Ariela un peu plus fort.
- On devrait rentrer maintenant, dit-il d'une petite voix.
- Mais il en reste encore plein ! Protesta Ariela, regarde !
Elle montrait le buisson constellé de baies charnues, gonflées de sucs et de jus. Solal se représentait le roncier comme une énorme araignée aux multiples yeux globuleux.
- Je veux rentrer, allez, viens, on s'en va.
- Bon d'accord, trouillard ! Nous reviendrons demain, sinon les oiseaux vont toutes les picorer.
L'obscurité s'était amplifiée. Le silence autour d'eux alourdissait l'air. Il faisait comme une vibration qui résonnait au fond de leurs oreilles, s'immisçait en eux.
Ils étaient loin du village. Plus loin, qu'il aurait dû être.
- C'est étrange, dit Ariela, le chemin est différent de tout à l'heure.
Le sentier était bloqué par de grandes herbes, tandis que d'énormes ronces noires formaient un mur agressif et piquant de chaque côté. Des chuintements et frôlements sifflaient autour d'eux.
Bravement, Ariela, tenant Solal par la main, se fraya un passage dans les herbes en faisant tournoyer son panier. Tant bien que mal, ils avancèrent, mais les herbes devenaient de plus en plus denses, jusqu'à former une barrière infranchissable.
Ils se trouvaient au centre d'un cercle, entouré par ces herbes étranges qui ondulaient en chuintant. La nuit était tout à fait tombée à présent. Le ciel au-dessus d'eux, noir comme de l'encre ne reflétait aucune étoile. Ils se serrèrent dans leurs bras.
- J'ai peur, souffla Solal, je veux rentrer à la maison.
- Ça va aller, ne t'inquiète pas le rassura Ariela, nous allons rester bien tranquilles ici jusqu'au matin, et dès que le soleil sera là, on pourra voir où on va.
Au fond d'elle, elle était terrifiée, elle luttait contre la panique qui tentait de l'envelopper dans sa couverture glacée et visqueuse.
Ils s'étaient assis au centre du cercle, se préparant à passer la pire nuit de leur courte existence.
Ils finirent par s'endormir, pelotonnés l'un contre l'autre pour se tenir chaud. Leurs corps frissonnants à la vision des images d'épouvantes que suggéraient leurs cerveaux assoupis .
Ils ne sentirent pas l'ombre les envelopper, les saisir dans ses doigts aux ongles crochus.

Annotations
Versions