chapitre 4
Le puits du village de Valombreux avait deux facettes. Le jour, il était avenant, généreux et solide. Il était le centre vital du village. La source de vie. Le lieu où, dans les moments importants, les villageois se réunissaient pour discuter et débattre.
Lorsque la nuit tombait, c'était différent. La poulie grinçait lugubrement, même quand il n'y avait aucun souffle de vent. Les pierres de la margelle luisaient, d'un éclat verdâtre. Une exhalaison glaciale montait des profondeurs du trou dans un chuchotement sinistre.
Depuis longtemps, les habitants s'abstenaient d'y puiser de l'eau une fois la nuit venue. Certain, dans les temps anciens avait essayé. Au lieu d'eau, le seau qui était remonté des profondeurs sombres, était rempli de vase à l'odeur nauséabonde.
Le jour était levé depuis quelques heures déjà, mais personne n'était venu plonger le seau dans le puits. La disparition des deux enfants avait désorganisé la vie du village. L'expédition de Gidéon chez Gregor n'ayant rien donné, les habitants s'étaient réunis autour du puits pour mettre en place une stratégie de recherche.
- Nous allons ratisser tous les bois environnants, expliqua Gidéon. Formons des équipes et gardons le contact les uns avec les autres. Retrouvons-nous d'ici la fin d'après-midi pour faire le point.
Les groupes se constituèrent. Gidéon, Lyra et Eldric en prirent leurs têtes.
Toute la journée, ils explorèrent les bois, les champs et les taillis autour du village. Rien ne fut laissé au hasard.
La voix cassée après avoir tant crié les noms des enfants, les villageois, une fois regroupés, décidèrent de remettre au lendemain leurs recherches. Il n'y avait aucun signe qui pouvait leur donner le moindre espoir. Solal et Ariela restaient introuvables. Alors, tristes et dévorés d'inquiétude, ils prirent le chemin du retour.
La brume montait des champs, comme un linceul. Elle envahissait les vallons, les chemins creux. Bientôt, ils distinguaient à peine le dos de celui qui les précédait. Un tel brouillard si compact était inhabituel.
La peur mordit leur dos de ses dents aiguës.
Englués dans le coton brumeux, ils se trouvèrent bientôt séparés, dans l'incapacité de se retrouver. Ils perdirent leurs repères. Les cris tombaient à plat, sans consistance. Ils furent soudain seuls et perdus dans le noir et le brouillard. Livrés à eux-mêmes.
Au village, ceux qui étaient restés, quelques femmes et des vieillards ainsi que les jeunes enfants attendaient leurs retours. Ne les voyant pas revenir, alors que la nuit était tombée depuis longtemps, sortirent avec des torches à leur recherche.
Dès la sortie du village, de tous côtés, le mur de brouillard les empêcha d'aller plus loin. Le village était entouré de cette brume épaisse, infranchissable.
Le cœur en miettes, ils se résolvaient à rentrer chez eux, en espérant que le soleil brillera demain matin.
En passant près du puits, ils entendirent des gémissements venant du fond.
La vielle Mariette, s'approcha. Elle pencha sa tête au-dessus du trou. Une main décharnée la saisit par le cou et la traîna dans les ténèbres. Elle poussa un cri en tombant, ses hurlements résonnant contre les parois, avant que le silence ne s'installe.
Alors la panique envahit les esprits. Chacun courut vers sa maison dans un tohu-bohu indescriptible. Les verrous furent tirés les barres en bois fixés. Tout le monde se barricadait, les mains tremblantes, les yeux exorbités de peur.
Dans l'affolement, une petite fille avait été oubliée.
Elle se traînait sur le sol, ne sachant encore pas marcher. Absolument pas inquiète, elle s'intéressait à une feuille de l'arbre près du puits. Elle s'était mise sur ses petites fesses et déchirait avec délicatesse la fibre verte.
Elle ne vit pas la forme qui sortait du puits derrière elle.
Tout à son affaire, elle ne prit pas garde à l'ombre qui s'était dressée et tendait ses doigts crochus vers elle.
Au moment où la créature allait attaquer la fillette, un chien surgit de nulle part, attrapa la petite par son vêtement et s'enfuit.
L'ombre rugit de rage, poussa un hurlement et plongea dans le puits.
L'animal emmena l'enfant devant une porte avec une chatière et l'y déposa. Tout naturellement la petite franchie la petite porte et rentra dans la maison. Des cris de joie, l'accueillirent.
Dans le brouillard et la nuit, transis de terreur, les membres des groupes de recherches, souhaitaient ne pas être nés.

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