Chapitre 86 : Rencontre au sommet

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Le soleil est déjà haut dans le ciel lorsque Gwendoline et Erwann émergent du bâtiment, main dans la main, pour aller se balader. Une brise fraîche et iodée les accueille.

Toujours aussi prévenant et attentif, Erwann l’aide à descendre les marches, veillant comme d’habitude à ce que tout se déroule bien. Il a abandonné son côté dominant et autoritaire, qu’il réserve pour leurs moments intimes. Gwendoline apprécie de le retrouver plus tendre, mais les autres facettes de sa personnalité ont attisé en elle un intérêt certain. Son corps les réclame et il lui tarde de les expérimenter. Elle s’aperçoit qu’elle aime vraiment cette alternance chez lui, entre le gentlemen romantique et l’homme plus sauvage qu’elle a entraperçu depuis leur arrivée au phare.

Tout en marchant sur les rochers, Erwann la tire de ses pensées et annonce :

— Si cela te dit, j’ai envie de te présenter quelqu’un aujourd’hui.

— Ah oui, qui ? demande-t-elle étonnée.

Une angoisse sourde se diffuse en elle. Faire bonne impression dès la première rencontre n’a pas jamais été une de ses qualités. Son côté cash et sa franchise ont parfois refroidi plus d’une personne qui l’ont d’emblée trouvée trop directe. Elle doit sans cesse faire un effort pour se surveiller et mesurer ses propos si elle ne veut pas froisser ses interlocuteurs…

— Richard, mon meilleur ami, répond Erwann avec un grand sourire. Je suis sûr que vous allez bien vous entendre. Je lui ai déjà parlé de toi à de nombreuses reprises et il trépigne d’impatience à l’idée de te rencontrer. C’est lui qui a insisté pour que je te le présente. Si tu en as envie, bien sûr.

— C’est gentil de me mettre la pression, dit-elle en riant.

— Mais non, ne t’inquiète pas. Il est génial, tu vas voir. Il est sur Brest pour visiter ses parents pour le week-end de Pâques. J’avais envie de lui proposer de nous rejoindre pour le déjeuner. Mais je voulais t’en parler d’abord.

Chose que ne faisait jamais Konrad, se rappelle-t-elle pour elle-même. Lorsqu’il organisait des soirées chez lui, il ne se donnait jamais la peine de lui demander son avis, au préalable. Gwendoline se retrouvait toujours parachutée chez une de ses connaissances, et souvent dans des soirées alcoolisées. Lorsqu’elle débarquait en Vendée, tout avait déjà été planifié en son absence. Qu’est-ce que cela pouvait l’agacer ! Elle aurait aimé qu’il la sollicite avant de prendre un engagement, au moins pour savoir où elle allait mettre les pieds.

— Ce sera avec plaisir, répond-elle, consciente de la politesse dont Erwann lui fait l’honneur.

Erwann et Gwendoline arrivent sur le port à midi et demi. Il lui fait remarquer qu’une pharmacie est ouverte et elle s’empresse d’aller y chercher ce dont elle a besoin. Puis, tous les deux rejoignent Richard devant le restaurant « la Civette », un quatre étoiles réputé que les deux hommes ont l’habitude de fréquenter.

Erwann est stressé, comme le constate la jeune femme, en le voyant tourner ses anneaux autour de ses doigts. Il sert la main de Richard avant de faire des présentations un peu guindées et maladroites. Erwann n’a jamais été très doué pour faire du social time, et entre son meilleur ami de longue date et la femme qui partage sa vie depuis peu, il se sent gauche. Richard, quant à lui, est très à l’aise et avec sa gouaille habituelle, il déclare :

— J’adore tes cheveux !

Tout en lui claquant quatre bises sonores, il la détaille de son regard appréciateur.

— Très jolie couleur ! Le gris est bien froid.

Une remarque de spécialiste que le coiffeur qu’il est ne peut s’empêcher de faire.

— Merci, répond-elle, un peu gênée d’être soudainement au centre de l’attention des deux hommes. J’adore ton look aussi, lui rétorque-t-elle, avec un grand sourire.

Richard arbore une crête de squaw et ses côtés rasés sont dégagés, comme Erwann. Son allure, qui n’est pas sans lui rappeler celle de son homme, a tôt fait de plaire à Gwendoline qui aime les styles originaux. Richard la remercie et s’ensuit une discussion au sujet des produits de coiffage qu’utilise la jeune femme.

Erwann les observe, touché. Après l’épisode avec Quentin, il se réjouit de cette première rencontre. Son ami récupère un peu les bourdes faites précédemment par le tatoueur.

Tous les trois se dirigent ensuite vers l’établissement et Richard glisse discrètement un signe de la main à l’intention d’Erwann. Son pouce levé et le clin d’œil associé est assez explicite pour qu’Erwann comprenne le message. Il fait mine de n’avoir rien remarqué mais son ego de mâle se gonfle de fierté.

Le serveur qui les accueille a l’air complètement débordé. Les premiers rayons du soleil ont attiré beaucoup de monde et tout le personnel semble à couteaux tirés. Par chance, le serveur les conduit à la dernière table libre en terrasse et Erwann aide Gwendoline à s’installer. Alors qu’on leur propose l’apéritif, Gwendoline et Erwann demandent un cocktail sans alcool tandis que Richard choisi un martini. Ils trinquent à leur rencontre et à cette belle journée de congé.

Certaines personnes commencent à faire la queue dans l’espoir qu’une table se libère pour pouvoir s’installer en terrasse et profiter d’un déjeuner au soleil.

— C’est pas ta femme là-bas ? demande Richard, en regardant en direction de la foule des badauds, en train de déambuler à la recherche d’une place disponible. Enfin, ton ex-femme je veux dire, se corrige-t-il à l’intention de Gwendoline.

Cette dernière lui sourit, consciente des efforts que Richard fait pour ne pas la vexer.

Erwann se retourne et constate avec dépit ce que son pote vient de lui annoncer. Il se lève aussitôt de table quand il voit apparaitre derrière son ex-femme, sa fille, Manon-Tiphaine. Il va à sa rencontre.

— Qu’est-ce que tu fais là ma puce, tu ne devais pas être en week-end chez ton amie ?

— Maman est venue me chercher. On s’est disputées avec Clara et je ne voulais pas rester là-bas.

Gwendoline se lève à son tour et se présente à la jeune fille, qui la dévisage avec curiosité :

— Je suis Gwendoline, enchantée.

— Gwen, voici ma fille, Manon, intervient Erwann, complètement perturbé par la situation qu’il n’avait pas anticipée.

Il aurait aimé préparer sa fille à cette rencontre, en y mettant les formes, mais pris de court, Erwann improvise :

— Manon, Gwen est…

— Modèle photo, intervient cette dernière, souriante.

— Sa meuf, renchérit Richard presque au même moment.

Le photographe reconnaît bien là son ami, roi des pieds dans le plat.

— Ma compagne, rectifie Erwann dont le visage s’empourpre soudainement.

Alors qu’il triture toujours ses bagues autour de ses doigts, Gwendoline s’aperçoit que ses mains tremblent et essaie de détendre l’atmosphère, à sa manière :

— Ton père m’a beaucoup parlé de toi. Une future championne de surf à ce qu’il m’a dit.

Une grande blonde imposante s’immisce dans la conversation sans aucune gêne :

— Alice, la mère de Manon-Tiphaine, déclare-t-elle, abrupte, la main tendue.

Erwann reconnait bien là le style de son ex-femme, toujours aussi peu diplomate. Gwendoline la regarde franchement en lui serrant la main et en se présentant à son tour. En face d’elle se tient une femme dans la trentaine, aux courbes plus que généreuses. Ses cheveux blonds et épais sont coupés au carré. Son visage, quoiqu’assez joufflu, est très joli. Elle a les mêmes yeux bleus que Manon-Tiphaine, et d’ailleurs, toutes les deux se ressemblent beaucoup. Gwendoline remarque de suite leur air de famille. Comme le lui avait précisé Erwann, sa fille est très grande, tout comme sa mère, et Gwendoline, avec son petit mère soixante-huit, se sent un peu dépassée par tous ces géants.

— Richard, ça fait longtemps que je ne t’ai pas vu, continue Alice, sans se démonter.

Elle lui tend une main massive où brille une alliance étincelante. Il la lui serre avec un sourire en coin :

— C’est vrai, confirme ce dernier. C’est marrant de se retrouver tous là ! ajoute-t-il pour plaisanter, voyant toutes les têtes plus ou moins gênées. On se croirait dans une pièce de théâtre.

Gwendoline pouffe de rire. Elle adore déjà ce type qui semble avoir le don de dire tout haut ce que les gens pensent tout bas.

— Bien, on va vous laisser déjeuner, déclare Alice, prête à reprendre son chemin.

— Vous pouvez déjeuner avec nous, si vous le souhaitez, propose Gwendoline, qui a très envie d’apprendre à connaître la fille d’Erwann.

Ce dernier semble horrifié à cette idée. La panique s’empare de lui au vu de la rapidité avec laquelle il fait tourner ses bagues comme des toupies.

— Non, merci, refuse poliment la femme. D’ailleurs, on va chercher un autre restaurant, je n’ai plus envie de moules frites finalement. Une crêperie sera plus sympa. Je vais envoyer un message à Loïc pour le prévenir, ajoute-t-elle en saisissant son portable. Il gare la voiture et nous rejoint.

Gwendoline n’a jamais entendu parler du fameux Loïc mais suppose que c’est le nouveau mari de l’ex-femme d’Erwann, au vu de son alliance.

— Je peux rester avec Papa ? demande Manon-Tiphaine, qui n’a visiblement pas envie de suivre sa mère, ni de rejoindre le dénommé Loïc.

Erwann commence à perdre pied. Il ne sait plus quoi dire, quoi faire, ni comment se comporter. Désespéré, il interroge Alice du regard. Cette dernière affiche un air contrarié.

— C’est comme tu veux, tente-t-il aux abois, cela ne me dérange pas…

— Juste pour le déjeuner, alors.

— Bien sûr. On repartira chacun de notre côté après, explique-t-il, d’un air entendu.

Alice paraît vexée par la proposition de sa fille mais accepte à contrecœur, voyant que l’adolescente s’accroche au bras de son père.

— Tu me la ramènes après ? On va manger sur le port. Loïc arrive.

— Pas de problème, lui assure Erwann.

Alice tourne les talons et s’éloigne à grandes enjambées, sans un regard pour sa fille. Elle file entre les tables accolées les unes aux autres. Sa corpulence en fait bouger certaines au passage. Erwann ressent un pincement de honte de voir ce qu’est devenue la femme qu’il avait tant aimée. Puis s’en veut d’avoir de telles pensées.

— Sympa ces petites retrouvailles ! plaisante Richard. C’était pas du tout gênant comme situation, dites donc ! Allez, on passe à table maintenant ! J’ai faim.

Tout le monde prend place autour de la table. Erwann s’installe face à son meilleur ami, à côté de Gwendoline. Manon-Tiphaine est assise à côté de Richard, face à sa compagne. Elle l’étudie scrupuleusement, sans aucune discrétion, comme savent le faire les adolescents. Le serveur arrive pour prendre les commandes.

— Au moins, on a évité l’incident diplomatique, renchérit Richard, que la situation a beaucoup amusé. Un vrai Vaudeville ce déjeuner dominical. Ça aurait pu être pire. Il aurait pu y avoir des lancés de couteaux.

Tout le monde rit de bon cœur, Erwann y compris, un peu plus détendu à présent que son ex-femme a quitté son champ de vision. Chacun étudie la carte du menu et finit par indiquer son choix au serveur, qui s’impatiente en voyant ses clients indécis. La saison vient à peine de commencer mais le pauvre jeune homme a déjà l’air blasé par son travail, pense Erwann, en essayant de rester le plus courtois possible. Ce dernier, après une grosse montée de stress en se retrouvant nez à nez avec son ex, commence à profiter de cette rencontre fortuite entre sa fille et sa compagne. Il les étudie du coin de l’œil, ravi de constater qu’elles bavardent déjà avec facilité. Gwendoline s'en sort à merveille et est, de toute évidence, plus douée que lui pour nouer des liens sociaux. Il s’en veut un peu de lui avoir imposé toutes ces rencontres d’un coup mais constate avec plaisir qu’elle a l’air à l’aise au milieu de ces nouvelles têtes.

Avec Manon-Tiphaine, elles entament une conversation en tête à tête au sujet du surf, la passion de l’adolescente. Erwann les observe, attendri. Richard lui fait un nouveau clin d’œil. Cela faisait longtemps qu’il n’avait pas vu son meilleur pote aussi heureux.

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