Chapitre 92 : Remonter la joie

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Gwendoline s’arrête et se retourne vers l’édifice, le regard légèrement voilé. L’idée de quitter cet endroit, où ils ont passé de si merveilleux moments, assombrit son humeur. Elle regarde le phare du Minou, majestueux, se dresser de toute sa hauteur au bout de son ponton de pierres et de roches, et déjà il lui manque. Elle ressent un pincement au cœur, comme si elle quittait un endroit familier, un endroit qu’elle a l’impression de connaître par cœur. Pourquoi a-t-elle le sentiment qu’elle ne le reverra pas de sitôt ? L’incertitude de l’avenir la gagne, troublant sa bonne humeur, comme pour lui suggérer que tout était peut-être trop beau. Rien dans la vie n’est aussi parfait.

Est-ce que tout cela était vraiment réel ? Erwann, Manon, les mots doux prononcés et les promesses échangées… est-ce que tout cela a bien eu lieu ? A quoi se raccrocher à présent ?

Bientôt, elle reprendra son travail de masseuse érotique, loin de celui qui occupe son cœur et ses pensées, à accepter les caresses d’autres hommes. Le train-train de la vie va reprendre, avec sa routine harassante, ses obligations, ses contraintes. Elle, qui d’ordinaire arrive à se motiver pour tout gérer d’une main de maître, sent une immense lassitude l’envahir, à la seule idée de continuer ainsi. Elle aimerait prolonger ce rêve éveillé, qui s’évapore déjà dans le flou de ses souvenirs.

— Que se passe-t-il ? demande Erwann, en l’enlaçant.

Prévenant, comme à son habitude, il s’inquiète de voir la jeune femme s’obscurcir, après le superbe week-end qu’ils ont passé.

— Je n’ai pas envie de quitter cet endroit magique, ce cocon coupé du monde, où rien ne pouvait nous arriver, explique-t-elle la voix mal assurée.

— Moi non plus, je n’ai pas envie de quitter ce petit coin de paradis. La bonne nouvelle, c’est qu’on pourra y revenir, la rassure-t-il en remettant à sa place une de ses mèches de cheveux vagabondes.

Le vent est doux et iodé. Elle se laisse bercer par la brise et par la respiration régulière et paisible d’Erwann. Offrant son visage aux rayons du soleil, la jeune femme s’abandonne contre lui.

— Fais-moi confiance, on reviendra au phare.

— Ce n’est pas que le phare, Erwann, c’est toi. C’est nous. Quand je suis avec toi, je me sens bien, complète, entière. Et puis, on s’éloigne et j’ai froid. Même lorsque le soleil brille, soudain, loin de toi, j’ai froid. Pardonne-moi si ma mauvaise humeur vient tout gâcher...

— Tu ne gâches rien. Crois-moi, je sais ce que tu ressens, lui avoue-t-il, en encadrant son visage de ses mains. Chaque fois que ma fille est avec sa mère, je me sens vide, inutile. Et depuis que je te connais, j’ai cette même impression lorsque l’on se quitte. Tu ne l’as pas vu la dernière fois, lors de notre soirée sur le bateau-péniche, mais je n’en menais pas large. Et pas seulement parce que ma mère avait fait un malaise, ce qui n’arrangeait rien, mais parce que ta présence me manquait. Ton sourire me manquait, ta voix me manquait.

— Tout va si vite. J’ai peur de ce qui nous arrive… tout est tellement beau, explique-t-elle en essuyant ses yeux humides avec la manche de son pull.

— Notre rencontre a été magique, toi comme moi, on le sait. On sait aussi qu’il nous reste des choses à découvrir, pour approfondir tout ça. Tout cela va se faire à notre rythme. J’y crois vraiment, Gwen.

— J’y crois aussi, promet-elle, en esquissant un sourire timide.

— C’est à la fois excitant et terrifiant mais je pense vraiment que nous n’avons rien à craindre. Nous sommes connectés, reliés. Il y a une évidence entre nous. Le reste va suivre, dit-il, convaincant, les yeux plongés dans ceux de sa compagne.

Le regard de la jeune femme, peine à soutenir la forte luminosité du jour, ainsi que l’expression intense de son partenaire. Elle plisse les yeux, comme aveuglée.

Bravant ses craintes, qui remontent à la surface comme des bulles d’air dans un soda, elle acquiesce et affiche à nouveau un visage confiant. Gwendoline fait de son mieux pour ne pas se laisser envahir par le souvenir de ses échecs sentimentaux. Elle sait qu’elle est capable d’avancer dans cette nouvelle vie en affrontant ses peurs inutiles et ankylosantes. En les accueillant, ces dernières vont peu à peu lâcher prise sur elle et la jeune femme pourra se libérer de leur emprise.

Tout en marchant, la nantaise inspire et expire comme le lui a appris Véronique, sa thérapeute mais également son instructrice de méditation. Puis, elle marque un stop et s’oriente vers le phare, le visage offert à la lumière. Elle ferme les yeux et se concentre sur son souffle, la main de son chevalier servant tenant fermement la sienne. Pour accueillir les émotions difficiles, il lui est nécessaire de s’arrêter, de faire une pause et de se tourner vers l’air qui entre et sort de son corps, symbole de la vie qui circule en elle. Elle suit les conseils de sa spécialiste, avec la bénédiction d’Erwann qui l’attend et l’accompagne durant sa pratique, comme un assistant silencieux, profitant lui aussi des bienfaits de cet enseignement. Faire une pause et savourer. Faire une pause et se concentrer. Faire une pause et apprécier. Faire une pause et rendre grâce.

Lui aussi a tant à remercier pour ces trois derniers jours passés en sa compagnie, mais aussi pour le rétablissement de sa mère, pour l’amour que lui porte sa fille, pour son travail passionnant, pour l’abondance dont il jouit au quotidien. Pour toutes ces choses et bien plus encore, il est reconnaissant.

Lorsqu’il ouvre les yeux, Gwendoline le regarde, souriante, agréablement surprise de le voir plongé en lui-même. Elle s’avance vers lui, aimantée par la beauté de cet homme aux multiples facettes, et l’embrasse. Il lui rend son baiser avec volupté. Sa langue caresse doucement ses lèvres pleines. Il les entrouvre avec un peu plus d’avidité pour en savourer le parfum, la texture, la chaleur. Le contact de son corps vibrant dans ses bras réveille en lui toutes sortes d’envies. Il a tellement aimé s’occuper d’elle au cours de leurs échanges qu’il se languit déjà de s’y adonner à nouveau.

— J’ai hâte de te faire l’amour, confie-t-il de sa voix rauque, en collant son bassin contre le sien.

— J’ai hâte que tu me fasses l’amour… souffle-t-elle, électrisée par ses paroles.

— Si on ne s’arrête pas tout de suite, cela va se voir, de mon côté, déclare-t-il en souriant, sa bouche posée sur la sienne.

— Erwann.

— Hum ?

— Cela se voit déjà, répond-elle en lui faisant un clin d’œil aguicheur.

Dans un éclat de rire, il lui attrape la taille et la conduit vers la civilisation. Retraversant le pont en sens inverse, ils se dirigent, main dans la main, en direction de la voiture de taxi qui vient de se garer.

Le trajet du retour sera sans surprise cette fois. Gwendoline connaît sa destination d’arrivée. D’abord Camaret, sur la Presqu’île de Crozon, où elle va récupérer sa valise du week-end et sa voiture, puis Nantes, à trois heures trente de là, où elle retrouvera sa fille.

Cette simple pensée vient remonter le moral de la jeune femme. Le sourire d’Emma a toujours eu beaucoup de pouvoir sur Gwendoline, lorsque cette dernière avait l’humeur maussade. Sa fille avait même trouvé une expression pour qualifier cela. Elle disait qu’elle « lui remontait la joie », un délicieux mot d’enfant, parmi d’autres, dont la petite était coutumière.

Gwendoline se souvient que, lorsqu’elle avait avorter, elle n’avait rien dit à sa gamine, qui n’avait alors que quatre ans. Mais le soir, elle avait demandé à ce que la petite dorme avec elle, chose qu’elle refusait catégoriquement d’ordinaire. Emma avait compris qu’il se passait quelque chose d’inhabituel, sans toutefois parvenir à identifier ce dont il s’agissait.

Soucieuse, elle lui avait demandé :

— Tu es triste, maman ?

— Oui, ce soir, je suis très triste, mon amour. Mais ce n’est pas à cause de toi. C’est un truc de grands et je ne veux pas t’en parler… Mon cœur a vraiment mal, aujourd’hui.

La douleur émotionnelle avait été aussi forte que la souffrance physique et Gwendoline n’avait pas réussi à cacher ce qu’elle ressentait. Sa fille, bien que très jeune, avait fait preuve d’une empathie que nulle autre personne autour d’elle ne lui avait témoignée à ce moment-là. Elle l’avait prise dans ses bras et lui avait dit, de sa petite voix aiguë et douce :

— Je suis là, maman, tu sais. Je serai toujours là pour toi. Je t’aime de tout mon cœur et de toute mon âme.

— Et moi je t’aime plus grand que l’Univers et plus fort que l’océan, ma chérie.

Consolée par son enfant, elle avait pleuré un bébé qu’elle ne rencontrerait jamais, tout en se rappelant la chance qu’elle avait déjà de tenir cette merveilleuse petite fille entre ses bras.

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