Chapitre 7 : Thérapie qui croyait prendre !

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Nantes, le vendredi 24 Décembre 2021

Gwendoline est en route vers le cabinet de sa thérapeute, qu’elle voit depuis bientôt neuf mois.

C'est le temps qu'il lui aura fallu pour sa renaissance. En arrivant à son premier rendez-vous, en mai dernier, elle venait tout juste de fêter ses trente-neuf ans. Et tandis que le soleil brillait sans discontinuer au-dessus de sa tête, elle broyait du noir depuis des semaines.

Elle avait décidé de consulter une psy car elle se sentait au bout du rouleau, incapable de se débarrasser de ses idées sinistres. Et elle avait grand besoin d’apprendre à dominer sa colère, ce feu grégeois destructeur qui couvait en elle sans cesse et s’embrasait dès que quelque chose la mettait en rogne.

Or, à peu près tout dans sa vie la mettait en rogne à ce moment-là. Sa mère culpabilisante qui la faisait se sentir constamment comme la dernière des ratés. Ses clients qui, la plupart du temps, s’accaparaient son corps et la dépossédaient de son intimité. Son ex-mari, souvent, qui lui reprochait de ne jamais en faire assez pour leur fille, Emma. Sa fille elle-même, qui testait parfois ses limites, comme savent si bien le faire les jeunes enfants.

Tout, tout était devenu prétexte à souffler sur les braises de son cœur brûlé et Gwendoline n’avait plus trouvé de solution pour éteindre l’incendie. Alors, plutôt que de se battre contre un ennemi invisible, comme elle avait toujours eu l’habitude de faire, elle avait pris la décision de se faire aider.

Une excellente inspiration, constate-t-elle aujourd’hui, le cœur léger, en roulant sur le chemin qui l’amène au lieu de sa consultation hebdomadaire. Tout en conduisant son véhicule, toutes fenêtres ouvertes et musique à fond, elle se revoit il y a quelques mois.

La première fois qu’elle avait mis les pieds chez Véronique, sa thérapeute, la jeune femme était arrivée dans un tel état de détresse qu’elle avait pleuré tout son soûl pendant près d’une heure et demie. Elle avait pleuré, pêle-mêle, cette vie qui ne lui convenait plus, ses regrets passés et sa peur de l’avenir.

Le visage inondé de larmes, elle avait raconté à sa spécialiste ses trois dernières histoires sérieuses, celles qui s’étaient respectivement soldées par un divorce, un suicide et un avortement. D’abord, sa séparation d’avec le père de sa fille, lorsqu’elle avait trente-et-un an, et qui l’avait bien sûr ébranlée. Puis Guillaume, celui qu’elle avait surnommé affectueusement son meilleur amant, avant qu’il ne devienne son meilleur ami, qui s'était donné la mort. L’épisode dramatique l’avait plongée dans un abîme de tristesse l’année de ses trente-deux ans. Mais lorsque Stéphane, son coup de cœur suivant, l’avait plaquée quand elle lui avait appris sa grossesse accidentelle, pour Gwendoline, déjà à terre, la coupe avait été pleine et elle avait eu le sentiment de boire le calice jusqu’à la lie. Elle n’avait pas réussi à se relever. Elle n’avait alors que trente-trois ans, une gamine en petite section à élever et un cœur brisé en mille morceaux.

Ces trois fins tragiques avaient tant secoué Gwendoline qu’elle était restée célibataire durant les six années qui avaient suivi, jusqu’à sa rencontre récente avec Konrad, en septembre dernier. Une traversée du désert sentimentale comme elle n’en avait jamais connue auparavant et qui l’avait profondément fragilisée. Gwendoline avait alors perdu foi en l’amour, mais aussi en elle-même, et n’avait plus réussi à envisager une issue favorable au chaos de son existence. Elle avait eu beau essayer d’avancer, son cœur en lambeaux n’y croyait plus.

Seule une personne extérieure pouvait l’aider à sortir la tête de l’eau et lui permettre de retrouver l’espoir qu’elle avait perdu en chemin.

Véronique s’était trouvée être cette personne. D’une grande douceur et d’une réelle bienveillance, cette belle femme gironde, brune aux yeux noisette, lui avait offert une oreille attentive, un réceptacle à ses tourments.

Dès le début, ces consultations lui avaient fait énormément de bien et pour la première fois depuis des mois, Gwendoline avait repris du poil de la bête. Avec patience et pédagogie, sa praticienne lui avait appris à surfer sur la vague de ses émotions fortes qui la traversaient, pour les apprivoiser et les surmonter.

Durant des mois, à l’abri dans cet espace clos aux murs blancs et à la décoration chaleureuse, la jeune femme avait pu vider son sac sans se censurer, sans peur d'être jugée. Quel bonheur de pouvoir enfin tout révéler ici. Tout, et en particulier ce qu’elle cache au monde entier : la boulimie et la prostitution, en premier. De façon inédite, Gwendoline avait réussi à se confier au sujet de son métier de masseuse érotique et de la culpabilité qu’elle nourrissait envers sa fille pour qui elle aurait aimé être un meilleur exemple. Elle avait évoqué à cœur ouvert sa honte d’elle-même, entretenue par son activité et son addiction, mais aussi son insondable tristesse depuis la mort de son frère, de son père et de Guillaume. Que ce soit au sujet de ses relations sentimentales, de celles qu’elle entretenait avec ses parents ou du regard négatif qu'elle avait porté toute sa vie sur elle-même, dans ce cabinet, la patiente avait pu dire toute sa vérité.

Gwendoline n’avait pas de secrets pour sa thérapeute, qui semblait capable de tout encaisser sans sourciller. Avec patience et compréhension, cette dernière avait accueilli toutes ses confessions sans montrer le moindre signe de désapprobation. Véronique avait recueilli toutes ses confidences tel un réceptacle fiable et solide, et aucun sujet n’avait jamais été tabou. La patiente s’y sentait en parfaite sécurité et se donnait le droit d’être enfin authentique.

Au volant de sa voiture, Gwendoline se gare dans l’allée étroite qui l’amène chez sa praticienne. Si les semaines se suivent et les rendez-vous se ressemblent, la jeune femme, elle, se sent différente après chaque nouvelle séance, profondément changée et infiniment plus forte.

Après avoir soulagé sa peine durant de longs mois, sa psy l’aide à présent à voir les choses sous un angle nouveau, pour lui apporter une confiance en la vie et de nouvelles perspectives que Gwendoline n’avait jamais réussi à envisager jusque-là. Désormais, envahie d’une furieuse envie d’avancer, de progresser et d’aller au-delà d’elle-même et de ses blocages, la jeune femme trouve davantage la motivation nécessaire pour évoluer vraiment.

Elle s’étonne d’ailleurs souvent de cette transformation rapide et positive mais sait bien à qui elle la doit. Véronique est son ange gardien. Ce n’est pas un hasard si c’est à partir de leurs rencontres que Gwendoline avait recommencé à faire des shootings photos et envisageait même d’en faire sa nouvelle carrière.

Et qu'elle avait fait la connaissance de Konrad, le jeune homme dont elle venait tout juste de se séparer.

Comme chaque semaine, Gwendoline attend ce moment privilégié avec elle-même, qu’elle ne manquerait sous aucun prétexte. Ponctuelle, elle toque à la porte du cabinet et ressent cette même excitation, mêlée de joie et de curiosité, qui l’accompagne à chaque fois qu’elle vient ici. Elle sait d’ores et déjà qu’elle en ressortira plus légère, délestée d’un petit morceau de son fardeau depuis longtemps trop lourd à porter.

La porte s’ouvre sur le sourire lumineux de sa spécialiste. L’accueil est toujours chaleureux.

— Bonjour Gwen. Entrez, introduit Véronique, en lui laissant la place dans le couloir étroit.

— Bonjour Véronique, répond la patiente en pénétrant dans la grande pièce qui lui est familière.

Sa thérapeute, toujours habillée avec goût, porte aujourd'hui un jean délavé avec un énorme revers, dévoilant des bottines noires à hauts talons très tendance. Gwendoline sait qu'en plus de ses compétences professionnelles indéniables, sa psy est également une experte en matière de mode.

La jeune femme prend place sur le grand canapé crème, moelleux et accueillant. Elle s’y sent comme dans un cocon, enveloppée d’amour et de sérénité. Enthousiaste à l’idée de partager les tribulations de son petit quotidien, elle attend patiemment que Véronique l’invite à se lancer.

Cette dernière s’installe confortablement et, comme à chaque fois, rompt le silence :

— Comment allez-vous aujourd’hui ?

— Très bien, merci. J’ai décidé de mettre fin à ma relation avec Konrad.

La bombe est lâchée. La rupture est maintenant consommée.

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