Chapitre 25 : La fille à papa du conteur breton

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Erwann prend une longue inspiration et attrape un quignon de pain qu’il trempe dans son récipient, avant de le manger. Tout en mâchant, il regarde le plafond, comme pour y puiser l’inspiration. Touché par les confessions de la jeune femme, il décide de jouer le jeu et de se livrer à quelques confidences :

— Je peux te parler de ma fille ?

— Avec grand plaisir, répond Gwendoline les yeux brillants, en terminant son bol.

— Ma fille s’appelle Manon-Tiphaine, c’est son prénom en entier, mais elle préfère qu’on l’appelle Manon, commence-t-il, plus ému qu’il ne l’aurait souhaité.

Il repense à la générosité de sa fille qui n’est jamais avare de compliments envers lui et n’a de cesse de lui dire combien elle le trouve gentil et cool. Contrairement à certains adolescents, qui vivent cloîtrés dans leur chambre et préfèrent ne pas être vus en compagnie de leurs parents, Manon-Tiphaine adore passer du temps avec son père. Elle ne manque jamais une occasion de le présenter à ses amis, les yeux tout illuminés de fierté. Elle le remercie toujours lorsqu’il l’accompagne à ses compétitions de surf ou qu’il suit certains de ses entrainements.

— J’ai une chance inouïe de l’avoir dans ma vie. Elle est ma première fan. Au moins autant que je le suis pour elle. Elle est presque aussi grande que moi à présent. C’est une vraie sportive qui aime la vie au grand air et passe son temps à essayer de dompter la mer. Manon est passionnée par le surf, explique-t-il, pour éclaircir ce dernier point. Son rêve serait de pouvoir le pratiquer un jour en professionnelle. Elle est très drôle, vive d’esprit et intelligente et j’adore tout simplement passer du temps avec elle. Quand elle est là, elle change mon monde. De par sa grâce, sa douceur et sa bonté, elle embellit ma vie. En tant que père, je me demande toujours si je suis à la hauteur. Élever un enfant est une telle responsabilité. On ne la mesure pas suffisamment, je crois, quand on se lance dans cette aventure. Je l’ai éduquée, avec sa mère bien entendu, mais c’est ma fille qui m’a fait grandir.

Gwendoline sourit à cette dernière remarque car elle dit la même chose à propos de son enfant. Elle comprend très bien ce qu’il veut dire. Sans en perdre une miette, elle l’écoute religieusement.

— Manon suit des cours à domicile pour pouvoir consacrer le plus de temps possible au surf donc nous travaillons tous les deux à la maison. Comme elle est très studieuse, qu’elle bosse dur, en partageant son temps entre ses entrainements, ses compétitions et ses études, je ne la vois pas toujours beaucoup. Mais quand on passe quinze jours ensemble, en Bretagne, on s’accorde souvent des pauses dans notre routine quotidienne pour jouer au tarot ou à la belotte, ou même au poker lorsque l’on a des chocolats de Noël ou de Pâques à miser. Comme elle a l’âme d’une compétitrice, elle est assez mauvaise perdante, reconnait-il, avec un sourire en coin. Comme moi.

Il rit à l’évocation de ce détail, un trait de caractère qu’il partage, au même titre que la gourmandise et l’humour potache, avec sa grande. C’est ainsi qu’Erwann appelle souvent sa fille. Pas tant du fait de sa taille, mais plutôt parce qu’il a longtemps espéré qu’après elle, il y aurait celle ou celui qu’il aurait pu appeler « son petit ».

Tout en raclant son bol de soupe, il continue sur sa lancée :

— Souvent, les journées sont bien remplies alors le soir, c’est relâche, on s’amuse, on se divertit… L’hiver dernier, on s’est lancés dans d’interminables parties de Monopoly, avec nos propres règles du jeu. Des règles complètement loufoques, absurdes, mais qui nous ont fait bien marrer. L’hiver, c’est aussi l’occasion de binger ensemble une série, comme Peaky Blinders ou Vikings… ou de lui faire découvrir quelques vieux films de mon époque. L’été, on aime rester à discuter dehors le plus longtemps possible, dînant tardivement sur la terrasse, presque à la tombée de la nuit. On aime aussi aller se balader sur la plage au coucher du soleil. Marcher les pieds dans le sable et écouter le chant de la mer, tu sais, c’est très reposant, avant d’aller se coucher…

— Tu as un vrai talent de conteur, Erwann, constate Gwendoline lorsqu’il s’arrête pour finir son pain. J’en ai la chair de poule. J’ai presque eu l’impression d’y être et de participer à vos soirées.

— C’est normal, je suis breton. C’est dans nos traditions, explique-t-il avec fierté en relevant la tête et en bombant un peu le torse, dans une attitude chauvine à peine exagérée.

— Et la photo, elle aime ça ?

— Pas spécialement, non. Elle aime mon travail mais n’est pas particulièrement attirée par cette activité. C’est une sportive qui a toujours besoin de se défouler, de courir, de danser. Pour elle, la photo, c’est un peu trop contemplatif. Elle préfère m’accompagner pour un footing matinal ou que je lui apprenne à conduire plutôt qu’à faire des portraits.

Gwendoline sourit à cette remarque. Elle trouve Erwan touchant en papa gaga et dévoué et sent, à travers son récit, tout l’amour que lui et sa fille ont l’un pour l’autre. La jeune femme se reconnaît en lui, lorsqu’elle aussi affiche cette fierté dans l’éclat de ses prunelles, en faisant l’éloge de sa fille.

Tout en savourant le dessert que l’on vient de leur apporter, Erwann lui parle de ses meilleurs amis, de sa mère remariée à un homme gentil, ainsi que de son père décédé qui lui a légué sa propriété.

Plus Gwendoline le regarde et l’écoute, plus elle est sous le charme de cet homme sensible et attentionné.

Lorsqu’il se lève pour aller régler la note, après avoir terminé leur crème brûlée, elle le suit des yeux et observe son dos, ses fesses rondes et pleines et ses jambes musclées, délicieusement galbées dans son jean brut.

Bien que rassasiée par son repas, elle se repait de cette vision idyllique d’un homme grand, fort et tendre. Son rêve devenu réalité. Pourtant, ce n’est pas un songe ou une apparition imaginaire, il est bien là, en chair et en os, prévenant, doux et serviable et quoi qu’il fasse, il a l’air absolument adorable.

Il existe donc ce beau fantasme qu’elle a si souvent réclamé à l’univers dans son journal intime. Elle est là, cette perle rare, aussi agréable d’apparence que de personnalité.

Comment ne pas succomber à un tel mélange, à un si beau spécimen ?

L’Univers lui a bel et bien répondu. Elle se sent pleine de gratitude pour cette magnifique rencontre, pour ce merveilleux repas en si charmante compagnie.

Elle termine sa tasse de café au lait lorsqu’il revient, glissant son portefeuille dans la poche arrière de son jean.

— Merci pour ce délicieux repas, dit-elle avec un sourire plein de gratitude. Tout était parfait.

— Je t’en prie. C’est la moindre des choses. J’ai beaucoup apprécié aussi, confesse-t-il presque gêné.

Est-il en train de parler d’elle, de la nourriture, de leurs confidences, de la séance photo ou de la soirée toute entière ? Elle sent ses joues rougir à nouveau, embarrassée par l’attirance qu’elle ressent pour cet homme qu’elle connaît à peine.

Déjà vingt-trois heures, indique la pendule massive posée contre le mur en pierres apparentes. Le restaurant s’apprête à fermer ses portes.

Tandis qu’il l’aide à enfiler son manteau, elle n’ose plus parler de peur de rompre le charme. Elle ne veut pas le quitter si vite et se sent maintenant tellement en forme, comme boostée par une énergie mystérieuse. Est-ce le café bu si tardivement qui la tient en éveil ?

Pour une couche-tôt comme elle, qui aime se lever aux aurores pour méditer, elle devrait déjà être au lit.

A présent, elle réfléchit à toute vitesse pour trouver une idée de dernière minute qui le retiendrait encore un peu.

Heureusement, c’est à nouveau lui qui trouve la solution…

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