Chapitre 108 : La sentence, première partie

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CHU de Nantes, le samedi 23 avril 2022, 10h

Quelqu’un frappe à la porte.

Gwendoline sort de la salle de bain, dans laquelle elle était en train de se sécher les cheveux après sa douche. Il y fait à présent une chaleur étouffante. Elle ne porte qu’une courte chemise de nuit en coton à bretelles mais c'est suffisant, car les chambres d’hôpital sont toujours surchauffées.

Comme elle ne répond pas, on toque une nouvelle fois. Elle n’attend pas de visite avant cette après-midi, lorsque sa mère viendra la voir à nouveau avec Emma. Et Manuella est déjà passée hier pour lui déposer du linge propre et des magazines.

Elle se glisse discrètement dans son lit, affaiblie par tous les efforts qu’elle vient de fournir pour se laver. Le médecin a exigé le repos absolu, à juste titre, car elle sent que sa tête recommence à tourner. Elle replace sur son doigt l'oxymètre qui la relie au monitoring et surveille ses fréquences cardiaques. Elle doit s'y soumettre dès qu'elle est allongée, même si elle en a déjà marre d'avoir cette pince accrochée à la main.

Elle écoute attentivement en direction de l'entrée de la chambre. Avec un peu de chance, son silence sera pris pour du sommeil et on ne viendra pas l'importuner. Pourtant, après un court moment, la poignée de la porte s'abaisse, à son grand étonnement. Dans l’entrebâillement apparaît celui qu’elle n’attendait plus. Celui qu’elle ne voulait plus voir, ni ici, ni ailleurs.

Elle tourne aussitôt la tête vers la fenêtre, soudainement au bord des larmes. L'appareil émet des bips bips incohérents, désordonnés. Pas lui, s’il vous plaît, pas lui, implore-t-elle le ciel silencieusement, consciente qu’il est déjà trop tard. Honteuse, Gwendoline ne veut pas qu’il la voie dans cet état-là, piteuse et souffrante.

— Gwen ? Je peux entrer ?

Silence. Elle refuse de répondre, tout comme il n’a jamais répondu à son message dans les jours qui ont suivi leur week-end. Blessée, sans nouvelles de lui, elle a tiré un trait sur le Breton à qui elle voue désormais une haine féroce.

— Gwen ? continue-t-il en pénétrant davantage dans la pièce. Parle-moi, s’il te plait.

— Va-t’en.

— Je comprends que tu m’en veuilles et c’est pour cela que je suis là. Pour m’excuser de mon… comportement. Que s’est-il passé ?

La jeune femme se mure dans un mutisme glacial, les yeux toujours orientés vers l’extérieur. Elle serre les poings en priant pour qu’il s’en aille avant qu’elle ne se mette vraiment à pleurer.

— Gwen, je t’en prie, écoute-moi s’il te plait. Je sais que j’ai mal agi mais je m’inquiète pour toi. Que fais-tu à l’hôpital ? Que t’est-il arrivé ? Est-ce qu’il y a eu un problème avec un de tes clients ?

Erwann se déplace un peu plus face à elle et l’observe attentivement, dans l’espoir d’obtenir une réponse à ses questions. Voyant qu’elle s’obstine à garder le silence, il cherche des indices physiques sur son corps mais ne remarque rien d’apparent. Elle n’a pas l’air d’avoir été blessée ou frappée. Ni ecchymose, ni hématome ne recouvre sa peau ou son visage, plus pâle et émacié qu’à l’ordinaire. Seuls d’imposants cernes noirs entourent ses yeux verts complètement éteints.

— Je sais que tu m’en veux mais je ne partirai pas d’ici sans que tu m’aies expliqué pourquoi tu es à l’hôpital.

— Je n’ai pas de compte à te rendre, pas plus que tu n’as d’excuse à me donner. Nous sommes quittes. Tu peux t’en aller maintenant.

— Je partirai si c’est ce que tu souhaites, dit-il la voix cassée. Mais pas avant que tu me dises ce que tu fous dans ce putain d’hôpital.

Erwann élève la voix malgré lui, avant de se souvenir qu'il est dans un lieu médical et qu’il risque de se faire virer manu militari s’il perturbe les patients.

— Explique-moi s’il te plaît, implore-t-il plus doucement, en se rapprochant du lit.

— A ton avis, Erwann, qu’est-ce que je peux bien faire ici ? Et surtout, qu’est-ce que cela peut bien te foutre ce que j’y fais ? grince-t-elle entre ses dents, en le regardant droit dans les yeux, de ce regard dur et froid qu’il n’avait jamais vu avant.

Voyant son air effaré, elle replonge dans la contemplation du paysage, où le ciel gris et morne lui semble moins difficile à supporter que le beau visage de son visiteur.

— Ce que cela peut me foutre, Gwen ? Tu crois que je n’en ai rien à foutre de toi ? Alors que je suis parti ce matin à la première heure pour être ici, aux heures de visite, sans aucune garantie que je pourrais te voir ? Trois heures et demie de route pied au plancher, juste pour… juste pour voir comment tu allais, et tu me demandes ce que cela peut me foutre ?

— Qui t’a dit que j’étais là ?

— Manuella, hier soir.

— J’aurais dû m’en douter… souffle-t-elle, énervée.

— Elle m’a prévenu par Messenger. En ajoutant que c’était sérieux, qu’il fallait que je vienne rapidement. Elle a quand même précisé que tu ne serais sûrement pas contente de me voir. Je vois qu’elle te connaît bien.

Gwendoline lève les yeux au ciel, exaspérée par cette remarque anodine. Elle remonte le drap plus haut, comme pour se protéger du regard inquisiteur du Breton.

— Elle me connaît moins bien qu’elle ne le pense malheureusement…, dit-elle, évasive. Elle n’aurait pas dû te prévenir. Je le lui avais interdit. Tu n’as rien à faire là.

— Je crois qu’elle a très bien fait, au contraire. En revanche, elle n’a rien voulu me dire concernant ton état de santé ou les raisons qui t‘ont amenée ici.

— Encore heureux, lâche-t-elle, amère.

— Il me semble que j’ai le droit de savoir ce qui t’arrive. Je ne suis peut-être pas la personne à contacter en cas d’urgence, mais toi et moi…

— Toi et moi quoi, Erwann ? le coupe-t-elle, dans une montée de colère, en se retournant à nouveau vers lui.

La jeune femme tremble en le foudroyant du regard. Son coeur fait une nouvelle embardée, signalée aussitôt par le monitoring. Pourtant elle ne panique pas malgré les risques, car contrairement à ce qu'il s'est produit chez elle, ici elle se sent en sécurité. Même la présence d'Erwann la rassure, au moins autant qu'elle l'exaspère.

— Toi et moi, nous sommes ensemble, non ?

— Ah oui ? C’est ce que tu pensais pendant tout ce temps où tu as fait le mort ?

— Je sais que j’ai merdé Gwen. Je m’en rends parfaitement compte et j’en suis désolé. Laisse-moi t’expliquer… Après la conversation que j’ai eue avec Quentin, j’étais perdu. Largué. Et j’avais juste besoin d’un peu de temps pour me remettre les idées en place. Pour savoir où j’en étais. Essaie de me comprendre deux minutes, cela n’a pas été évident d’affronter la vérité. Ce que m’a dit Quentin m’a blessé, parce que... parce que, j’ai été jaloux ! C’était très con, mais j’imagine que c'est une réaction naturelle… tu peux le comprendre, non ?

— Et tu n’es plus jaloux à présent ? demande-t-elle ironiquement. Ça y est, tu t’es fait une raison ? Tu acceptes l’idée que je sois une pute ?

— Gwen… arrête de parler de toi comme ça ! Tu sais très bien que ce n’est pas ce que je pense…

— C’est ce que tu as pensé après ta discussion avec Quentin en tout cas, assène-t-elle, résignée.

— Une fraction de seconde.

— Ne mens pas.

— J’étais perdu. Mais cela n’a pas duré longtemps.

— Plusieurs jours.

— Gwen, je t’en supplie. Pardonne-moi d’avoir été un con. Je ne sais pas ce qui m’a pris. Enfin, si, je le sais. J’ai eu peur, voilà tout.

— Peur de fréquenter une pute…

— Tu sais très bien que je ne pense pas ça. Tu l’as dit toi-même, tout a été très vite entre nous. Et quand j’ai été voir Quentin, j’ai été… c’est mon meilleur ami, le fait qu’il ne me soutienne pas, ça m’a perturbé. J’avais juste besoin d’être seul pour me poser les bonnes questions. Pour réfléchir et faire le point.

— Quel genre de questions t’es-tu posé : a-t-elle le sida ? Va-t-elle ruiner ma carrière ? Détruire ma vie ? Me pomper tout mon fric ?

— Tu n’as pas le sida. Ma carrière, je m’en balance. Mon fric me créé plus de problèmes qu’il n’en résout. Et ma vie… eh bien ma vie, avant de te rencontrer, ma vie c’était pas tous les jours la joie, je ne vais pas te le cacher. Donc non, rien de tout cela.

Silence.

— Gwen, je sais que j’ai merdé. J’ai fait une erreur. Je t’ai jugée et j’ai douté de toi et de ta sincérité l’espace de quelques jours, mais ensuite… j’ai compris mon erreur. Et je regrette tellement mon comportement à présent. Je comprends que tu m’en veuilles mais je t’en supplie… laisse-moi réparer ma faute.

— Qu’est-ce qui t’a fait changer d’avis à mon propos ?

— J’en ai discuté avec Richard. Tu sais qu’il t’adore au passage, ajoute-t-il pour essayer de détendre l’atmosphère.

Erwann espère adoucir l'hostilité de la jeune femme, mais constatant son attitude de plus en plus rigide, il comprend vite qu’il se fourvoie et aggrave son cas.

— Ce que tu essaies de me dire, avec ton humour de merde, c’est qu’il t’a fallu une seconde opinion à mon sujet, pour savoir ce que toi, tu pensais réellement de moi ? dit-elle en le pointant du doigt. Sachant que je n’ai vu Richard que deux heures tout au plus ?

Le breton s’aperçoit avec dépit qu’il s’enlise de plus en plus.

— Il est venu me voir et… j’avais besoin de parler.

— Pas à moi en tout cas. Pas à moi qui étais pourtant la principale intéressée, il me semble.

— Je sais que j’ai eu tort. Je sais que j’ai merdé. Je m’en veux si tu savais… dit-il en s’asseyant sur un fauteuil vide.

Dépité, Erwann glisse ses mains autour de la tête. Il ne pensait pas la trouver aussi à cran. Il mesure avec consternation l'ampleur du problème qu'il a créé.

— T’es un gosse, Erwann. Tu as besoin qu’on te dise ce que tu dois faire, ce que tu dois penser, ce que tu dois dire… Une vraie girouette.

Le jeune homme se tait, profondément blessé, la tête basse. Cette dernière est presque enfoncée entre ses genoux. Il regarde le sol, un affreux linoleum d'un autre temps, et entend la jeune femme soupirer.

— Je suis fatiguée. Laisse-moi, s’il te plaît, reprend-elle pour en finir avec cette discussion qui ne fait que les faire souffrir encore davantage.

— Je comprends ta colère et ta rancune, je n’aurais pas dû te laisser sans nouvelle, surtout après le merveilleux week-end qu’on a passé ensemble. Mais je ne peux pas revenir en arrière. Et je suis là à présent, insiste Erwann, dans une nouvelle tentative de réconciliation.

— C’est trop tard.

— Tu ne penses pas ce que tu dis.

— Ah oui ? Et en quel honneur, je te prie ?

— Sinon, tu ne serais pas aussi bouleversée. Si tu m’avais déjà rayé de ta vie comme tu le sous-entends, tu ne serais pas dans cet état-là.

— Laisse-moi, s’il te plaît, répète-t-elle, les larmes aux yeux.

A cet instant, il remarque le bracelet qu’elle porte toujours à son poignet, celui qu’il lui a fabriqué. Ce symbole lui redonne espoir et il revient à la charge, en se levant et en s'avançant vers elle. Il aimerait la toucher, lui caresser le bras, mais conserve une distance raisonnable, vu la tension à couper au couteau qu’il y a entre eux.

— Gwen, pourquoi es-tu à l’hôpital ? interroge-t-il tout doucement, à sa hauteur. Que s'est-il passé ?

Le photographe se poste devant elle, l'obligeant à le regarder. Elle change de côté volontairement, orientant son visage à l'opposé, pour fixer la porte d'entrée. Face à son silence et à son attitude exaspérante, Erwann perd patience. Il se tourne et son regard tombe sur le dossier accroché au bout du lit. Il s'en saisit avant de s'installer sur le siège vacant, les jambes écartées. Malgré les protestations de la patiente, il lit le document sans s’interrompre, ni lever les yeux vers elle.

— Ça veut dire quoi hypo ? Hypokaliémie ?

— Le secret médical, ça te parle ? s'insurge-t-elle.

— Non. Et c’est quoi T.C.A. ?

Il attrape son téléphone, à la recherche des précieuses informations.

— C’est pas grave, google est mon ami, marmonne-t-il pour lui-même, les yeux rivés sur l’écran.

Le smartphone dans une main, le dossier médical dans l’autre, le Breton pianote rapidement d'une main habile et replonge dans sa lecture, concentré.

— Laisse tomber Erwann, lui ordonne-t-elle, sans grande conviction cependant.

Il lève une main pour l’arrêter. Peu importe ce qu’elle peut lui dire, désormais, il veut savoir.

Dépitée, elle voit peu à peu ses yeux s’arrondir et son visage se décomposer.

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