Un nouveau chez soi

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Après une petite heure, nous commencions à entrevoir la silhouette immense, des buildings new-yorkais se perdant dans les nuages. La ville arborait fièrement sa diversité architecturale. Bien sûr, nous étions encore loin de notre appartement. Pour cela, nous allions devoir traverser les innombrables rues, et même à 6 heures du matin, le nombre de voitures en circulation était impressionnant surtout pour nous, provinciaux. Mais cela m’importait peu. J’admirais les rues, les gens qui titubaient sur les trottoirs, et le ciel sombre faisait resplendir les mille et une lumière de la City. Je me sentais diminuer, devenir une part infinitésimale de cette métropole tentaculaire, une note unique dans sa symphonie urbaine.

Finalement, le camion ralentit et nous fûmes arrivés à bon port. L’arrêt du véhicule me tira de mes rêveries et je regardai le bâtiment juste à côté. Nous étions bel et bien au 199 Henry St. C’était un petit immeuble de trois étages en briques rouge-orangé. Un petit portail noir donnait accès à une petite cour où se trouvaient deux conteneurs à poubelles et une toute petite table en fer forgé. La rue était composée de petits immeubles du même acabit, mais nous voyions au loin les buildings.

Je regardais tout autour de moi, émerveillé par la grandeur de la ville. Des buildings s’étendaient à perte de vue, avec des rues interminables, illuminés de partout. Des milliers de voitures circulaient dans les différentes avenues, on sentait le goudron mouillé, signe qu’il avait plu durant la nuit. J’étais tout simplement fasciné par ce nouveau décor qui se dévoilait devant moi. Enfin, nous étions arrivés et ce n’était pas un rêve même si j’avais du mal à en croire mes yeux !

Je sortis du camion, prêt à m’atteler à la tâche ingrate de vider entièrement le véhicule pour meubler notre appartement. Devant la grille du portail, se tenait un homme grassouillet à la calvitie apparente. Il semblait être le propriétaire de notre futur logement, l’homme à qui nous devions des remerciements pour cette opportunité.

— Bonjour Harold, dit Henry en se dirigeant vers l’homme. Comment allez-vous ?

— Bonjour Henry, je vais bien lui répondit le Hobbit en souriant.

Il avait une certaine allure, il portait une chemise assortie à un gilet très formel. Ses pieds étaient disproportionnés par rapport à sa taille et pour parfaire son apparence, il arborait de minuscules lunettes qui semblaient prête à tomber au moindre mouvement.

— Vous êtes en avance, dit-il en regardant sa montre.

— Oui, nous avons eu de la chance, le trafic était fluide sur la route, répondit Henry en suivant Harold vers la porte de l’immeuble.

Adam le suivit, moi, juste derrière. La porte s’ouvrait grâce à un badge magnétique et nous découvrions un mince couloir où deux personnes côte à côte pouvaient tout juste passer ensemble. Le sol était recouvert d’une moquette jaunie par le temps et noircie par le passage des anciens habitants. La tapisserie avait également subi les affres du temps, déchirée et gondolée par endroits. Nous n’étions pas dans un lieu luxueux et moderne, mais un endroit simple et vieillissant, mais cela n’avait pas d’importance pour nous, jeunes étudiants. Nous étions à New-York et c’était le plus important.

Au bout du couloir, un escalier en bois grinçant attendait nos pas. Les marches semblaient sur le point de céder sous le poids du plus mince d’entre nous, comme pour avertir : « Attention, ne me maltraitez pas trop ! ». Nous gravîmes l’escalier avec précaution, conscients du passage répété qu’il avait dû subir. Au dernier étage, deux portes se présentaient à nous. La première, en bois, affichait le numéro 33, tandis que la seconde, en fer robuste, était dépourvue de toute inscription. Le propriétaire sortit une grosse clé ancienne qu’il inséra dans la serrure de la porte en bois.

La porte s’ouvrit, la lumière de l’appartement illuminant le couloir plongé dans la pénombre. Nous sommes entrés en silence, telle une marche funèbre, alors qu’honnêtement, dans ma tête, il y avait un singe avec des cymbales qui faisait la fête. La pièce était spacieuse, avec deux fenêtres donnant sur la rue. On entendait le cœur de la ville battre, les gens se levant pour aller débuter leur journée. À gauche de la porte d’entrée, se trouvait la cuisine équipée avec des murs jaune canard avec des carreaux verts. En face de la porte d’entrée, il y avait trois autres pièces. Celle du centre était la salle de bain, hideuse avec ses couleurs rose et mauve qui semblaient tout droit sorties des années 70.

— Je te laisserai prendre de longues douches dans cet endroit magnifique, me dit Adam en chuchotant.

— Barbie se sentirait parfaitement à l’aise ici.

De chaque côté, se trouvaient deux chambres complètement vides. La première chambre était dépourvue de tout rangement, tandis que la seconde disposait d’un petit dressing dans un angle pour ranger des vêtements.

— Prems, dit Adam.

— Pas de souci.

Cela ne me dérangeait pas, je n’avais pas besoin d’un dressing pour ranger mes quelques vêtements. J’avais surtout besoin d’une grande bibliothèque pour organiser mes nombreux livres que j’avais emportés avec moi. Le propriétaire, qui avait fini de discuter avec Henry des dernières démarches administratives, s’est approché de nous.

— Chers jeunes hommes, je vous souhaite donc la bienvenue à New-York. Si vous avez un souci concernant l’appartement, j’ai laissé mon numéro de téléphone sur le plan de travail dans la cuisine. Voici les clés accompagnées du bip pour rentrer dans l’immeuble, dit-il.

Il avançait tel un zombie, ses deux minuscules mains tendues en avant, mais sur chacune d’entre elles se trouvait le fameux sésame, deux trousseaux de clés. Ils étaient simples, mais pas pour nous, ils étaient pour le moins exceptionnel. Ils signifiaient une chose énorme pour les deux jeunes de Danbury : la liberté. On se précipitait presque dessus, au risque de perdre l’équilibre et de tomber. Car prendre ces clés, c’était plonger vers l’avenir sans se retourner et se préparer à affronter les épreuves difficiles, mais pas insurmontables de la vie d’adultes.

Après une dernière salutation de courtoisie, le propriétaire partit. Devant le camion ouvert, un labyrinthe de meubles, de cartons et de souvenirs s'offrait à nous, le premier puzzle de notre nouvelle vie à assembler. C’était la première épreuve, la première étape à franchir pour débuter notre vie new-yorkaise. Nous allions devoir décharger le camion et monter tous les meubles que nous avions chinés avec Adam durant l’été. Il y avait aussi nos affaires, celles que nous avions depuis des années : des guitares pour Adam et de nombreux livres pour moi.

La première étape consistait à monter le canapé jusqu’au salon. Le père d’Adam avait décidé de nous observer monter l’intégralité de nos affaires afin de nous voir « devenir des grands » … Mauvaise idée. Nous avions donc minutieusement organisé la tâche avec Adam pour faire face à cette première épreuve. Il prenait le canapé dans le camion tandis que je soutenais les pieds pour le faire descendre. Nous pensions être prêts. Mais le canapé, tel un défi insoupçonné, allait tester notre détermination et notre ingéniosité. En effet, notre ennemi n’était pas le meuble, mais l’escalier en colimaçon qui avait décidé de nous rendre la tâche difficile. Qui aurait cru qu’il était si complexe de monter un simple meuble sur trois étages ?

Nous commencions à transpirer et à nous essouffler, et ce n’était que le début de la journée. Mais notre motivation pour notre emménagement était plus forte que la fatigue que nous accumulions. Nous avions réussi à monter le canapé jusque dans le salon, et nous nous regardions satisfaits de cette première étape accomplie. La journée continuait d’avancer sans que nous ne nous en apercevions. Le camion se vidait progressivement, un peu plus à chacun de nos trajets, et nous commencions même à voir la fin du conteneur. Nous y étions presque. Nous venions tout juste de monter les derniers cartons lorsque Henry arriva dans le salon avec deux boîtes plates d’où s’échappait un petit filet de vapeur. Très rapidement, une douce odeur envahit la pièce. Il était assurément tard. Nous avions faim, mais notre tâche de la journée nous avait fait oublier la faim. Elle venait subitement de se réveiller suite à l’odeur de nourriture qui avait envahi notre salon.

— Purée, j’ai faim !

— Moi aussi, dit Adam.

— Je me doutais que vous ayez faim, dit Henry en tendant les deux boîtes.

Il avait raison. Nous n’avions pas pris de pause de la journée et nos estomacs étaient vides. Ils criaient famine et nos corps priaient pour avoir un peu d’énergie. Pendant qu’Henry montait les deux derniers cartons du camion, nous nous sommes précités sur les parts de pizza encore chaudes et avons commencé à les dévorer avec avidité.

Ce n’était pourtant pas la fin de notre périple. Après avoir déchargé l’intégralité du contenu du camion, il fallait encore procéder à l’emménagement proprement dit de l’appartement. Henry venait de partir et nous étions déjà épuisés. Épuisés, nous avons abandonné le canapé pour deux matelas jetés parmi les cartons - notre premier bivouac dans le jungle de New York. Je pris par réflexe ma boîte de Xanax, j’ouvris le bouchon. En avais-je réellement besoin ? Je ne me sentais pas stressé pour la première fois depuis une éternité. Je refermais la boîte et me couchais sur le matelas au sol.

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