Première soirée, première rencontre

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— Hey, mec, réveille-toi ! dit Adam en sautant de tout son poids sur le lit. Il faut que je te raconte ma soirée.

— Hmm… Tu étais où ? Chez une fille ?

— Oui, c’est la numéro 1, dit-il fièrement.

— La numéro 1 ?

— Oui, la première fille de New-York.

— Tu parles de tes conquêtes comme un tableau de chasse ?

— On peut dire ça et ici, c’est un lieu idéal, dit-il en ricanant.

 Mon réveil du lit fut une tâche ardue mon corps était tendu par les efforts de l'emménagement de l'appartement, et chaque mouvement me rappelait cruellement cette épreuve. Mes bras et mes jambes étaient engourdis, endoloris. Ce réveil n’arrangeait rien. J’avais la tête dans le cul. Adam me tendit une tasse de café, signifiant qu’il n’était pas rentré bredouille de son escapade. Je bus une gorgée, même s’il n’était pas très bon, il avait le mérite d’être buvable et je m’en contentai pour le moment.

 Les rayons du soleil pénétraient à travers les petits trous présents dans les vieux volets. La journée semblait bien entamée. Adam me tendit un donut qu’il avait eu l’excellente idée de prendre avec le café.

— N’empêche, il faudrait que tu fasses attention. Ce n’est pas parce que tu es à New-York que tu dois sauter sur tout ce qui bouge.

— Et toi, tu devrais peut-être essayer de temps en temps. Genre juste une fois, me dit-il.

— Ouai, on verra. Je suis ici pour étudier avant tout.

— Tu es vraiment trop sérieux. Il faut que tu te détendes un peu plus souvent, dit-il en prenant un donut dans la poche. Il n’y a pas que les études dans la vie, mon vieux.

 Il n’avait pas tort, il fallait que je me déstresse. Je n’étais plus le jeune homme malmené de Danbury. Je ne devais plus vivre dans la peur et apprendre, au contraire, à profiter pleinement. Mais ce n’était pas facile de quitter ce démon qui m’avait habité durant tant d’années. Les relations sociales n'étaient pas mon terrain de jeu habituel; chaque tentative me coûtait une énergie considérable. Il fallait que je prenne les devants et que j’affronte le monde extérieur même si cela s’annonçait compliqué, mais je n’affronterais pas cela aujourd’hui.

 La journée s’était écoulée dans un quiétude sereine, un répit bienvenu après deux jours agités. J’avais passé ma journée à lire dans ma chambre tandis qu’Adam avait décidé de jouer de la guitare en quête de son premier morceau. Ce n’était pas une partie de plaisir apparemment puisqu’il y avait des fausses notes. Des cris de désespoir émanaient de sa chambre.

 La porte de ma chambre s’entrouvrit et je vis la tête de mon colocataire apparaître dans l’entrebâillement.

— J’en ai marre, je n’avance à rien et toi ? me dit-il.

— Toujours dans mon livre, dis-je en lui montrant "Le vieil homme et la mer" d’Hemingway.

— Qu’est-ce qu’on mange, mon vieux ?

— On commande ? On peut se prendre un plat Thaï ou une pizza ?

 C’était l’un des avantages de vivre en ville, et surtout à New-York. On pouvait facilement faire des découvertes culinaires, et cela, à n’importe quelle heure du jour et de la nuit. Mais cela reflétait aussi l’un des problèmes de notre société de consommation qui nous poussait à plus de fainéantise chaque jour. En tant qu’étudiant, je savais que c’était également du temps précieux gagner pour d’autres activités, telles que les révisions à venir.

— Ça marche, me dit-il. Et demain, tu as quoi de prévu ? dit Adam en me regardant fixement.

— Euh, pour demain, je ne sais pas encore. Je vais probablement continuer à lire.

— Ah, non ! C’est décidé, demain soir, toi et moi, nous sortons dans un bar. Nous allons rencontrer des gens et voir ce que la soirée nous réserve, dit-il avec un nouvel enthousiasme.

 Le Thaï était succulent et quelques parties de Fifa me fit prendre conscience de la chance que j’avais. J’allais débuter mes études dans une très bonne université. Mon colocataire était mon meilleur ami. C’était parfait.

 Le lendemain, le temps avait dramatiquement changé. Les nuages s’étaient réunis et déversaient une fine particule de pluies. Cela ne me donnait pas envie de sortir, en tout cas pas pour moi. Ce n’était pas le cas d’Adam. Je venais tout juste de me lever quand il est apparu habillé de son plus beau jean usé, de ses converses et d’un t-shirt de Linkin Park.

— Tu es matinal.

— Je suis déjà prêt pour ce soir, dit-il en faisant un tour sur lui-même pour montrer son look. Et toi ?

— Mouais. Je ne sais pas trop si c’est une bonne idée de sortir. Je suis fatigué et je ne me sens pas bien. Je pense que je suis malade.

 C’était un beau mensonge que je venais de sortir. J’avais tout simplement dit la phrase qui m’était venu à l’esprit dans le but de me protéger. Mon cerveau m’avait ordonné de ne pas sortir et je l’avais écouté. La peur de l’aventure et des autres était encore bien présente.

— Ah non, tu viens avec moi. On va sortir et faire de nouvelles rencontres.

— Comment le sais-tu ?

— On est à New-York, mec. C’est l’endroit idéal pour faire de nouvelles rencontres.

 On se posait sur le canapé et nous passions la journée à jouer aux jeux-vidéos. Il ne valait mieux pas trop sortir avec ce temps et on passait de bonne heure devant la télé à jouer à FIFA puis à d’autres jeux. Une activité plaisante pour Adam, la solution pour ne pas trop penser à notre future soirée pour ma part. La fin de la journée pointait le bout de son nez et je n’étais pas plus motivé que le matin même. Je n’avais pas le choix, Adam voulait que je sorte et je voulais lui faire plaisir.

 On avait donc décidé de se rendre dans un petit bar au nom atypique de Hair of the Dog. À en juger par sa page Instagram, l’endroit semblait très apprécié des jeunes et des étudiants. C’était donc l’endroit idéal pour deux jeunes venus de Danbury.

 Il était 20 heures et nous étions donc prêts à nous rendre au bar pour boire une ou deux bières. Adam espérait même que l’on puisse rencontrer de nouvelles têtes pour notre première soirée new-yorkaise. La foule devenait de plus en plus dense tandis que ma motivation diminuait fortement. Je me sentais moins confiant et surtout moins enjoué de faire la fête. Ce n’était pas dans mon habitude à vrai dire. La peur des autres s’éveillait en moi sans que je ne puisse la contrôler, elle m’habitait. En revanche, Adam semblait surexcité à mesure que nous approchions et il frétillait comme un poisson en voyant le néon du bar.

 Nous sommes arrivés devant la terrasse, sous la pluie. Le ciel me crachait son eau au visage, comme pour me dissuader de rentrer dans l’établissement. J’étais déjà trempé, complètement refroidi par l’idée de faire la fête. Tout en moi aspirait au réconfort de mon lit, à la compagnie silencieuse d'un livre et au répit simple d'un bol de nouilles instantanées. Je franchis la barrière invisible en passant le cap de la porte d’entrée du bar.

 Le Hair of the Dog était un bar assez singulier dans le style des Saloons à l’intérieur. On apercevait ainsi de belles poutres apparentes, des murs en briques orangées qui avaient perdu leurs couleurs pour tendre vers un beige délavé ou même du noir par endroit. Des luminaires d’une autre époque venaient assombrir les lieux à la manière d’un filtre Sépia. On retrouvait de nombreuses tables en bois imposantes qui pouvaient soutenir le poids de 10 footballeurs accompagnés de simples tabourets tout aussi robustes.

 À peine entrée, je fus frappé par l’ambiance sonore ainsi que la foule présente dans un si petit espace. C’était donc cela un Pub à New-York : une foule de gens répartis en petits groupes présents dans un espace clos, riant, buvant des bières, mangeant des burgers avec une musique d’ambiance très forte. Mes sens étaient exacerbés, je me sentais faible, minuscule dans un lieu si bondé tandis qu’Adam, à l’aise, devenait mon parachute, ma bouée de sauvetage. Je décidais de ne pas le quitter.

 On allait au niveau du bar afin de commander deux pintes de bière et on se dirigea vers une table où se trouvaient deux filles en train de discuter. Non, je ne pouvais affronter une telle épreuve. Adam n’hésita pas tandis que j’étais pris d’un grand recule sans le vouloir. La peur emplissait mes membres d’une angoisse incompréhensible.

— Excusez-nous, est-ce que l’on peut partager cette table ensemble, dit-il à l’une des jeunes filles. Il n’y a pas de places ailleurs.

— Pas de souci, dit-elle en souriant.

 Elle portait une chemise digne des plus grands bûcherons, un débardeur noir, un jean troué sur le genou et des boots en cuir accompagnées de petits clous métalliques. Son ami était diamétralement opposé. Elle portait une longue robe accompagnée d’escarpins noirs et d’un perfecto en cuir. Même leur verre n’avait rien à voir. La première buvait une pinte de bière à la main tandis que la seconde buvait un verre d’un liquide ambré.

— Je m’appelle Adam et voici Marc. On vient tout juste d’arriver à New-York pour nos études et vous ?

— Moi, c’est Gwen et voici, mon amie Julie. Je suis aussi étudiante et elle travaille en tant que journaliste.

 J’étais surpris par cette dernière information, elle semblait avoir mon âge et pourtant, elle était déjà dans le milieu professionnel. Il semblait qu’elle eût remarqué mon étonnement et elle se sentit obligée de se justifier.

— Je suis journaliste que depuis quelques semaines en réalité et je ne fais que de l’archivage pour l’instant.

 Je me sentais bête, je n’avais pas voulu la juger. Je décidais de regarder à l’extérieur pour ne plus passer pour un imbécile. Le silence était de mise. Les personnes défilaient les unes après les autres et j’avais pris pour habitude de les observer, de contempler ce spectacle depuis mon appartement, cela me permettait de faire le vide dans la tête. Je tournais la tête vers la gauche, les gens s’amusaient à l’intérieur du bar, certains jouaient au billard, d’autres buvaient juste une bière. Je tournais la tête à droite, Julie s’était rapprochée de moi et regardait à son tour, les gens dans la petite rue devant nous. Avait-elle été traînée, elle aussi, par son amie ? Heureusement, Gwen avait l’air contente de nous avoir rencontré et elle avait même entamé une discussion intéressante sur les groupes de rock mythiques. Il faut dire qu’Adam était un bon client pour ce genre de discussions alors que moi, pas du tout. Je les écoutais donc échangeais sur Nirvana, AC/DC, Pink Floyd, les Beatles et j’en passe… La musique ne m’intéressait pas particulièrement, elle me servait d’échappatoire, de défouloir par instant. Elle se résumait à cela et n’avait pas la force des mots des livres que je lisais.

 Je continuais de regarder les personnes qui passaient devant moi. Je n’avais pas ma place ici, je ne voulais pas rester une minute de plus. L'angoisse montait, un voile étouffant qui me séparait lentement du monde bruyant autour de moi. Elle l’avait peut-être senti, c’est à ce moment-là qu’elle décida de converser avec moi. Avait-elle ressenti ma détresse ? Je ne sais pas.

— Que fais-tu ? dit-elle.

— Rien, rien.

— On dirait que tu examines les gens. Marc, c’est ça ?

— Euh, non, non, du moins oui.

 Elle rit. Je déglutis. Une bouffée de chaleur, j’avais du mal à réfléchir, en cet instant.

— Je voulais dire : non, je ne juge pas les gens et oui, je m’appelle Marc et toi, c’est Julie.

 Elle me sourit, je lui rendis. Je ne savais pas quoi dire de plus. Je n’étais clairement pas dans mon lieu de prédilection et elle avait dû le deviner. Je regardais Adam, il continuait sa discussion avec Gwen.

— Alors, tu es journaliste, tentai-je. Tu travailles dans quel journal ?

— Le New-York Times, dit-elle.

— Hein ? laissais-je échapper.

— C’est grâce à mes parents ou plutôt grâce à mon père que j’ai pu avoir ce boulot… Je suis héritière des fondateurs du journal, dit-elle vaguement en continuant de regarder fixement la foule devant elle.

 Je restais, là, hébété par sa réponse. Elle faisait partie des notables de la ville incontestablement, et même du monde ! C’était peut-être pour cela qu’elle avait l’air si confiante en me parlant. Elle n’était pas du même monde que moi et sa désinvolture soulignait ce détail si important.

— Et du coup, que fais-tu dans le Lower East Side ?

 Elle parut offensée et un tantinet énervée par la question que je venais de lui poser. Je frottais un peu ma cicatrice dans un réflexe d’anxiété.

— Je n’ai pas le droit de me rendre dans ce quartier, ce n’est pas de mon rang social, me dit-elle d’une voix glaçante.

— Non, ce n’est pas cela, c’est juste que…

— Que quoi ? dit-elle.

— Non, rien.

 Voilà, j’étais ridicule et dans une situation sociale délicate que je ne maîtrisais pas. Je n’avais pas l’habitude et je ne savais pas comment agir, une fois de plus. Je ne faisais rien, je restais là, immobile, figé par la honte et le malaise que je connaissais, eux, trop bien.

 Heureusement, Adam avait peut-être senti mon embarras ou bien était-ce un hasard pur ou même étais-je là depuis plusieurs minutes, immobiles à ne rien dire. En tout cas, il arriva à ma rescousse pour me sauver de l’embarras dans lequel je m’étais plongé.

— Tu veux une bière ? me dit-il.

 Je sautais immédiatement sur l’occasion qu’il venait de me donner.

— Oui, je viens avec toi, m’empressais-je de dire. Veux-tu quelque chose ? en me tournant vers Julie

— Un verre de vin blanc s’il-te-plaît, dit-elle.

 Elle me sourit et j’avais l’impression que la discussion que l’on venait d’avoir été déjà du passé à ses yeux.

— Gwen ? dit Adam.

— Une bière.

 Je me dirigeais vers le bar accompagné d’Adam qui venait d’être mon sauveur miraculeux même s’il n’en avait sûrement pas conscience. On prit donc les verres que nous donnait le barman. Deux minutes plus tard, on était à nouveau à table, mais cette fois-ci, plus aucun ne sortait de ma bouche. J’avais décidé de ne plus parler et cela semblait ne déranger personne. Au bout d’une petite heure, on décidait finalement de rentrer chez nous. Gwen nous fit la bise tandis que Julie hocha simplement de la tête afin de nous dire au revoir.

 On marchait dans les petites rues new-yorkaises afin de rentrer chez nous, d’autres personnes faisaient la même chose. C’était l’heure de rentrer et pourtant, la ville semblait encore éveillée avec les différents luminaires et autres lumières provenant des buildings. De nombreuses voitures circulaient encore, des magasins étaient encore ouverts. La ville ne dormait pas.

— Alors tu as aimé cette première soirée, me dit Adam ?

— Euh, ouai… C’était sympa.

— Non, mais attends. On a rencontré deux filles super sympas et on a leurs numéros en plus, dit-il.

— Quoi, on a leur numéro ?

— Ben oui, j’ai demandé son numéro à Gwen et elle me l’a passé ainsi que celui de Julie. On a eu notre première rencontre new-yorkaise, mec !

— Si tu le dis, mais je n’ai pas spécialement envie de les revoir.

— Pourquoi ? me dit-il surpris.

— Je ne sais pas, ce n’est pas mon genre d’être très sociable, tu le sais.

— Il faut que tu te sortes ça de la tête surtout qu’elles sont très sympas. Puis, tu avais l’air de passer un bon moment avec Julie.

— T’es con ! Je te laisse, je vais pieuter, je suis KO.

  Étendu dans mon lit, les échos de la soirée ricochaient dans mon esprit, se mélangeant avec les battements lourds de la musique du bar. C’était beaucoup trop d’émotions pour mon petit être, je n’étais pas encore prêt à vivre au quotidien comme les autres, comme les gens normaux. La boule au ventre que j’avais depuis le début de la soirée n’avait pas disparu. Je cédais finalement, saisissant la pilule familière destinée à dissoudre la tension qui raidissait mon corps et mon esprit. Je fermais les yeux et repensais à la soirée en laissant le cachet fondre sous ma langue. Je m’endormis.

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