Sociable, moi ?

8 minutes de lecture

Le mois de septembre avait filé à vive allure sans que je ne m'en rendisse véritablement compte. L'automne avait fait son apparition, les feuilles dans les parcs devenaient brunes, blondes, rousses dans un feu d'artifice de couleurs retombant au sol au gré du vent. Les jours pluvieux devenaient plus fréquents, accompagnés de bourrasques de vent qui venaient fendre nos corps de citadins à travers les couloirs de buildings de la ville. Les âmes des habitants semblaient s'assombrir à mesure que les jours passaient. Heureusement, mes journées de cours étaient suffisamment intéressantes et chargées pour garder mon esprit en éveil. Cependant, après ces quelques heures de classe, je jonglais constamment entre les tâches ingrates de mon quotidien et les études.

 Adam enchaînait les conquêtes qu'il ramenait parfois à l'appartement même si je devais travailler sur un devoir important. La pression des cours se faisait ressentir et je ne sortais plus de mon appartement sauf pour faire quelques courses nécessaires pour ma survie. Mon environnement social était ainsi devenu le néant que j'appréciais tant. Mes démons étaient réapparus sans que je ne puisse faire quoi que ce soit et sans que je ne le comprenne vraiment.

 Heureusement , ce début d'octobre allait marquer un réel tournant dans ma vie d'étudiant et me permettre de changer mon quotidien. En effet, ce fut le moment où je rencontrai Matthew et sa petite amie Chloe. Ils étaient en cours de musique avec Adam et ils avaient sympathisé au point de passer des soirées avec nous. Après quelques semaines où la solitude m'avait gagné, j'étais ravi de revoir du monde en dehors de mon colocataire. Gwen et Julie n'avaient plus donné de signe de vie sans que je ne sache réellement pourquoi. Même si je me doutais qu'Adam avait dû faire des siennes. Je pensais même qu'il avait dû marquer une croix sur le nom de Gwen, l'intégrant à son tableau de chasse. Je m'en voulais un peu quand même, car je n'avais pas pris de nouvelles de Julie depuis notre dernière soirée. Pourtant, je pensais régulièrement à elle,

 Matthew était le genre de mec jovial qui arrivait facilement à remplir une pièce de sa bonne humeur communicative et cela me faisait énormément de bien. Notre seconde soirée de ce début du mois d'octobre se résuma à manger des pizzas et à jouer à des jeux société à l'appartement. Une soirée agréable qui avait été marqué par un fou rire général. Adam avait compris les règles du jeu alors que l'on jouait depuis une heure et qu'il perdait, bien sûr. Chloe, quant à elle, était une fille qui ne gardait pas sa langue dans sa poche, on pouvait ainsi lui faire entièrement confiance lorsqu'elle donnait son avis.

Prête à tout pour gagner, elle n'avait pas hésité à tricher en prenant quelques cartes supplémentaires afin de choisir celles qui lui seraient favorables. Mais elle était aussi gaffeuse et elle se fit attraper au bout de cinq minutes. Elle alla alors bouder sur le canapé en jouant à la Playstation. Je finis par gagner et on décréta qu'il était grand temps de manger. Automatiquement, Adam sortit son téléphone pour commander depuis l'application Uber Eats.

— Pas de viande pour moi, dit Matthew.

— C’est noté, dit Adam. On prend donc une margarita et une pizza au saumon. Cela vous convient ?

— Parfait, dîmes-nous tous en cœur.

 Ce n'était pas notre première rencontre à New York, mais on pouvait dire que c'était véritablement nos premiers amis. Ils venaient d'entrer dans notre vie et tout se passait pour le mieux. Je me sentais à l'aise, ce qui était déjà un miracle à mes yeux. Il m'avait fallu énormément de temps et de courage avant de laisser rentrer de nouvelles personnes dans mon univers depuis que j'avais été harcelé au College. J'avais créé des barrières invisibles pour me protéger des autres même s'ils me voulaient du bien. Ce n'était pas facile de casser cette coquille pour m'atteindre. Heureusement, New York était en train de me changer, de m'amener à évoluer. Je prenais du plaisir à passer du temps avec les autres, je m'épanouissais bien volontiers et finalement, je ne prenais de moins en moins de Xanax. J'avais lâché ma béquille et je m'en portais bien. Je profitais donc de ma nouvelle vie, de mes amis. Adam y était pour beaucoup, il était la personne qui faisait rentrer des gens dans ma vie sans que je ne m'en rende compte.

La soirée se termina après quelques parties de FIFA où Adam prit un malin plaisir à nous battre tour à tour. Fier de lui, il bomba le torse comme un gladiateur qui venait de triompher dans l'arène. Il se faisait tard et même si les lumières de la ville illuminaient notre appartement, la fatigue nous enveloppa peu à peu.

De retour dans l'intimité de ma chambre, je me laissai glisser dans les draps, les images de la soirée défilant dans mon esprit, imprégnées de rires et de complicité. C'était finalement ce dont j'avais rêvé lorsque j'étais encore à Danbury : faire des rencontres, créer des liens sociaux et m'épanouir enfin au point d'être heureux. Je fermai les yeux et m'endormis.

Le jour se levait à peine ricochant sur les buildings de la ville, et j'étais déjà habillé, un livre d'Arthur Conan Doyle dans les mains et un thermos rempli d'un café bien chaud dans l'autre. J'avais décidé, en ce dimanche, de me rendre à Central Park pour profiter du soleil que cette journée nous offrait, lire quelques pages et me promener pour explorer un peu plus New York. Depuis notre arrivée, je n'avais pas eu le temps de visiter le centre ville, et c'était le moment idéal pour le faire.

Je descendis les marches grinçantes du couloir et ouvrit la porte de l'immeuble. La plupart des habitants n'étaient pas encore levés, et le silence des rues environnantes était agréable. Je déambulais, observant des détails apparemment insignifiants pour le commun des mortels, mais que je trouvais fascinants. Les immeubles, tous différents les uns des autres, se complètaient pour former un gigantesque ensemble. Les petites boutiques étaient peu à peu absorbées par de grandes enseignes au fur et à mesure que je m'enfonçais dans le coeur de la ville.

Après une ou deux heures de marche, j'arrivai enfin à Central Park. Les arbres s'étendaient à perte de vue, me laissant sans voix. Il était difficile de croire que l'on pouvait trouver un tel espace vert en plein coeur de New York et pourtant, c'était bien le cas. Je pénétrai dans cette oasis, respirant l'air pur qui s'en dégageait. Je trouvai un banc à l'ombre pour me plonger enfin dans la lecture de mon roman.

Le temps s'écoulait à une vitesse hallucinante tandis que j'étais plongé dans mon bouquin, et ce fut le son de mon téléphone qui m'extirpa de mon histoire. Je le sortis de ma poche : maman.

  • Mon chéri, comment vas-tu ? Je viens prendre de tes nouvelles.
  • Je vais très bien. Je me trouve à Central Park, assis sur un banc en train de lire. Hier soir, on a organisé une soirée jeu de société avec Adam, Chloe et Matthew. C'était vraiment sympa.
  • C'est génial que tu fasses de nouvelles rencontres, mon poussin. J'avais peur que tu aies du mal à t'intégrer. À ce propos, il faut que je t'annonce quelque chose.
  • Oui ?
  • J'ai repris la peinture dans une association de la ville...
  • C'est génial ! m'exclamai-je.
  • ... Et j'ai fait la rencontre d'un homme.
  • Ah, euh. C'est chouette, maman.
  • Il s'appelle Andrew, il travaille dans l'immobilier. J'aimerais te le présenter la prochaine fois que tu reviendras à Danbury.
  • D'accord, d'accord. Je vais te laisser, je dois rentrer et travailler sur mes cours. Je t'aime, maman.
  • Je t'aime fort, mon chéri.

Je me levai, songeur. Elle avait fait la rencontre d'un homme si peu de temps après mon départ. J'étais bel et bien un frein à l'épanouissement de ma mère depuis des années. Elle avait figé sa vie et commençait seulement maintenant à s'épanouir.

Je quittai Central Park, mon esprit plongé dans un abîme de pensées et de remords. Lorsque je franchis les portes du parc, le tumulte assourdissant de la ville me heurta de plein fouet. Le monde semblait se dérober sous mes pieds, le bruit n'était qu'un cacophonie à mes oreilles, ma respiration s'emballa, l'air frais me brûlait les narines. Mon cerveau fonctionnait au ralenti tandis que les passants se déplaçaient à vive allure. Je me sentis trahi par mon propre corps, une ombre grandissante m'enveloppant dans son étreinte froide. L'angoisse prenait le dessus, m'engloutissant sans pitié et il m'était impossible de reprendre le contrôle. Je flanchais et me noyais dans l'obscurité en perdant connaissance. Je revins à moi, entouré de passant qui s'étaient arrêtés pour m'aider. Une jeune femme se pencha vers moi, ses mots noyés dans le brouhaha assourdissantde la ville.

  • ... Allez-vous bien ? me questionna-t-elle.
  • Hein ?
  • Comment vous sentez-vous ? insista-t-elle.
  • Je... Je vais bien, je vous remercie.
  • Tenez, dit-elle en me tendant une barre de céréales. Vous êtes un peu pâle.

Je voulus me relever, mais elle posa sa main sur mon épaule pour m'en empêcher.

  • Non, ne vous relevez pas de suite, ordonna-t-elle.
  • D'accord.

Je mangeai, laissant mon regard errer autour. Les passants vaquaient de nouveau à leurs occupations. Il ne restait plus qu'elle, vêtue de sa tenue de sport. Ses cheveux blonds étaient soigneusement attachés en une queue de cheval, mettant en valeur ses de jolis yeux bleus et son petit nez retroussé. Son regard inquiet se posa sur moi, et je ressentis une profonde honte d'être dans une telle situation.

  • Je m'appelle Marc, dis-je pour désamorcer la conversation. Et toi ?
  • Je m'appelle Tiffany. Où habites-tu ?
  • Euh, j'habite au 199 Henry Street.
  • D'accord, te sens-tu mieux ? Je vais te raccompagner jusqu'à chez toi.
  • Non, je te remercie mais je vais rentrer seul. Je ne veux pas te déranger plus longtemps.

Elle hésita quelques instants.

  • Bon Marc, je te fais confiance mais je te laisse mon numéro et tu me préviens quand tu es rentré chez toi. D'accord ?

Je lui tendis mon téléphone, et avec un sourire , elle enregistra son numéro. Ensuite, elle se leva, et je me levai tant bien que mal et nous partîmes dans deux directions opposées, emportant avec moi ce souvenir marquant. Une crise d'angoisse d'une ampleur inédite m'avait saisi, et une inconnue m'avait porté secours sans que j'aie à le demander. Il était grand temps que je prenne des mesures pour faire face à ces problèmes qui prenaient le contrôle. C'était décidé, dès demain, j'appellerais un psychologue pour me soigner.

Le chemin du retour vers mon appartement se transforma en un parcours d'endurance, chaque pas alourdi par un épuisement qui entravait ma marche. Chaque pas semblait être une montagne à gravir. Une fois la porte de mon appartement franchie, je me dirigeai immédiatement vers ma chambre, désirant seulement m'effondrer. Mes doigts prirent le téléphone qui se trouvait dans ma poche, j'écrivis un message pour remercier chaleureusement celle qui m'avait sauvé.

" Un immense merci pour ton aide précieuse aujourd'hui. P.S : Je suis bien rentré chez moi."

Je posai mon téléphone sur la table, pris un cachet pour tenter de calmer mon anxiété encore présente et m'étendis sur mon lit. Les pensées tumultueuses s'estompaient alors que je m'abandonnais au sommeil. Le temps filait et je me réveillai par le bruit de ma sonnerie, j'entrouvis un oeil :

" Avec plaisir, prends soin de toi. Si tu le souhaites, j'ai prévu de courir le 18 octobre au matin. Tu pourrais te joindre à moi. Cela te ferais du bien. Bisous."

Le sommeil m'enveloppa rapidement, laissant le message reçu flotter dans mon esprit comme une énigme douce-amère.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 6 versions.

Vous aimez lire Kevin Gogh ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0