Chapitre 4

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Je laisse le hasard guider mes pas pendant une bonne demi-heure sans avoir de destination précise, empruntant bon nombre de rues et ruelles dans le but de confondre un éventuel poursuivant, ou au moins de le repérer. En plein après-midi, ça n’aurait pas été une tâche trop ardue pour moi. Cependant et malgré ma circonspection, je n’arrive pas à affirmer avec certitude que je suis suivi, ce qui peut signifier deux choses : soit je ne le suis effectivement pas, et je deviens parano, soit je perds la main, et je suis bientôt mort. Dans les deux cas, je suis à la ramasse.

Une fois suffisamment paumé, je décide enfin de héler un taxi et rentrer à l’hôtel. Je me trouve à l’autre bout de la ville, et ce trajet ne sera pas une histoire de cinq minutes. Lorsqu’un chauffeur s’arrête, je grimpe à bord de la Ford jaune et m’installe dans la limite du confort proposé par une banquette arrière qui a été en contact avec sûrement plus de derrières qu’un O.J. Simpson au sommet de sa gloire, sans toutefois relâcher d’un doigt la mallette que je tiens contre moi, et qui contient mes outils de travail. Je ne donne pas l’adresse exacte de ma destination, mais quelques rues plus loin par simple précaution encore une fois.
A côté d’un lecteur de carte bancaire, collé à l’arrière du siège conducteur, se trouve une photocopie du permis de conduire du chauffeur ainsi que de sa licence. Il est important de souligner qu’il existe plusieurs types de taxis à New-York, comme dans beaucoup d’autres grandes villes d’ailleurs : les officiels, ici reconnaissables à leur couleur, reconnus et agréés par la loi, mais il y a aussi ceux, moins légaux, qui attrapent les touristes perdus à la sortie des aéroports et qui leur font cracher le double d’un tarif normal à la fin du trajet. Ces gens-là travaillent au noir, un peu comme ils veulent, et si l’envie leur prend de vous séquestrer et de vous casser les deux jambes pour vous extorquer tout votre budget vacance, rien ne les en empêche.
Aujourd’hui, le gars devant moi s’appelle Dhirtarashtra Chipalunakar, et bien que son identité puisse sembler bien épileptique dans son orthographe pour nous autres pauvres caucasiques désenchantés sans fantaisie, il exercera son dur labeur sans tenter de sucer plus que de raison le contenu de mon portefeuille. Du moins, en apparence. Je n’exclus pas le fait que ses intentions peuvent être tout autre chose. Il pourrait travailler avec Vorm, et être celui chargé de l’informer directement de l’adresse que je lui aurais indiqué, afin qu’un petit comité d’accueil m’attende à destination.

La vitre qui sépare l’avant de l’arrière du véhicule possède une petite trappe au milieu, par laquelle je pourrais aisément passer un bras et l’égorger si les choses venaient à se gâter. C’est pourquoi je fais très attention à l’itinéraire qu’il emprunte et au nombre de coups d’oeil qu’il jette dans son rétroviseur central. Je ne tiens pas à laisser passer le moindre geste suspect.
Pour éviter de prononcer tout l’alphabet à chaque fois, je vais l’appeler Dhirt.
Dhirt, ce n’est pas toi qui auras ma peau. Contente-toi de faire ton boulot et de te conduire en honnête citoyen modèle vivant le rêve américain, et tu retrouveras ta famille ce soir si tu en as. Alors roule Dhirt, et ne fais rien de problématique.

Les gens n’imaginent pas le nombre de meurtriers, pédophiles, sataniques nécrophiles, fétichistes du sang et des coups de massue dans les couilles qu’ils peuvent négligemment côtoyer dans la rue, dans le métro, dans une file d’attente ou une salle de cinéma. Pour moi, qui fait plutôt partie de ce mauvais côté de l’Humanité, j’ai toujours trouvé un charme à cette cohabitation blanche et silencieuse. J’aime mon voisin, tant que je ne le connais pas, en quelque sorte. Si Dhirt n’est qu’un innocent chauffeur de taxi, a t-il déjà osé imaginer le nombre de fois qu’un client assis juste derrière lui a songé à lui trancher la jugulaire comme je viens de le faire ? L’idée qu’un illustre inconnu, dans les rayons de votre supermarché habituel, puisse ressentir la pulsion de vous attendre sur le parking pour vous planter au moment où vous ramenez votre caddie, sans aucune raison, ou d’embarquer votre gosse dans son coffre et le violer pendant les dix prochaines années dans une cave, ces idées-là pourraient terrifier le commun des mortels. Mais pas moi. Je suis celui qui en dégage un salaire. Les morts remplissent mon compte Paypal, pour le formuler un peu plus joliment.

Et pourtant je ne me sens plus en sécurité aujourd’hui. Je me sens comme de l’autre côté de la barrière sociale, parmi les proies, les moutons insignifiants et vulnérables. J’ai perdu ma protection, le danger est partout, je pourrais mourir n’importe quand, et c’est cette idée qui fait gagner du terrain à la paranoïa qui tend à s’emparer de moi. Je dois faire en sorte que cela n’arrive pas, et pour cela, j’ai besoin d’un minimum de temps. Je dois rentrer, et réfléchir. A défaut de la situation, ne surtout pas perdre le contrôle de moi-même. La cohabitation silencieuse ne me fait tout à coup plus tellement rire.

Je passe tout le trajet à surveiller le chauffeur et à chasser des idées noires, si bien que lorsqu’on arrive enfin, j’ai l’esprit légèrement embrumé. En plus, je ne suis pas plus avancé. Dhirt s’en va après avoir reçu ses billets, et je me retrouve désemparé, au bord du trottoir, comme un mendiant fatigué.

J’avance jusqu’au motel, sans détours cette fois. Peu importe si on me voit, je dois aussi changer de quartier général. J’aimerais simplement me reposer, quelques heures suffiront. Ensuite, je quitterai ce trou et me trouverai une planque un peu plus discrète. Quelque chose qui ne crie pas “Repaire de serial-killers” de toute la lueur vulgaire de ses néons. Je commets de grossières erreurs de débutant, je l’admets, et si je devais en faire les frais, je l’aurais mérité. Mais il est nécessaire, carrément vital même, que j’éclaircisse mes idées, car dans les conditions actuelles je me sens incapable de prendre la moindre décision.

J’arrive au susmentionné lieu de couchage. Dans la cour intérieure, deux gamins jouent au football avec une canette de Dr.Pepper vide. Le son a l’intensité d’un marteau-piqueur à mes oreilles. Ils ont au moins la décence d’attendre que je traverse leur surface de réparation avant de reprendre leur séance de tirs au but excessivement bruyante. Quel genre de parent faut-il être pour laisser ses enfants sans surveillance dans un coin pareil ? D’ailleurs, quel genre de parent faut-il être pour faire des enfants, pour commencer ? A titre d’exemple, je me considère moi-même comme un très bon père, un modèle même, simplement parce que j’épargne à mes enfants le fait de devoir vivre, mais ce n’est que mon point de vue.
Je monte les marches qui m’amènent à l’étage avec beaucoup moins d’empressement que lorsque j’ai dû les descendre un peu plus tôt dans la journée, et je me pétrifie à leur sommet. De là, je peux d’ores et déjà apercevoir la porte de ma chambre, et il est clair que celle-ci est entrouverte. Je ne m’imagine pas des choses cette fois-ci. M’en rapprocher ne fait que le confirmer, et pire que ça encore : j’entends quelqu’un à l’intérieur. Il y a de l’agitation dans ma chambre, comme si on retournait la pièce dans tous les sens. Inutile de réfléchir bien longtemps avant d’identifier le problème. Jason Vorm. Qui d’autre ? Je ne m’attendais vraiment pas à un dénouement aussi rapide, faut croire qu’il n’était pas aussi malin que ce que je pensais. Je m’agenouille délicatement devant la porte et déverrouille la mallette pour en sortir mon arme de poing. Je visse le silencieux au bout du canon, en espérant que personne ne passe à ce moment ou que mon intrus ne décide pas de sortir maintenant. Une fois prêt, je pousse la porte, l’arme tendue droit devant moi.

La surprise fait s’immobiliser l’individu en plein milieu de la pièce comme un animal pris dans des phares, mais il ne ressemble en rien à Vorm. Au lieu de ça, j’ai face à moi un homme d’apparence italienne, mais pas du type mafieux, plutôt du genre à taper des micro-siestes entre le plat principal et le dessert pendant les fêtes de famille. Il porte un débardeur blanc tâché extra large, bien trop grand pour lui, qui fait ressortir le teint bronzé de sa peau, et un médaillon orné du Christ sur la croix attaché à une chaîne en or pend autour de son cou. Pauvre Jésus, je pense. Comme si être crucifié ne suffisait pas, faut encore qu’il respire des poils de rital, et celui-là m’a l’air en plus très en sueur. Des gouttes perlent à son front, au dessus d’un visage creusé comme un caveau familial. Lorsqu’il prend conscience de l’arme pointée sur lui, l’envahisseur Méditerranéen commence à paniquer et à tendre les bras devant lui en levant la voix. Du talon, je referme la porte derrière moi et positionne mon index sur mes lèvres.

  • Chhhht…
  • Non, tchièffé, je cherchais juste un peu de thunes, j’t’ai rien piqué, je jure !

L’homme roule ses “r”, évidemment, et phonétiquement, le mot “chef” dans sa bouche ressemble à “ Tchièffé”.

  • T-T-T-T… Ferme-là.
  • … remets tout en place, y’a pas d’problème, j’te file même le peu d’caillasse que j’ai sur moi mais laisse-moi partir tchièffé, allez, on a pas besoin d’en arriver là quand même !

Je charge mon arme. Le cliquetis le fait sursauter.

  • Si tu tiens à la vie, je te conseille de ne plus prononcer un seul mot.

Le rital approuve, non sans prononcer plusieurs fois de suite “ok ! C’que tu veux, pitié ! C’que tu veux !”.

  • Bien, maintenant on va faire ça sous forme de jeu, parce que c’est bien plus amusant. C’est comme un action ou vérité, sauf que c’est tout le temps à mon tour de t’en donner. Si tu réponds pas, si tu fais pas ce que je veux, si tu cries ou cherche à appeler à l’aide, tu crèves sur-le-champ. Compris ?
  • Si, si, compris !
  • Parfait. C’est parti alors. Action : lève ton débardeur.

L’italien écarquille les yeux comme une nonne qui viendrait de se faire draguer lourdement par quelqu’un déguisé en satan.

  • T’inquiètes, c’est pas pour admirer ton vénérable corps d’athlète, je vérifie juste que t’as pas d’arme autour de la taille.

La vanne ne semble pas le faire rire du tout. Aucun sens de l’humour.

  • Non, je te jure, j’ai rien, je suis pas…
  • Merde, et je suis censé te croire sur parole ? Déjà un premier avertissement. Continue comme ça, et t’auras tellement de plomb dans la gueule qu’on pourra même pas t’identifier. Alors écoute moi bien, parce que c’est la dernière fois que je me répète : lève ton débardeur.

Cette fois-ci, il s’exécute. En tremblant, il soulève son haut de quelques centimètres au dessus de son nombril, et expose à mes yeux un bas ventre enfoncé comme un puits. L’homme est d’une maigreur inquiétante.

  • Très bien. Reste comme ça, et fais un tour sur toi-même. Je dois voir derrière et sur les côtés aussi.

Il m’obéit sans argumenter, et je peux donc affirmer qu’il ne porte pas d’arme à feu à sa ceinture. Je passe à la suite.

  • Maintenant, vide tes poches. Une à la fois.

Il commence par celle de gauche, qui contient quelques pièces de monnaie, sa “caillasse”, même pas assez pour une canette au distributeur. Il laisse ensuite pendre la doublure intérieure de la poche hors de celle-ci, et fait de même avec celle de droite, qui s’avère être vide. Aucune arme, pas même l’ombre d’un couteau suisse, ce qui n’est pas si anormal que ça finalement.

  • Tu t’améliores, c’est bien, je suis impressionné ! Allez, à genoux.

Il tique à ce moment. La position que je lui impose l’effraie peut être un peu.

  • Non, s’il te plaît, j’ai rien volé, je peux repartir et plus jamais revenir je le jure !
  • T’as oublié les règles ?

En guise de réponse, le voilà maintenant sur ses rotules. Il transpire de plus en plus, à grosses gouttes, comme s’il venait de courir un marathon sous la canicule.

  • Bien, on va passer aux vérités maintenant, si tu le veux bien. Je voudrais surtout pas te brusquer tu sais, tu es mon invité.

Pour joindre le geste à la parole, je verrouille la porte à clé derrière moi avant d’attraper le fauteuil d’appoint qui traîne à côté de l’entrée et de le faire glisser jusqu’en face de mon convive. Pas pour lui, mais pour moi. Je m’installe ainsi droit devant lui, et dépose la mallette à mes côtés, hors de sa portée. Elle était encore dans ma main pendant tout ce temps, et je l’avais oubliée comme si elle en était devenu le prolongement naturel. Pendant ce temps, le gars a posé ses mains sur son crâne comme s’il était en état d’arrestation, visage vers le sol. Je lui pose alors la question qui me brûle les lèvres depuis mon arrivée.

  • Bon. Où est-ce qu’il se cache ?

Il lève timidement un regard interrogatif vers le canon de mon arme, comme si c’était à elle qu’il parlait et pas à moi.

  • Q...Qui ?
  • Vorm. Ton employeur. Celui qui t’as chargé de me suivre. Où il est ?
  • Qui ça ? Non non non, j’étais pas en train de te suivre tchièffé, je...

Je me lève d’un bond et lui envoie un coup de pied qui atterrit directement au centre de sa joue. La violence de l’impact l’envoie valser contre la commode à ses côtés et sa tête heurte la poignée en fer d’un tiroir. Il ne pousse qu’un cri furtif, mélange d’étonnement et de douleur, un bruit qu’il pourrait être normal d’entendre dans un motel comme celui-ci. Il crache un filament visqueux de sang et de salive. Je n’ai pas réussi à contrôler ma force. Oups.

N’osant le saisir par son crâne juteux de sueur, je l’attrape par l’oreille pour l’aider à retrouver sa position initiale. Il ouvre la bouche, mais je le rappelle à l’ordre avant qu’il ne puisse dire quoi que ce soit.

  • Excuse moi pour ce petit désagrément. C’est juste que… tu vois, j’ai un peu de mal avec les menteurs. Ca me fait perdre mon temps, et en ce moment j’ai VRAIMENT pas que ça à foutre. Tu comprends ?

L’homme se tient la mâchoire et acquiesce comme un petit garçon apeuré. Je me rassois dans le fauteuil, un peu plus calme et défoulé.

  • Voilà, je m’éloigne à nouveau, je te laisse respirer. On recommence, je vais formuler ça autrement. Je te laisse trente secondes pour m’expliquer clairement ce que tu fous dans ma chambre.

L’italien a l’air de puiser dans ses dernières ressources pour me faire face et me répondre. Il tourne son buste vers moi douloureusement, presque au ralenti, comme un golem de pierre sortant d’un sommeil millénaire.

  • Tout ch’que ch’voulais, c’était du fric… Ch’ai vu qu’la chambre était vide, et ch’ai choisi celle-ci… La vérité… c’est qu’ch’uis qu’un putain de chunkie. Ch’galère à trouver de l’argent pour payer mes doses en ce moment et… Ah !

Il gémit de douleur, puis crache un petit objet blanc qui détonne avec le sang qui coule de sa bouche. Je reconnais un morceau de dent, sans doute une de ses molaires, puis comme si cela lui arrivait tous les jours, reprends sa tirade nonchalamment :

  • … ch’te chure que c’est la vérité, rien de plus. Ch’t’ai pas suivi, ch’ai pas qui t’es ni de qui tu parles, ch’uis avec personne, ch’est chuste moi, pitié tchèffé, laisse moi partir, ch’dirais rien…

Je me lève à nouveau, cette fois moins brusquement, pour appuyer le canon de mon arme contre son front. J’ai l’image encore une fois de cette femme chic, et de comment sa mèche de cheveux se soulevait sous la pression du métal froid que je braquais sur elle. Juste avant qu’elle ne le dise. Pourquoi ?

Je chasse cette idée, et à bout de patience, je lance un ultimatum.

  • Dernière chance.

L’homme sanglote à présent. C’est un fait : au moment de mourir, les hommes pleurent plus facilement que les femmes. L’italien arrive à son point de craquage, c’est le moment de lui faire cracher le morceau.

  • D’accord, d’accord ! T-tu veux savoir quoi ? N… Norm, c’est ça ?
  • Vorm, Norm, peu importe le nom qu’il t’a donné ou pas. Je veux que tu me dises où je peux le trouver.
  • Et après, ch...ch’pourrais partir ?
  • Peut-être. Ca dépend vraiment de ta coopération. Dépêche.

Il semble réfléchir un instant, comme s’il cherchait à rassembler l’intégralité de ses souvenirs récents.

  • Il y a… un immeuble. C’est un squats de drogués, à Brooklyn… 55 gold street, Vinegar Hill.

Je connais le quartier. Il possède le taux de criminalité le plus élevé de toute la ville. Beaucoup d’immigrés irlandais y vivent encore. Cela ne me surprend pas le moins du monde que Vorm ait choisi un lieu de rendez-vous pareil.

  • C’est là qu’il crèche ?
  • Non, il m’a chuste dit de le retrouver là bas à...

Il renifle bruyamment, puis crache une énorme quantité d’une sainte trinité composée de salive, morve et sang, puis reprends.

  • … à 20h, tchièffé, ch’en sais pas plus, sur la tête de ma mère, pitié…
  • Pourquoi tu dois le retrouver là-bas ?
  • Ch’en sais rien du tout, peut-être pour me donner autre chose à faire. T’auras qu’à lui demander directement, ch’t’ai dis tout ch’que ch’sais !

Je tiens peut-être enfin une piste, un début de quelque chose, et pourtant je ne peux pas m’empêcher d’avoir la sensation que quelque chose ne colle pas. Pourquoi Vorm aurait-il envoyé un incompétent pareil pour faire son sale boulot ? Le type a vraiment l’air d’un junkie de surcroît. Puis j’ai soudain la révélation. C’est un message.

Le rendez-vous de ce soir, ce n’est pas pour l’italien, mais pour moi. Sinon, pourquoi envoyer un pauvre rebut fouiller une chambre que Vorm savait pertinemment vide, d’autant plus qu’il a un accès intégral à mon appartement ? Son but n’est pas de me voler, mais d’entrer en contact avec moi par l’intermédiaire de ce pauvre gars, qui n’est qu’un messager, finalement. Il a dû faire en sorte que je tombe sur lui, en train de fouiller ma chambre, car il savait que j’allais lui soutirer ces informations. Le fait qu’il sache dans quelle chambre de quel motel je me suis réfugié n’est pas non plus très difficile à envisager. Je suis observé sans relâche, et finalement, peut être que Dhirt y était pour quelque chose...

D’accord Jason, le rendez-vous est pris. J’y serai, et j’espère que toi aussi.

L’homme me tire de mes pensées.

  • T’as dis qu’ch’pourrais partir maintenant...

Je pourrais très bien laisser s’en aller cet homme, car si mes déductions sont exactes, il n’est qu’un pion bien inoffensif, et donc le cadet de mes soucis à l’heure actuelle. Mais qui peut savoir avec certitude ce qu’il fera si je lui rendais sa liberté ? Sûrement trouver d’autres larcins de bas étage à commettre et retourner à sa vie de nuisible, mais s’il y avait autre chose et que je me trompais ? Je ne peux pas le laisser partir et prendre un risque inconsidéré.

  • Je t’ai rien promis, “tchèffé”.
  • Non, pitié, ch’ai une fille, che peux pas mourir sans lui dire au revoir !
  • Ouais, ça m’étonnerait ça…

Et pour me prouver le contraire, l’homme baisse la tête et porte une de ses mains à son médaillon, qu’il ouvre en deux. A l’intérieur de celui-ci, à côté d’une vierge Marie gravée dans l’or, l’homme tapote du doigt le portrait d’une petite fille souriante d’environ cinq ans avec de longs cheveux blonds.

  • Si, si, regarde, ma fille ! Tu as des enfants toi aussi ?
  • Non.
  • Elle… ch’est toute ma vie, ch’veux chuste au moins la revoir une dernière fois, ch’peux pas partir comme ça, ch’t’en supplie, elle…

Je ferme les yeux et tire. Le sifflement de la détonation du silencieux le coupe net dans sa phrase et plonge à nouveau la chambre dans le silence. L’homme s’écroule à la renverse, le médaillon reposant grand ouvert sur son torse, au niveau de son coeur.

Bon, ok, t’avais une fille, et alors ? Je ne pense pas que tu lui manqueras sincèrement. T’étais plutôt le genre de camé à avoir une injonction d’éloignement, à être violent, repris de justice, et drogué jusqu’à la moëlle. C’est ce que ferait un bon père ? Je ne pense pas, et je préfère me dire ça, parce que sinon…

Je me tiens immobile, mes yeux ne parviennent plus à se détacher du portrait autour de son cou. Des milliers de pensées et de sentiments m’assaillent simultanément. L’univers autour de moi se fond dans une bouillie de couleurs ternes et de formes abstraites. Seul le portrait demeure net, insistant, comme accusateur. Le sourire angélique sur ce visage incarnant l’innocence pure me donne l’impression de brûler vif, et je bouillonne tout à coup.
Je me laisse retomber sur le fauteuil très lourdement, puis, progressivement, le décor cesse de danser. La chambre reprend son aspect habituel, et mon sang sa température normale. Qu’est ce qui m’arrive ? Brooklyn. Vinegar Hill. 55 Gold Street. 20h. Tout me revient au compte-goutte. C’est tout ce qui importe à présent. Rien d’autre.

Tant pis pour mon manque de sommeil, car même si j’ai plus que jamais besoin de repos à cet instant, j’ai désormais autre chose de prévu. Comme on dit : “ on dormira quand on sera mort”, c’est ça ?

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