Chapitre 5

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Elle était tellement élégante. Je me souviens lui avoir tenu la main lorsque nous sortions de cette réception, sous les étoiles invisibles d’un ciel d’encre pollué par la luminosité des avenues. Nous venions de célébrer quelque chose d’important, assez en tout cas pour que nos sourires illuminent la nuit comme des phares au bout de la jetée. Elle m’a murmuré quelque chose à l’oreille, et la clarté que nous dégagions redoublait d’intensité. Sous nos pieds, le sol avait la douceur du coton, et nous avancions en lévitation, impalpables comme des nuages dans un ciel estival nébuleux. Impossible de déterminer combien de temps tout cela avait duré. Une seconde laissait l’arrière-goût d’un siècle, ou peut-être était-ce l’inverse. J’ai sorti une cigarette de ma poche, et à peine avait-elle atterri entre mes lèvres qu’elle me la subtilisa avec une grande complicité pour la placer entre les siennes. Elle ne fumait plus pourtant, et il était dès à présent certain que ce soir-là se teintait d’extraordinaire. Comme pour achever d’imprimer ce moment dans l’infini, elle ôta ses talons en pleine rue, et nous nous mirent à rire jusqu’à l’épuisement de nos souffles tandis que ses collants s’effilaient sur le trottoir en direction de la voiture. J’ouvris sa portière afin de la laisser s’asseoir, comme si nous étions issus d’un long-métrage romantique, à la différence près que nos actes n’avaient rien de surjoué. Nous ne suivions aucun script, si ce n’est celui, spontané, de nos coeurs en émoi. J’ai pris le volant, et sa main légère comme une brise s’est posée sur ma jambe lorsque nous prirent la route vers un horizon dans lequel nous étions indissociables.

Je sursaute. Est-ce que je viens vraiment de m’endormir debout, dans la rue ? Si ce putain de cauchemar ne m’avait pas sorti de cette torpeur, je me serais sûrement écroulé sur le trottoir en piquant du nez. Je consulte l’heure à mon poignet : 19h55. Cinq minutes de plus et j’aurais raté mon rendez-vous. En même temps, je suis sur place depuis plus d’une demi-heure, immobile, à guetter les allées et venues devant la porte du squat. Je me tiens dans l’ombre, un peu à l’écart, dans un renfoncement entre deux bâtiments, propice à l’endormissement quand on manque autant de sommeil que moi. J’ai une vue dégagée, sauf qu’à présent, il m’est impossible de savoir ce qui s’est passé durant ma somnolence, qui a bien duré un bon quart d’heure au moins.
Dormir, c’est une perte de temps monumentale dans nos vies. Je rêverais de ne jamais avoir à ressentir le besoin de sommeil, et d’être toujours en forme vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Vous imaginez le temps que cela ferait gagner à l’Humanité ? Le boulot ne s’arrêterait jamais. Je visualise déjà bien les petits Chinois dans leurs usines, à leur poste pendant des semaines, des mois consécutifs, avec simplement des pauses pour manger ou pour aller pisser. J’aimerais cependant être le seul doté de cette faculté, sinon quel intérêt ? J’ai besoin d’être en avance sur les autres, pas sur le même pied d’égalité. Parfois, je regrette de ne pas avoir un petit sachet de cocaïne sur moi, à n’utiliser seulement qu’en cas d’urgence, comme ce soir.
20 heures. Je redouble de vigilance et décide de patienter quelques minutes de plus pour observer, avant de devoir me jeter tête baissée à l’intérieur du bâtiment où un meurtrier désespéré et sadique m’attend éventuellement. Et justement, il y a du mouvement au coin de la rue.
Deux hommes sur le trottoir d’en face avancent en direction du 55 de cette rue. Ils braillent fort, mais pourtant leur accent à couper au couteau m’empêche de saisir le moindre mot de leur conversation, si bien que je me demande s’ils ne parlent pas une langue étrangère aux sonorités similaires à la mienne. De l’Irlandais, par exemple. Je parviens à comprendre les insultes, cependant. L’un d’eux fait tomber ses clés et s’écrie “CUNT !” prononcé “ Quont !”. L’autre rigole, et au milieu d’un charabia lui réponds “SHIT !” prononcé “Shaït !”. Il n’y a pas besoin d’être un très grand observateur pour constater que ces deux-là se trouvent dans un état d’ébriété particulièrement avancé. Évidemment, ils s’immobilisent devant la porte du squat. Celui de droite mime une felation avec une partenaire invisible devant son pote, hilare, et ils pénètrent à l’intérieur du bâtiment.
Je ne peux pas m’avouer vraiment surpris. Je ne me suis jamais attendu à ce que les personnes qui fréquentent ce genre d’endroit soient des génies, et même s’ils l’étaient il fût un temps, l’alcool, la drogue, et toutes les substances qu’ils peuvent s’envoyer quotidiennement ont sûrement dû terminer de déconnecter leurs derniers neurones restants. D’ailleurs, Vorm doit sûrement se terrer à l’intérieur depuis un moment. Je vérifie que mon arme est toujours accrochée à ma taille sous ma longue veste, et après encore une poignée de minutes, je sors de ma cachette. Je traverse la rue, et à mon tour, je m’engouffre à l’intérieur du taudis.

J’arrive dans une minuscule cage d’escalier remplie de fumée de tabac comme dans l’espace fumeur d’une boite de nuit. À ma gauche sont alignées contre le mur une dizaine de boîtes aux lettres anonymes. En face de moi, juste à droite de l’escalier qui monte jusqu’aux étages, je remarque d’abord un tapis de style oriental étalé au sol dans la poussière. Sur celui-ci, je trouve un petit morceau de carton sur lequel est inscrit “Je suce pour de l’espèce”. La personne ayant écrit ceci étant absente, j’imagine que son alléchante proposition a dû faire des heureux. Derrière ce tapis, tout au fond de cette entrée minimaliste, il y a une porte grande ouverte, s’ouvrant sur des escaliers en pierre qui descendent jusqu’à ce que je suppose être une cave ou un local commun. Je ne préfère même pas imaginer ce qui doit être en train de se produire en bas, et emprunte l’escalier à ma droite, celui qui monte aux étages. En provenance d’un peu plus haut, je commence à percevoir de la musique, et pour une fois, je suis ravi que quelqu’un ait eu la désobligeance de partager sa playlist pour tout le couloir, car sinon je n’aurais eu aucune indication sur l’appartement dans lequel je dois me rendre.
C’est donc guidé par des rythmes techno-dance que j’arrive jusqu’au palier qui me semble être le bon. La porte d’un appartement est entrouverte, et derrière, le volume de la musique ne laisse aucune méprise sur le genre de soirée décadente qui s’y déroule. Je tâte encore une fois ma taille, et le contact rassurant raide et dur de mon arme me donne le courage nécessaire pour entrer.
Même un camp de concentration devait avoir des allures de fête d’anniversaire à côté de ce que je trouve à l’intérieur du logement.
Je débouche dans un salon décoré uniquement par quelques matelas sales et rongés qui jonchent le sol ici et là, ainsi que d’un canapé trois places que je devine infesté de punaises. La chaîne stéréo portable qui ambiance la pièce est posée sur l’unique table basse présente, au milieu de déchets en tout genre qui l’ensevelissent presque. Je compte à vue d’oeil une dizaine de personnes rien que dans cet espace humide et confiné, où la musique couvre absolument tous les autres sons et fait vriller mes tympans de manière désagréable. Certains sont allongés sur les matelas par terre, complètement amorphes et inconscients, la plupart avec un garrot noué sous leurs épaules frêles. Deux autres occupent le canapé : un homme et une femme, les yeux grands ouverts comme s’ils voient quelque chose de merveilleux dont eux seuls peuvent en être témoins.

Lorsque je m’avance légèrement dans la pièce, en enjambant les bouteilles vides et les flaques de vomi séchées, l’homme sur le canapé détache son regard du néant qui l’absorbait et se met à me fixer intensément. Je ne suis pas du genre à m’effaroucher pour un oui ou pour un non, mais la façon qu’a cet individu de me dévisager me plonge dans un puissant sentiment de malaise. À ses yeux, je me sens comme un sac de riz apporté par l’Unicef devant une assemblée de petits Africains maigres comme les branchages d’un bois mort. Voilà très exactement comment je me sens à cet instant. Je m’attends à ce qu’il jaillisse sur moi, les bras et les crocs en avant, mais il reste immobile. Sans baisser ma garde pour autant, je me recentre sur mon objectif. Rien ne laisse penser que l’homme que je recherche se trouve ici, et pourtant je le sens, comme un requin flairant une goutte de sang transportée par les courants océaniques à plusieurs kilomètres à la ronde.
Je commence à explorer l’endroit et avance jusqu’à un couloir exigu rempli de tags plus ou moins obscènes, et donnant sur trois pièces fermées. Je n’ai pas très envie de faire ce que je m’apprête à faire, mais faute d’une meilleure approche, ma main se pose déjà sur la poignée glissante de la première pièce sur ma droite.
Il s’agit d’une chambre, comme on aurait pu s’en douter. Celle d’un enfant, d’une petite fille même, pour être plus précis, si je dois en croire le papier peint rose délabré et partiellement déchiré qui recouvre les murs, dont la frise représente une chaîne continue d’oursons se donnant la main. Le décor ressemble à celui que l’on pourrait trouver en explorant les habitations abandonnées de Pripyat, la ville fantôme évacuée précipitamment après la catastrophe nucléaire de Tchernobyl. Tous les jouets et le mobilier encore en place semblent avoir subi les affres du temps et des radiations. Tout cela n’est pourtant pas le spectacle qui attire l’oeil en priorité.
Sur le lit déchiré et dénudé, j’interromps les ébats de deux hommes entièrement nus en position de levrette. Celui qui se trouve à l’arrière s’acharne comme un forcené en transpirant comme un obèse face à un ascenseur en panne, tandis que celui qui se fait sodomiser mord dans sa main jusqu’au sang comme pour se retenir de lâcher des beuglements mêlés de plaisir et de souffrance inhumains. Mon irruption dans la pièce ne les refrène nullement dans leur acte ; ils ne lèvent même pas un regard vers moi. Le putain d’immeuble pourrait prendre feu qu’ils continueraient de s’enculer jusqu’aux cendres. Je ne l’ai pas remarqué tout de suite, mais un troisième individu se trouve dans le coin de la chambre à côté du lit. Celui-là n’en perds pas une miette, et il fait même mieux que ça. De sa main gauche, il tire sur une ceinture noire fermement enroulée autour de sa gorge jusqu’à suffocation, tandis qu’avec l’autre, l’homme se branle si fort que j’entends les coups de poignet qu’il se met dans les couilles à chacune de ses allées et venues.
J’en ai vu suffisamment pour refermer la porte quasiment immédiatement.

Mauvaise pioche.
Après ça, j’ai encore moins envie de tenter ma chance sur les deux autres pièces du couloir, mais je dois mettre fin à cette histoire et le plus tôt sera le mieux. Et puis, j’ai été témoin de choses bien plus déstabilisantes au cours de ma fructueuse carrière, et je sais que cette fois-ci ne sera pas la dernière. J’oublie en un instant ce que je viens de voir, et tourne les talons pour faire face à la seconde porte. C’est plus déterminé que jamais que je l’ouvre.
J'atterris dans une seconde chambre, tout de même mieux conservée que la précédente, et inoccupée cette fois-ci. Dans son agencement, elle est similaire à l’autre, hormis le fait que la décoration ici est neutre, sans indication sur l’âge ou le sexe de son ancien propriétaire. Il y émane cependant une odeur de ferraille très intense, comme celle d’une tuyauterie vétuste qu’on aurait laissé rouiller pendant des décennies. Je comprends la provenance de cette pestilence lorsqu’en balayant l’endroit de mes yeux, mon regard se stoppe sur la quantité importante d’hémoglobine séchée qui est étalée au sol. Il y a assez de sang pour laisser penser qu’un meurtre ou qu’une opération clandestine a eu lieu ici, pas plus tard qu’il y a quelques jours seulement. Les effusions s’étendent même jusqu’au mur, en petites gouttelettes, qu’ils gravissent comme si de grands coups avaient étés assénés à de multiples reprises sur quelqu’un ou quelque chose de bien vivant au moment des faits. S’il y a bien une chose que je sais reconnaître après tout, c’est une scène de crime. Mais cela n’a pas l’air d’être lié à ce que je recherche, et sans plus d’indices, je retourne dans le couloir.
Il ne me reste que la pièce du fond à explorer, et en toute logique il devrait s’agir d’une salle de bain. Juste avant celle-ci, un graffiti en rouge sur le couloir indique : “Charlie Sheen a le sida”. Je termine mes investigations et pousse la porte.
La salle de bain est étonnamment spacieuse pour un appartement de ce type, mais il est difficile de se l’imaginer neuve tant la pièce est gouvernée par le chaos. Les toilettes débordent d’un liquide goudronneux et nauséabond. Le lavabo est en miettes ; sa vasque en céramique est fracturée en plusieurs endroits, et il en manque même une importante partie. Le carrelage que je devine autrefois blanc et étincelant est recouvert d’une grande diversité de produits : seringues vides, bandages ensanglantés ou jaunes de pus, garrots, plusieurs paires de chaussures sans lacets, emballages de produits médicaux divers, boîtes de médicaments vides, tests de grossesse… Du coin de l’oeil, je perçois même du mouvement à certains endroits sous cette montagne de déchets, preuve qu’une forme de vie s’y est développée et prospère tranquillement.
Une femme est étendue dans la baignoire, seulement vêtue de sous-vêtements blancs. Ses côtes sont creusées comme une exploitation de calcaire. Elle est inconsciente, et son bras dépasse du tub, ce qui me permet de remarquer que sa peau est totalement nécrosée à l’intérieur du repli de son coude. De la plaie suinte un liquide séreux. En général, cette mort des tissus cellulaires ne demande qu’à s’étendre, et lorsqu’il devient trop douloureux de se piquer toujours au même endroit, on rivalise d’ingéniosité pour en trouver des nouveaux. Il est déjà arrivé que certains toxicomanes masculins les plus intrépides s’injectent de l’héroïne ou du Subutex directement dans le sexe, et plus particulièrement dans l’extrémité de leur organe. Sans prise en charge, la plupart ne sont pas restés des hommes bien longtemps, après que leurs queues noires comme des merguez cramées au barbecues se soient détachées de leurs corps.
La musique se coupe soudainement, et je perçois une ombre se déplacer derrière moi. Je fais volte-face immédiatement, prêt à dégainer comme un cow-boy en plein duel. Je reconnais l’homme qui me dévisageait un peu plus tôt depuis le canapé. Il se tient à l’entrée du couloir, pile sur la délimitation avec le salon, et me barre complètement le passage. Il tente d’établir un dialogue dès qu’il croise mon regard.

  • Toi… Je te connais toi… Où est-ce qu’on s’est déjà croisés ?

Comment le saurais-je ? J’ai approché tellement d’ordures dans ma vie que je ne les considère plus comme des humains à part entière, mais plutôt comme des éléments de décor sur un plateau de tournage.

  • Nulle part, et tu vas me laisser passer sinon t’auras une bonne raison de te souvenir de moi.
  • Hey, relax ! C’est bon délire, tu vois, je veux juste discuter !
  • Pas moi.

Il continue comme s’il avait interprété l’exact opposé de ce que je venais de lui répondre.

  • Je vois que tu cherches quelque chose, t’as besoin de quoi ? J’ai tout ce que tu veux : weed, bupe, speed-ball, champis…
  • Rien du tout, je suis pas là pour…
  • … kétamine, LSD, PCP, MDMA…
  • Je ne…
  • … meth, amphets, héro, ecsta, GHB, alcool…
  • Je cherche Jason Vorm !

J’ai levé la voix un peu plus fort que prévu, au point de crier presque. Je réalise que même sans la musique assourdissante, il est loin de régner un silence complet dans l’appartement, entre les gémissements et les interjections des convives en plein trip, et les claquements mouillés des deux gars toujours en pleine action dans la piaule d’à côté. L’homme en face de moi, surpris par mon haussement de ton, cesse son énumération et me considère à nouveau comme si j’étais une sorte d’extraterrestre vaguement humanoïde.

  • Qui ? Jason v… Ah mais ça y est, je te replace, je sais qui t’es ! T’es le mec qui...

Un flash, bref comme celui d’un éclair, me fait décrocher de sa voix. D’abord bleu, puis rouge, et encore bleu. Les couleurs se reflètent sur le visage de mon interlocuteur depuis l’une des fenêtres sans rideau du salon. Je n’écoute déjà plus ses élucubrations lorsque je le bouscule afin de pouvoir me frayer un chemin et jeter un coup d’oeil à travers la vitre tâchée la plus proche.
Les flics. En contrebas dans la rue, deux voitures, une camionnette, et une berline noire banalisée dont seul un gyrophare bleu posé sur le toit la différencie des autres modèles du même genre. Mon sang ne fait qu’un tour, et je me retourne vers le camé.

  • T’as appelé les flics ?

Il a l’air profondément traumatisé.

  • Quoi ? Je vis ici, j’ai plus de matos ici que n’importe qui d’autre dans le quartier, pourquoi j’appellerais…

Je sors mon arme. Décidément, c’est devenu un automatisme, ces derniers temps. Je lui colle contre les narines si fort que son nez se retrousse comme celui d’un porc.

  • Ils ne doivent absolument pas me trouver. Dis moi tout de suite par où je peux m’enfuir en vitesse avant que je te fasse sauter tout le visage.

L’homme renifle comme soudainement pris d’un gros chagrin de nourrisson qui a un énorme rot coincé dans la gorge. Son bras se lève en direction du couloir. Il désigne la chambre de gauche ; pas celle où à l’heure actuelle trois personnes sont sur le point de jouir à l’unisson, et heureusement.

  • La première chambre… Par la fenêtre, le… l’échelle de service !

Je résiste à l’envie très pressante d’exploser la cervelle de ce type. Mon doigt vibre sur la gâchette comme pris de micro-spasmes. Mais le buter ici n’aurait pas été très constructif, sachant que la police est sur le point de débouler dans l’appart d’une seconde à l’autre. Je le libère et l’envoie valser plus loin dans la pièce. Il trébuche sur un homme rachitique allongé sur l’un des matelas par terre et s’écroule de tout son long en direction de la cuisine ouverte un peu plus loin.

Je cours vers la chambre de gauche et défonce presque la porte en l’ouvrant. L’odeur de sang séché n’alerte même plus mon sens de l’odorat : toute mon énergie est consacrée à mon évasion de ce trou à maladies. Je me jette sur l’une des deux fenêtres dont dispose la pièce et la soulève. Elle donne effectivement sur un petit escalier de secours en ferraille qui descend jusqu’au deuxième étage, où une échelle non déployée termine de relier les étages à la rue. Personne ne se trouve de ce côté-ci de l’immeuble, les flics n’ayant certainement pas encore eu le temps de se déployer et de cerner le périmètre, mais cela ne doit s’agir que d’une question de minutes, voire de secondes. Au dessus de cette ruelle sombre et donc pour l’instant déserte, j’enjambe le rebord de l’encadrement de la fenêtre et me propulse à l’extérieur, posant mes pieds sur la surface métallique bringuebalante de l’escalier de secours. Ce dernier tangue comme un bateau en pleine mer, et mon poids et ma précipitation au moment de dévaler les marches le font grincer horriblement fort dans la nuit.
Évidemment, que ce rendez-vous était un piège, comment ais-je pu être aussi naïf ? Pourtant, je me demande pourquoi Vorm me tendrait un guet-apens de ce genre. Si son but est de m’éliminer, pourquoi cherche t-il à obtenir mon arrestation ? Je peine à extirper la moindre logique dans son raisonnement cette fois-ci, à moins que…

À moins que cela confirme l’une de mes premières théories : Vorm fait partie de la police. Un cogne mû par le désir de vengeance, et une fois entre les griffes de la police je serais dans son élément, où ma parole n’aura qu’une maigre valeur contre la sienne, où l’autorité fait foi. C’est l’unique explication plausible, et tout cela commence à être clair à présent.

J’arrive au niveau de l’échelle, à encore deux étages au dessus du parquet des vaches. Celle-ci n’est pas éployée afin d’éviter que n’importe qui ne puisse accéder aux fenêtres des habitations librement depuis la rue. Elle est maintenant dans cette position par une sorte de levier complètement rouillé. Malgré que je l’actionne de toutes mes forces, le verrou ne s’active pas et l’échelle reste en place sans descendre d’un centimètre. Je tente de passer mes doigts dans le mécanisme, un peu à tâtons, afin de l’activer manuellement, mais aucune de ses pièces ne réagit à mon contact. Au bout de la rue, une autre voiture de police vient de dévaler l’avenue en passant devant l’entrée de la ruelle, et ses gyrophares m’éclairent parfaitement l’espace d’un instant. Je comprends ce que peuvent ressentir les cerfs qui restent immobiles sur l’autoroute, une fois pris dans les phares. Je n’ai plus le choix.

Le silencieux de mon arme étant toujours en place, je tire à deux reprises sur le verrou de l’échelle. Il vole en une multitude d’éclats de ferraille rouge et noir, ce qui a pour effet de la relâcher dans un vacarme retentissant. Ses pieds heurtent le sol et le choc du métal contre le goudron fait naître un fracas qui se répercute dans tous les environs. Il est clair que je ne suis plus discret, à présent.
Je m’empresse de m’accrocher à l’échelle, et je me laisse quasiment glisser jusqu’en bas. Mes mains se retrouvent toutes encrassées après avoir essuyé ainsi l’oxydation des barreaux, mais je n’ai pas le temps de me demander à quand remonte mon dernier vaccin antitétanique. Depuis l’extrémité de la ruelle, par là même où il y a quelques secondes à peine j’ai vu surgir une voiture de police, j’aperçois une silhouette, puis une seconde, et enfin une troisième, toutes munies de lampes torches aveuglantes et braquées vers moi. L’une d’elle m’interpelle, et à ce moment, j’entame un sprint dans l’espoir de sauver ma vie.

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