Chapitre 38.5 : Victor "Maria ?"

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Je n’en reviens toujours pas. Comment pourrait-on appeler cette révélation ? De la magie. Dans ce jardin au doux parfum de roses se tient mon grand-père. Comme j’aimerais pouvoir le dire à Joséphine. L’amour de sa vie est assis à mes côtés. Je ne peux pas en vouloir à cette femme formidable d’avoir gardé le secret. Marius ne me quitte plus des yeux, il a ce regard plein de tendresse qui me bouleverse. Une douce chaleur envahit mon cœur, une enveloppe agréable. Elle colmate tant de douleurs. Je réalise par la même occasion que je ne suis plus seul au monde.

C’est peut-être horrible de penser ça alors que mes parents sont toujours en vie. Pourtant, ils sont tellement absents que je suis devenu un orphelin des sentiments à la mort de Joséphine. Je suis parti de Paris pour m’assurer que la sécheresse laissée par mes géniteurs ne m’a pas tari le cœur. Au cours de chaque étape de mon voyage, j’ai trouvé des oasis où j’ai pu m’abreuver et réaliser que je n’étais pas coupable. Aujourd’hui, je ne sais pas si je leur en veux, si je les déteste ou si je ne devrais pas les appeler pour les remercier. En m’ignorant, ils m’ont offert le courage de m’envoler de mes propres ailes. Ils ne m’auront pas couvé et étouffé, ils se seront contentés d’être des fantômes. En posant ma tente à la Rochelle, je viens de découvrir que j’ai une famille, un grand-père et un cousin : Maël. Est-il au courant ? Est-ce que Marius lui a parlé de Joséphine ? Et sa femme où est-elle ? Le savait-elle ? Et ma mère dans tout ça ?

  • Victor, comment va ta maman ? me demande Maruis hésitant.
  • Bien, enfin je suppose. Tu l’as déjà vue ? osé-je demandé timidement de peur de le mettre mal à l’aise.
  • Une fois, une seule et par le plus grand des hasards. Encore un… répond-il en avec un sourire, comme celui que m’offrait mamie pour me rassurer.
  • Tu vas me trouver dur, mais pourquoi n’as-tu pas chercher à la connaître ? Après tout, elle est aussi ton enfant ?
  • Parce que j’avais refait ma vie et je ne pouvais pas rompre la promesse faite à Joséphine, dit-il avec un trémolo dans la voix.

Marius m’attrape la main pour s’assurer que je ne disparaisse pas. À mon tour, je la serre de peur qu’il ne s’échappe. Quant à Arthur, il continue de se montrer discret et n’ose pas intervenir dans notre conversation. J’apprécie sa présence. S’il savait, cela me rassure et me soutient. Le temps semble s’être accéléré depuis que nous avons franchi la porte de cette maison. Les heures s’égrènent et sèment leurs lots de surprises. Les minutes défilent et filent dans le sablier des souvenirs où chaque grain échappé conduit sur le chemin de mon passé. Les secondes fuient et s’enfuient inexorablement emportant avec elles mes peurs et mes doutes.

J’ai l’impression de feuilleter un album photos retrouvé après des années de recherche dans une malle abandonnée au fond d’un grenier dont on avait égaré la clé. Un vieux film noir et blanc passe devant mes yeux, sans aucun son pour me rassurer. Mon imagination brode avec hésitation un patchwork des morceaux de vie éparpillés. Les questions s’amoncellent dans des espaces où j’ai déjà amassé bien trop de poussières. Il est l’heure pour moi de faire un grand ménage, d’ouvrir les tiroirs pour évacuer les résidus entassés. Faire le tri pour enfin avancer et me construire pleinement.

  • Marius s’il te plait j’ai envie de connaître ton histoire. Je veux en faire partie à mon tour. Je ne veux pas juste être une carte postale envoyée de la Rochelle.

La boîte à trésor est ouverte, les vérités prêtes à être révélées, levant ainsi le rideau sur le secret si bien enfoui dans le cœur des amoureux. Je suis à la fois triste et heureux. L’impatience me gagne, je suis un marin prêt à affronter les tempêtes pour découvrir le nouveau monde. Je trépigne et grimpe au grand mât secoué par les vents. J’ai hâte de défaire les nœuds qui retiennent les voiles pour que le vaisseau prenne la mer quel que soit le danger qu’il affrontera. Je m’agite sur la chaise, me balance. Arthur me rattrape juste avant que je ne finisse par m’assommer contre le coin de la table.

  • Bon Marius, ne le faites pas trop attendre. Je pense que votre petit-fils ne va pas tenir bien plus longtemps dit-il en éclatant de rire.
  • Alors je me lance, mais j’y pense, Maël ne vous attend pas ? demande-t-il avant de poursuivre.
  • Oh c’est vrai j’avais complètement oublié. Quelle heure est-il ?
  • Bientôt vingt heures , heure à laquelle il finit son service le jeudi.
  • Mince, il nous avait demandé de le rejoindre à la sortie.
  • Alors ne le faites plus attendre. Je serai toujours là quand vous rentrerez, promis.
  • Mais…

Pas le temps de finir ma phrase que Marius s’approche pour m’embrasser sur le front.

  • Arthur, tu pourrais aller en éclaireur et je vous rejoindrai , proposé-je.
  • Oui pourquoi pas, ça vous laissera un peu de temps tous les deux pour discuter.
  • Tu es sûr que cela ne te dérange pas ? dis-je mal à l’aise de le laisser tomber.
  • Non, enfin j’aurais bien voulu connaître la suite de l’histoire mais je pense qu’il est temps que je m’éclipse. Si tu as besoin de moi, tu m’appelles.

Cette fois, j'attrape Arthur pour le serrer fort contre moi et lui dire au coin de l’oreille :

  • Merci pour tout, vraiment tu es génial.

Avant de relâcher l’étreinte, il ajoute :

  • Ne tarde pas trop, je veux aussi passer cette soirée avec mon ami.

Marius me propose de rentrer et il en profite pour s'asseoir confortablement dans un fauteuil. Un labrador vient s’allonger à ses pieds. Je n’avais pas remarqué jusque là sa présence. La pièce dans laquelle nous sommes est agréable. La cheminée éteinte en cette période donne du cachet à l’espace. Tout est soigneusement rangé de la bibliothèque où les livres ont toute leur place jusqu’au piano à côté de l’immense baie vitrée. Elle inonde de lumière le salon. Je parcours du regard les quelques photos posées sur le buffet. Ces instantanés de vie sont charmants et surtout les sourires sur les visages illuminent les cadres figés. Je m’interroge sur les personnages bien que je reconnaisse sans trop de mal Maël debout à côté de son grand-père. Sur une autre, il y a une femme magnifique dans sa robe de mariée.

  • C’était ma femme Eloïse, la grand-mère de Maël.
  • C’était… Oh je suis désolée.
  • Ne le sois pas. Elle a comblé ma vie pendant les trente années que nous avons eu la chance de partager.
  • Vous l’aimiez ?
  • Oui je l’aimais… il marque une pause, songeur et continue … de façon différente. Mais mon cœur n’a jamais pu oublier Joséphine. De notre union est né un garçon. Nous voulions plusieurs enfants mais son état de santé ne le permettait pas.
  • J’ai donc un oncle… dis-je avec enthousiasme. Oui, forcément pardon, je suis un sombre idiot. Comment s’appelle-t-il ? ajouté-je rapidement pour ne pas être plus bête que je ne le suis déjà.
  • Cette fois, c’est moi qui vais te paraître fou. Nous l’avons appelé Joseph. Comme ta grand-mère a choisi d’appeler notre fille Maria.
  • Maria, tu es sûre? Ma mère se nomme Julia.
  • Ah, dit-il avec tristesse, poursuit et souhaite visiblement changer de sujet au plus vite. Si tu veux, demain nous pourrions aller voir mon grand.
  • Est-il au courant de tout ça ?
  • Oui quand sa mère est morte, j’ai perdu une nouvelle partie de mon cœur. Me voyant au plus mal, il a voulu trouver ce qui pourrait me réconforter. Et je lui ai tout avoué.
  • Qu’est-ce qu’il en pense du fait d’avoir une demi-sœur ?
  • C’est là que tout se complique.

Je regarde Marius, à présent il cherche ses mots. La suite de son récit ne coule plus avec autant de clarté. Il accroche les phrases, ses yeux se troublent, les larmes roulent sur ses joues. Je n’en reviens pas, comment a-t-elle pu se montrer si cruelle ? Il hésite à poursuivre, je sens cette détresse qui m’a trop souvent côtoyée. Oh mamie pourquoi n’es-tu pas là ? Je crois que nous sommes tous les deux au bord d’un précipice et il ne faudrait pas grand-chose pour qu’il nous aspire. La colère monte en même temps que l’incompréhension. Je comprends peu à peu la relation que mère et fille entretenaient. J’ai souvent assisté à leurs disputes, les paroles de ma mère étaient de vrais couteaux, tranchants, froids et aiguisés. Mon père fuyait automatiquement la zone de combat, bien trop lâche pour entreprendre quoi que ce soit.

Tout à coup, je me souviens. Ma mère nous avait rejoints à la Rochelle une journée, prétextant qu’elle voulait souffler mes bougies. C’était la meilleure, elle l’avait fait en tout et pour tout trois fois pour autant que je me rappelle. Elle s’était pointée le matin pour repartir en fin de soirée. Ça avait chauffé, les bougies ont dû finir par s’éteindre toutes seules. Puis comme un soufflé était aussitôt retombé. Elles avaient conclu une trêve, je comprends maintenant pourquoi. La boule coincée dans mon ventre grossit, je n’en peux plus. J’ai envie d’exploser, d’expulser ce poids. Je suis à deux doigts de prendre le premier train en partance pour Paris pour lui demander des comptes. Je serre mes poings, je sens mes ongles entrer dans ma paume. Je bous de l’intérieur, des sueurs froides perlent sur mes tempes.

Mais putain où est ce dragon qui saura me libérer de mes amarres définitivement comme me l’a promis Joséphine ? Le papillon que je suis a besoin de s’envoler et de vivre.

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