Chapitre 39.1 : Samy "Nos pères, des supers héros."

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J'attends devant la cuisinière, l'eau bout. J'observe les aiguilles du vieux coucou accroché au mur. Le mouvement régulier du balancier fait redescendre la pression emmagasinée depuis des heures. L'orage s'est apaisé, à nouveau il se fait tempétueux. Les gouttes d'eau tambourinent sur les volets. Elles déversent des larmes de colère, c'est ainsi que ma mère les appelait quand tout petit je me cachais dans le lit parental. Elle aimait à raconter que si elles étaient invitées à entrer, elles transformeraient nos maisons en piscine. J'adore les histoires tissées par ma maman, tout était prétexte à jouer avec les mots. Ici et maintenant, je songe à la chance d'avoir eu une enfance et une adolescence sereine entourée d'une famille aimante.

De la buée s'échappe de la casserole, lentement un nuage se forme. Perdu dans mes pensées, mon imagination vagabonde. Mon corps est ancré dans le fort, mon âme erre sur les sommets des Pyrénées. Le dragon, ce doux surnom donné par mon grand-père ne me quitte depuis ma petite enfance. Je pense à ma petite Sarah, elle me manque. Je serais prêt à m'envoler pour pouvoir la serrer dans mes bras. Je regarde mon portable, trois heures du matin s'affichent. J'hésite à envoyer un message et me reprend aussitôt, hors de question d'inquiéter mes parents. J'ouvre mes photos, juste pour me rassurer. Découvrir leur sourire ourle le mien de douceur.

  • Tu souris en surveillant l'eau du thé, m'interroge Vince qui m'observe depuis le canapé.
  • Hein, quoi, réponds-je me rappelant que je suis à des kilomètres de chez moi.
  • Oula, mais tu étais parti loin.
  • Oui pardon.
  • Ne t'excuse pas, je te comprends. Je suis le champion des absences temporaires. On pense que je suis ici mais mon esprit est perdu ailleurs.
  • Je pensais à mes parents...
  • Je me doute que ce que je t'ai raconté t'a perturbé, dit-il en s'excusant.
  • Peut-être, je ne sais pas ce que j'aurais fait dans la même situation, ce que j'aurais ressenti si j'avais perdu mon père ...
  • Un vide absolu ...
  • Pardon je ne voulais pas raviver...
  • La blessure...
  • C'est stupide, m'empresseé-je de rajouter tout en versant le liquide bouillant dans les tasses.
  • Raconte-moi comment est ton père, s'il te plaît Samy.
  • Tu es sûr ?
  • Oui. Pour qu'à mon tour, je puisse en faire autant.

Assis en tailleur devant la cheminée, je sens la chaleur des flammes onduler dans mon dos. Je fais le tri dans mes souvenirs préférés avec mon père et le premier qui me reviens; nos parties d'échecs. Le plateau de jeu est posé sur la table basse proche de la cheminée. C'était le rendez-vous dominical, juste un peu avant d'aller se coucher. Au début, j'observais mon grand frère, devenu un vrai expert avec le temps. Je grimpais sur ses genoux et avec tendresse il m'a appris les essentiels. À deux contre un, nous taquinions notre père, la partie n'était pas équitable. Rapidement Sarah s'est jointe à ce moment père et fils, tellement heureuse de pouvoir entrer dans notre cercle privé. Mes lèvres s'étirent avec douceur et mes yeux pétillent, ce moment précieux m'a tant apporté.

Je fixe Vince et prend la parole :

  • Pour moi, les bras d'un père enveloppent son enfant pour la première fois à la maternité et tous les suivants dès qu'on en ressent le besoin ou pas d'ailleurs. Tout est prétexte à se blottir au chaud contre son torse. Il est ce super héros, prêt à tout pour combler notre bonheur, plein de subtilités pour apaiser nos peurs, cet homme droit et fier avec de vrais valeurs. Dans ses yeux, on voit notre reflet, on veut le rendre fier pour voir les étincelles briller de mille feux. Si on le déçoit, c'est lui qui vient nous rassurer, nous faisant accepter que les erreurs sont faites pour progresser. On se blesse, il accourt et s'empresse de nous faire un tour dont lui seul à le secret. On s'interroge, il questionne pour nous offrir la liberté de trouver par nous même. Il partage ce que lui-même a vécu en se gardant bien de déballer ses peines.

Vince raconte ses expériences, ses moments avec son père. Il parle sans s'arrêter, il ouvre les vannes de son passé. Les souvenirs sont précis, il déroule le film avec minutie. Le jeune homme donne moult détails de peur qu'ils s'en aillent. Il déballe son cœur avec courage et pudeur. L'homme en colère laisse la place à cet enfant que la douleur terrasse. Il marque une pause, reprend un bol d'air, trempe ses lèvres sèches dans le thé tiède et dit :

  • Merci Samy, tu es le premier à qui je confie tout ça. Je m'en veux d'avoir fait souffrir ma mère. Je viens de comprendre et j'espère qu'il n'est pas trop tard. Nous sommes tous les deux en vie. Mon père est une partie de moi, et pour lui et aussi pour moi je me dois d'être à la hauteur.
  • Vince, ne sois pas aussi dur ou exigeant. Dis-toi qu'avant tout ce qu'il souhaite où qu'il soit, c'est que tu sois heureux.
  • Il est temps que j'avance, j'ai assez merdé.
  • Alors commence par te réconcilier avec ton meilleur ami et avant tout, dès que le jour se lève, rentre chez toi et prends ta mère dans tes bras, elle n'attend que ça.
  • Et toi ? demande-t-il avec insistance.
  • Je continue mon chemin...
  • ça te dit de rester encore quelques jours ? Je pourrais te présenter mes amis.
  • L'invitation est tentante...
  • Je sens qu'il y a un mais...
  • Je reviendrai te voir, c'est promis.
  • Je sais que tu tiendras parole alors ça me va.

Nous échangeons une poignée de main pour sceller cette promesse. Les émotions et la fatigue ont raison de nous, nous nous endormons sur un coin de canapé. Dehors la tempête fait rage, dans le fort le calme est revenu.

Quand je me réveille, j'ouvre les volets et découvre le soleil haut dans le ciel. La tempête a laissé quelques traces de son passage dans la cour. Les poubelles sont renversées et deviennent un garde-manger pour les goélands. Le vent s'est tu pour offrir un silence apaisant. J'attrape mon carnet et mon crayon, je veux profiter de ce moment de solitude pour immortaliser ce lieu. Je me positionne face à l'océan, l'étendue salée se pare d'une palette de bleu vert pastel qui me fascine. L'immensité s'étale sous mes yeux et le crayon s'anime. Mes émotions ont besoin de s'étaler sur le papier. Le dragon surgit dans un éclair, ses traits s'affinent à chacune de ses sorties. Dans son regard, des étincelles parsèment ses pupilles. Ses ailes majestueuses se déploient.

Je saisis mon portable, il est midi. Le couloir, lien éphémère entre l'île et le continent, est visible. Je me précipite pour rejoindre Vince.

  • Tu penses que nous pouvons rentrer à pied. La marée a ouvert le chemin, demandé-je essoufflé.
  • Oui, si nous partons d'ici vingt minutes maximum.

Nous remettons les lieux en état. Je nettoie la cheminée et évacue les cendres. Vince range la cuisine. Une fois nos sacs prêts, nous nous mettons en route. Mes pas, de visiteurs, empruntent ceux du guide. Le chemin du retour comme bien souvent semble plus court, les foulées plus rapides et légères. Le poids sur nos épaules s'est envolé. Cette expérience restera gravée en nous. Nous regagnons tout aussi rapidement le point de départ où tout a commencé et retrouvons Simone assise derrière son bureau. En voyant son fils dans l'embrasure de la porte, elle se lève, la chaise bascule dans la précipitation. Elle se jette dans ses bras, cela fait bien trop longtemps qu'il ne l'a pas étreint de cette façon. Des larmes s'échappent de leurs yeux, moments merveilleux entre un fils et sa mère.

Je profite des retrouvailles pour m'éclipser et pour téléphoner à mes parents. Sarah me répond :

  • Oh comme je suis contente d'entendre ta voix. Tu sais cette nuit, le tonnerre a grondé fort, les nuages se précipitaient dans le ciel, la pluie a déroulé son rideau. J'ai eu très peur. Alors, je l'ai affrontée.
  • Tu as couru voir maman, dis-je taquin.
  • Oui et elle m'a dit que le dragon soufflerait les nuages au loin.
  • C'est ce qu'il a fait ?
  • Je ne sais pas, je me suis endormie dans les bras de papa pendant qu'elle nous contait l'histoire.
  • Regarde, je t'envoie une photo du dessin de ce matin.
  • Oh Samy. Il est de plus en plus beau. N'oublie pas, il a besoin d'un papillon pour être encore plus merveilleux. Je t'aime et te passe maman, elle s'impatiente.

Après avoir envoyé un dernier bisou à ma petite sœur, je parle avec ma mère et lui donne des nouvelles rassurantes. Je lui explique mes dernières aventures. Elle me répond qu'elle est fière de ce que j'accomplis jour après jour. Pour terminer, avec soulagement j'entends la voix de son père. Nous discutons à bâtons rompus, l'appel dure bien plus longtemps que prévu pour notre plus grand plaisir. Quand je raccroche, je réalise qu'il est déjà quinze heures et qu'il est temps pour moi de reprendre la route. Vince me raccompagne pour récupérer mon vélo et mes affaires. Il est tellement bavard que je n'ai pas le temps d'en placer une.

  • Samy, encore merci pour tout.
  • Je n'ai pas fait grand-chose.
  • Tu plaisantes, j'espère.
  • Le plus important au moment du départ, c'est de savoir que ceux que l'on laisse derrière soi sont heureux avant tout. Est-ce le cas pour toi ?
  • Si je te dis non, tu restes ?
  • Bien essayé, tu es malin...
  • Allez, file, La Rochelle t'attends et puis Paris.
  • Je ne t'oublierai pas, ajouté-je pour le rassurer.
  • Comment pourrait-il en être autrement ? Quand on croise un gars comme toi, on n'espère qu'une chose qu'il fasse toujours partie de notre vie où qu'il soit. Tout ça pour te dire que si tu n'arrives pas trop tard, je te conseille d'aller boire un coup à la Guignette, tu verras c'est sympa. Mon meilleur ami est serveur là-bas. Dis que tu viens de ma part.
  • Celui qui t'a sauvé ? Tu es sûr que c'est une bonne idée.
  • Oui la meilleure que j'ai eue depuis longtemps. Je vais l'appeler, t'inquiète c'est un gars génial. Il te plaira et réciproquement.
  • Alors je file.

Je salue une dernière fois Vince. Cette escapade à Fort Enet restera une sacrée aventure mais ce que je ne sais pas encore, c'est qu’elle n’est en rien comparable à celle qui m'attend à quelques kilomètres de là.

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