Chapitre 16 : Victor "Willy."

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Je me réveille en sursaut. J'ai perdu toute notion de temps, dehors la nuit enveloppe le paysage. Seule la lune diffuse une douce lumière, son halo opalin me recouvre d'un voile apaisant. Je scrute la pièce dans laquelle je me trouve. Les volets sont grands ouverts ainsi que la fenêtre. Un filet d’air caresse ma peau. J'admire la vue sur les champs de blé. Les épis ondulent sous l'effet de la brise. Devant cet océan aux reflets dorés, mes pensées surfent sur la palette de couleurs. J'imagine sans mal Monet assis à ma place, un pinceau à la main, le peintre se lance à corps perdu dans un nouveau projet.

« Me voici donc seul sur la terre, n'ayant plus de frère, de prochain, d'ami, de société que moi-même. » ces premières lignes des Rêveries de Jean Jacques Rousseau me reviennent en mémoire. Ces quelques mots posés appellent en écho un autre souvenir charmant : "les champs de blé" de Monet. J'ai découvert ce tableau au cours de mes flâneries dans les allées des musées où j'aimais me perdre les mercredis après-midis pendant que mes potes se retrouvaient pour s'entraîner au foot. J'ai toujours su que l'art m'attirait bien plus que le sport. Ma vie est ponctuée de vers, de traits fins sur une toile ou de mots écrits dans des romans. Mes doigts me démangent, une envie de remplir des pages me gagne.

Je cherche du regard mon sac. Il doit être posé quelque part dans la pièce. En inspectant la petite chambre décorée avec soin, je le vois, sur la chaise dans un coin. Lui et moi avons trouvé un refuge provisoire. Je l'attrape, le serre contre mon torse juste pour qui sait, me rassurer. Il est mon compagnon de route depuis mon grand départ. Dans ce coffre de toile, je cache mes trésors. J'attrape avec convoitise mon carnet et m'assois sur la chaise face à la fenêtre.

Au moment d'étaler les premiers mots qui se bousculent dans ma tête, une mélodie m'interpelle. Un autre orchestre joue sa symphonie sous mon cuir chevelu depuis mon malaise. Les premières notes du piano sont bien réelles. Comment pourrait-il en être autrement ? À moins que je ne sois en train de rêver. Impossible, mes bras et mes jambes me piquent. Les brûlures sont là pour me rappeler ma chute sur le goudron. La curiosité est trop forte, je me laisse porter par la musique et emprunte l'escalier en bois. J'essaie de me faire le plus discret possible. J'ai toujours su longer les murs. Chaque marche grince rythmant avec la cymbale qui s'amuse au coin de mon tympan.

Une faible lumière apparaît sous la porte, elle sursaute, mes battements de cœur se mêlent à ce balai improbable. Un flash, des grands yeux bleus m'observent. Mais c'était quand, j'ai dormi combien de temps ? Mes sens sont bousculés, je suis rincé, essoré. Un torchon que l'on tord pour évacuer le surplus. Je pousse la porte, au fond de la pièce une ombre se dessine. Elle est assise devant le piano. Face à la baie vitrée grande ouverte, une terrasse baignée de lumière. Une ligne continue entre le musicien et madame la Lune. Je reste dans l'embrasure de la porte, je ne veux pas rompre la magie de l'instant.

Une voix m'appelle :
- La belle au bois dormant est enfin réveillée après vingt-quatre heures dans les bras de Morphée.

Je ne sais pas quoi répondre. J’ai dormi une journée entière ! Ma dernière hibernation remonte à ma fête d’anniversaire pour mes dix huit ans. Mon ami d'enfance William avait fait les choses en grand. Nous avions invité quelques amis à mon appartement et nous avions installé notre QG dans la cave de ma très chère mère. La seule chose dont je me souviens, m'être réveillé dans un lit avec mon meilleur ami, un jour après. Dans les bras l'un de l'autre, tout nus. Quand nous en rediscutons, nous en rigolons.

- Viens t'asseoir, me propose Willy.

Je ne peux résister à cette invitation. Comment pourrait-il savoir que cet instrument reste et restera une part de moi ? Des flots d'images se déversent sur mon âme, et se font tempête. Je songe à la fois où mon père en colère a claqué le couvercle de l’instrument. Il ne supportait pas le son. Je m'approche de la silhouette qui se dessine devant mes yeux, et découvre que Willy est juste vêtu d'un short. Quel idiot ! Je constate que je suis descendu en caleçon. Un détail m'interpelle : il était rouge quand je suis parti de la ferme. Maintenant, le tissu est noir. Encore un mystère à résoudre.

- Puis-je t'accompagner ? demandé-je du bout des lèvres.

Je ne lui laisse pas le temps de répondre, mes doigts courent sur les touches. Ce contact est un pur délice. Je ressens mon envie de m’exprimer au travers de la musique. En cette nuit de juillet, un bref instant, je me sens libre et vivant. Cela me procure un plaisir insensé. Nos mains s'effleurent.

- Je peux te poser une question, sans te choquer, me demande-t-il.

Sans hésiter, j'acquiesce de la tête.

- Pendant ton sommeil, quand la fièvre s'est emparée de ton corps, tu as hurlé, tu cherchais quelqu'un.

Un léger frisson parcourt mon être. Qui ai-je pu appeler ? À part ma grand-mère, personne d'autre n'aurait pu envahir mes rêves ou mes cauchemars à vrai dire.

- Tu parlais de fuir, de feu. Cela semblait confus. Puis tu t'es mis à pleurer et pardonne moi, je t'ai pris dans mes bras pour t'apaiser.

Je n'ai vécu aucun incendie dans ma courte existence. La seule image qui me revient tout à coup est celle que j'ai aperçu, il y a deux jours à la ferme. Le feu en Gironde, les flammes se rapprochaient dangereusement du camping. Et ce garçon. Pourquoi me revient-il en mémoire juste maintenant sans crier gare ? Willy me prend la main pour m'attirer à lui, la chaleur de ses doigts sur les miens se diffuse le long de mon bras.

- Victor, prononce-t-il avec douceur.

Entendre mon prénom dit avec tant de délicatesse m'apaise. Je ne sais pas si c'est la fièvre qui me joue encore des tours ou son regard qui vient se perdre dans le mien. Je suis attiré et je viens déposer mes lèvres sur les siennes. Je ne sais si c'est lui ou si c'est moi, tout s'enchaîne rapidement. Comme si l'un et l'autre, nous avions besoin de chaleur humaine.

L’orage dans ma tête s'est mis en sourdine. Ses mains découvrent ma peau, qui se met à vibrer dès que ma bouche vient se poser sur la sienne. Aucune fausse note, nous n'avons rien prémédité, juste nos désirs s'expriment. Je m'aventure dans son regard bleu. Dans ses bras musclés je m'abandonne. Chacune de ses caresses paresse inlassablement sur mon torse, sur mon ventre avant de se perdre sur mon sexe. Je m'endors épuisé dans ses bras, je me sens léger. L'un et l'autre, nous avons conscience que cette nuit restera une parenthèse.

Je me réveille. J'observe les draps froissés par nos ébats. Le lit est vide, il est déjà levé. Une bonne odeur de pain grillé et d'oeufs brouillés me titillent les narines. Je descends et découvre Willy dans la cuisine, il s'affaire à préparer un brunch. Dès qu'il me voit, un sourire se dessine sur ses lèvres, les mêmes qui quelques heures auparavant, enveloppaient avec gourmandise mon gland. Il me fait signe de me joindre à lui. Je m'installe sur le tabouret proche du plan de travail. Ses yeux me dévorent. Il me sert un thé pour accompagner le repas puis vient se poster derrière moi. Ses bras me serrent, son étreinte sincère me bouleverse. Il est présent pour moi et n'attend rien de plus.

Le petit déjeuner attendra un peu, il me prend par la main, je le suis sans la moindre résistance. Dans la chambre, il fait glisser mon caleçon le long de mes cuisses, tout en prenant plaisir à saisir fermement mes fesses. Puis sa bouche enrobe ma hampe avec douceur, chaque va et vient fait tomber les quelques barrières qui résistaient encore. Tout n'est que volupté et tendresse. Chaque geste suit la partition que nous avons écrite. Une fois de plus ce que je ressens n'a rien avoir avec ce que j'ai pu connaître jusqu'alors. L'exaltation de l'inconnu, cette course folle me fait perdre haleine. Allongés l'un à côté de l'autre, nous observons le plafond et espérons trouver les bons mots. À cet instant, nous réalisons que nous ne nous reverrons pas. Cette nuit restera gravée en moi, une expérience insensée. Une larme s'échappe et se faufile sur ma joue. Willy se colle à moi, essuie la goutte avec son pouce et me susurre à l'oreille

- Merci, tu m'as redonné goût à la vie.

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