Chapitre 35 : Samy "Nouvelle escale."

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L’heure des "au revoir" vient de sonner, chacun à sa façon souhaite partager un dernier moment avec moi et je le leur accorde sans hésiter. Axel veut être le premier, il m’attire vers le port qui se cache au bout de la rue. Sur le minuscule ponton, assis côte à côte, nos pieds se balancent dans le vide. Dans nos mains, de petits galets que nous semons dans l’océan, les secondes se moquent du temps. Nous observons les cercles se dessiner sur l'eau après l'impact du caillou, reprenant leur souffle dès qu'il disparaît. Le "plouf" égraine le silence, espérant qu'ainsi nous éloignerons le départ synonyme de séparation. Axel ne tient plus et pose les premiers mots dont il sait qu'ils seront aussi les derniers :

  • Samy, tu sais où tu vas aller après ?
  • Ma prochaine escale sera La Rochelle.
  • La première fois que je l’ai visitée, j’étais sur mon tricycle, je m’en souviens. Je voulais faire mon grand. Papa m'a proposé de m’enlever mes petites roues. J’ai roulé sur un mètre avant de tomber. Maman m’a pris dans ses bras pour me consoler.
  • Dis, elle est comment ta mère ?
  • Une perle dans un cœur d’or.
  • Elle ne te manque pas ?
  • Un peu. Forcément. C’est comme ça. Je dois apprendre à devenir adulte et autonome. Je sais que si j'ai besoin de me relever, elle m'accueillera avec son sourire et ses ailes grandes ouvertes.

Nous lançons en même temps notre ultime pierre, et crions en cœur :

  • Maman, je t'aime.

Axel se lève et m'attrape par la taille, dissimulant ses larmes telle la marée qui monte. Je le serre fort contre moi. Après quelques minutes, le garçon s'écarte, frotte ses yeux rougis sur sa manche et laisse des mots s'échapper du bout des lèvres :

  • On peut rentrer. Je ne veux pas priver Hugo et Alizée de ce chouette moment avec toi.

De retour chez Mamie Lulu, c'est au tour de l'adolescente de me saisir la main et de m'entraîner dans le petit jardin. L'odeur des rosiers en fleur tapisse notre nez d'arôme puissant. Les couleurs des pétales de soie sont un ravissement pour nos yeux songeurs. Dans cet îlot, loin des tumultes du monde, ce paradis floral est un poumon vert dans lequel nous puisons l'air qui vient à nous manquer. Alysée s'installe sur le bout de bois déposé sur deux briques, banc de fortune qu'elle a construit il y a quelques années avec son Pépé Marcel. Dans ses mains se trouve un paquet emballé dans un tissu bleu marine entouré d'un nœud blanc écume qu'elle me tend.

  • C'est un cadeau. Un petit quelque chose juste pour que tu ne nous oublies pas.
  • Comment le pourrais-je ? Vous êtes une si belle parenthèse dans mon voyage.
  • Allez, ouvre.

Je déballe le paquet avec précaution, appréciant de faire durer le plaisir. Alysée trépigne, elle me fait penser à ma petite sœur Sarah qui se plaît à me menacer au matin de noël de révéler le contenu du présent avant que je ne l'ouvre.

  • Alors, ça te plaît ?

Sur mes genoux, un livre de Pierre Loti, le pêcheur d'Islande.

  • Tu connais ?
  • Juste ce que tu m'as raconté hier pendant notre virée.
  • Regarde, il y a une surprise à l'intérieur.
  • Waouh, trop bien.

Chaque membre de la famille a mis une dédicace sur la page intérieure, même la petite dernière Manon a laissé l'empreinte de son pouce. Alysée, découvrant que son grand frère s'approche, dépose un baiser sur ma joue avant de s'éclipser.

  • Ça y est c'est l'heure, dit Hugo en accrochant les mots.
  • Oui, il est temps que je poursuive mon aventure.
  • J'ai suivi ton conseil, j'ai envoyé un message à Hélène pour lui proposer de se faire un ciné.
  • Et...
  • Elle a accepté sans hésiter en précisant qu'elle était trop contente que je me sois lancé.
  • C'est top.
  • Je ne sais comment te remercier.
  • Je n’ai pas fait grand-chose, tu avais juste besoin d’un coup de pouce.
  • Tu as fait bien plus que ça.
  • Tu as mon numéro, si un jour tu as besoin de parler de quoi que ce soit, surtout n'hésite jamais, je te répondrai.
  • Merci Samy, jusqu'à maintenant c'était moi qui jouais le rôle de grand frère et j'aimais ça. Ton arrivée, et ces quelques jours passés ensemble m'ont fait réaliser que j'ai des supers potes mais en aucun cas un véritable ami. Tu veux bien être celui-ci ?

Je tends la main à Hugo qu'il saisit et il se jette dans mes bras. Par ce geste empli de tendresse nous nous offrons la plus délicate des promesses.

Les parents et les enfants s’installent sur le perron. Toutes mes affaires retrouvent leur place sur mon vélo, une organisation très précise établie avec son père. Quand je suis parti, des rêves plein la tête, à aucun moment je n'avais pensé que je resterais aussi longtemps au même endroit. Depuis mon grand plongeon, je croise des histoires de vie qui me touchent. Cette famille formidable est une page de plus à ajouter dans mon carnet d’aventures. J'ai franchi le portail d’une maison pavillonnaire de Royan et avant même que je n’ais eu le temps de me poser la moindre question, ils m'ont adopté. Ils m'ont considéré avec le même égard que l’on offre à un de ses enfants qui rentre de voyage, un frère ou même un petit fils. En souvenir, j'ai laissé une planche à dessin sur la table du salon. Sur la page blanche, j'ai donné vie à chacun d’eux au travers d'un animal que j'ai imaginé. En haut de la forteresse un dragon les protège, autour de lui des papillons virevoltent esquissant un cœur.

Un dernier signe de la main, un ultime sourire, et la route s'étale devant mes yeux.

Cette départementale trois que je parcours, s’ouvre sur de grands champs où se mélangent les chaudes couleurs ocres des prés en labour et de grands océans verts. L’espace défile, il est un monde à ciel ouvert où je puise le courage, le lieu magique. Le soleil se reflète dans l’eau des canaux, un miroir dans lequel je puise les belles images inspirantes qui garnissent mon monde. Après deux heures sur mon vélo, une pause s’impose à nouveau. Arrivé à hauteur de la ville de Fouras, je m’arrête devant l’office de tourisme, la curiosité l’emporte. Quand je franchis la porte du petit local, je suis accueilli par une charmante femme dans une jolie robe saumon. Après un échange de sourires de politesse, elle me demande :

  • Puis-je vous aider jeune homme ? Vous cherchez un endroit pour camper ?
  • Je ne sais pas encore si je vais faire escale ou juste me contenter de découvrir ce que votre ville me propose.
  • Tout dépend ce que vous recherchez ?
  • Une question que je ne me suis pas posée.
  • Une préférence peut-être.
  • Le dépaysement, un peu de mystère, un endroit où je pourrai alimenter mon carnet de dessin.
  • Puis-je voir quel est votre style si ce n’est pas indiscret ? Ainsi je vous aiderai dans vos choix, me demande-t-elle avec gentillesse.
  • Avec plaisir. J’arrive de l’île d’Oléron où on m’a fait découvrir toute son histoire. Je me demandais si on pouvait avoir accès à la forteresse qui effleure l’océan.
  • Vous parlez du Fort Boyard.
  • Non, là juste en face.
  • Le Fort Enet, c’est une excellente destination pour les amoureux de la nature. Il offre une vue panoramique exceptionnelle sur l’estuaire de la Charente.
  • Parfait, comment puis-je faire pour m’y rendre ? demandé-je impatient.
  • À bord d’un pédalo, me propose une voix masculine.
  • Ne l’écoutez pas, il est moqueur, me précise aussitôt la femme de l'accueil.

Je me retourne et n’aperçoit qu'une silhouette qui disparaît aussitôt derrière un paravent tout en disant :

  • Ben quoi, comment veux-tu qu’il y aille autrement, Simone ?
  • Avec toi Vince, lors de la prochaine visite guidée.
  • Il a peut-être mieux à faire que d’aller voir un tas de cailloux.
  • J’espère que tu n’es pas aussi irrespectueux avec les touristes quand tu les emmènes.
  • T’inquiète, je décoche mon plus beau sourire et ils me mangent dans la main.

Je ne sais pas trop ce que je dois penser de cette joute verbale, la relation employée employeur me semble bien trop familière.

  • Eh bien tu vas devoir attendre la prochaine marée basse, sauf si tu veux t'y rendre à la nage, ajoute l’homme qui se tient derrière moi. Pour ce soir, moi j’ai fini ma journée. Je rentre à la maison.

Une vraie tornade vient de balayer l’espace, un coup de vent qui vous bouscule et s’efface aussi vite. L'homme s'est éclipsé par la porte de service.

  • Pardonnez le, il est un peu à fleur de peau, ces derniers temps.

J'observe la femme dont le sourire vient de se faner, les yeux légèrement brumeux et ne peux m’empêcher de lui demander :

  • Tout va bien ?
  • Oui, pas de soucis, un peu de fatigue. Du coup, vous souhaitez réserver votre billet pour demain ?
  • Cet endroit m’intrigue, oui s’il vous plaît. Est-ce que vous savez où je pourrai dormir cette nuit en attendant ?
  • Il y a le camping. Je vais me renseigner pour voir s’ils ont encore de la place.
  • Ne vous embêtez pas, je me débrouillerai.
  • Non, je les appelle, j’en ai pour une minute.

Une fois le coup de fil passé, elle éteint son ordinateur, se lève et me dit navrée :

  • Bon, ils sont complets.
  • Je trouverai bien un autre coin, ne vous inquiétez pas.
  • Suivez-moi, j'ai une solution. J’habite une petite maison non loin d'ici. Mon fils sera ravi de pouvoir discuter avec un jeune de son âge.

Je suis mal à l’aise, je ne veux pas m’imposer. Une fois de plus, quelqu’un que je ne connais pas me propose de m’aider. Pourtant, comment refuser devant tant de gentillesse.

  • Ok, je veux bien mais à une condition, je participe à la préparation du repas.
  • Oh avec plaisir, nous nous arrêterons au port en passant pour prendre du poisson.

Une fois l’agence fermée, Simone me rejoint. Je suis qu'à moitié surpris de la voir arriver sur son vélo agrémenté d’un joli panier fleuri sur le devant. Un sourire à nouveau s’esquisse mettant en valeur ses jolis yeux verts. Après un rapide passage chez le poissonnier, nous arrivons devant une petite maison dont un parterre d’hortensias habille les murs blancs. Elle ouvre la porte et dit d'une voix mélodieuse :

  • Vince, met un couvert de plus, nous avons un invité.

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