Chapitre VIII (2/2)

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Autour de moi, le peuple dormait. Les maisons étaient silencieuses, assoupies, sereines, avec leurs volets clos et leurs cheminées fumantes.


Je débouchai soudain au niveau d’une rivière sacrée (mais je n’avais aucune idée de laquelle c’était). L’eau était immobile, les rares rayons de lune se reflétaient dans les flots et cela donnait au silence une épaisseur étonnante. La silhouette sombre, élancée, d’un bateau amarré juste en contrebas, ressemblait à un grand oiseau endormi dans ses voiles comme d’autres dans un drap. Je m’assis quelques minutes sur une pierre, afin de me reposer et de réfléchir un peu. Dans quelle direction fallait-il partir ? Que dire si on me posait des questions ? Et comment diable pouvais-je croire que j’avais la moindre chance d’échapper à Rotu ?


Tout à coup, j’entendis des pas. Des bottes. Des ordres. Des soldats ! Je regardai tout autour de moi à la recherche d’un abri possible, et je vis une immense caisse en bois, posée sur la rive à quelques mètres de moi, dont le couvercle n’était pas complètement fermé. Je grimpai aussi agilement que possible, je me fis une place parmi les rouleaux de tissu qui garnissaient mon abri de fortune et je refermai doucement le couvercle pour qu’on ne puisse pas me voir de l’extérieur. La patrouille passa d’un pas lourd et militaire, les soldats parlaient haut, mon cœur battait à m’en étourdir les oreilles. Je restai longtemps ainsi, immobile dans le noir, n’osant pas sortir de peur que les gardes ne reviennent sur leurs pas. Si bien que je finis par m’endormir, vaincue par la fatigue et les émotions.


Je me réveillai en sursaut quelques heures plus tard. Je suffoquais de chaleur, coincée entre des rouleaux d’étoffes tantôt rêches, tantôt délicates. J’étais bringuebalée en tous sens comme un sac de farine, j’entendais des voix tout autour de moi qui s’interpellaient dans une langue que je ne comprenais pas. Il y eut un cahot un peu plus fort, une sensation de toucher le sol, des bruits de pas qui s’éloignaient… Pendant une dizaine de minutes, ce fut un ballet un peu étrange, les sons me parvenaient comme assourdis, parés d’un léger écho. Puis ce fut le silence. Et je me rendormis.


Curieusement, je profitai dans ces drôles de circonstances d’un sommeil profond et réparateur. Était-ce la distance, aussi maigre fût-elle, que j’avais enfin réussi à mettre entre moi et les désirs assaillants de Rotu ? Toujours est-il que je dormis bien, et longtemps.


A mon réveil, je me sentis en pleine forme. Les tissus faisaient un matelas des plus agréables, et j’avais été bien inspirée en choisissant cette caisse plutôt qu’une autre qui aurait pu être remplie de clous ou de planches ! En me tortillant un peu, je réussis à manger la moitié de mon pain pour calmer mon estomac. Puis tout doucement, mon cerveau commença à examiner la situation. Et là, évidemment, ce fut la panique. J’essayai d’ouvrir le couvercle de la caisse, mais contrairement à la première fois, il était bel et bien scellé. J’étais en nage, je commençais à ressentir le manque d’oxygène et une sueur glacée s’invita sur ma nuque.


Je tentai de me contrôler et de tourner tous mes sens vers l’extérieur. Il y avait du mouvement, régulier, très léger. Il y avait des bruits, des voix, mais ils me parvenaient de loin et je les devinais à peine. Soudain, je compris ! Ma caisse avait été chargée sur une charrette, je sentais les balancements de la route au rythme des ânes ou des chevaux, et j’entendais les voix des paysans qui discutaient, quelque part en avant du cortège. J’étais dans le noir car la charrette devait être couverte, mais dehors, il devait faire jour ! Car aucun paysan ne se risquerait à faire route en pleine nuit, sauf service express de la régente… Mais vu la tranquillité générale, je n’étais pas tombée sur un courrier royal, heureusement pour moi.


J’échafaudai donc un véritable plan de bataille ! En appuyant sur le couvercle de la caisse, je sentis qu’il n’était cloué qu’en deux de ses coins. En poussant de toutes mes forces avec mes jambes, j’allais donc pouvoir me libérer, respirer, et profiter de la prochaine halte pour me sauver. Sitôt dit, sitôt fait ! Je réussis, non sans m’égratigner les doigts et les jambes pendant l’opération. J’entrouvris la caisse pour laisser passer l’air et, tout en saignant légèrement sur les tissus multicolores, j’attendis mon heure.

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