Chapitre XV (2/2)

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Lorsque j’arrivai au bateau, j’étais toujours dans un état second. Je me rendis tout droit à la voilerie, et rassemblai mes maigres affaires dans un baluchon de lin que je nouai autour de mon épaule. Puis je remontai jusqu’au gaillard d’arrière où je retrouvai, comme je m’y attendais, les deux capitaines. Je leur rendis compte de ma conversation avec la princesse et leur demandai de transmettre mes adieux au reste de l’équipage.


Orcinus demeurait introuvable, et je commençais à me résoudre à partir sans lui dire au revoir quand je tombai sur sa grand-mère, Muraena, qui profitait de la tiédeur du soir dans la pénombre du banc de quart. Elle me fit signe de m’asseoir près d’elle, ses yeux brillaient comme deux flammes noires à la clarté irréelle, formant un contraste presque surnaturel avec la blancheur lunaire de ses cheveux. Elle me regarda bien en face dans les méandres de la nuit, et commença à me parler en champarfaitois avec son accent si particulier, si alangui, comme si les mots lui roulaient sous la langue.


« - Tu nous quittes, n’est-ce pas ? Parce que tu es une fille…

- Oui, Muraena. Comment l’avez-vous su ?

- A la façon dont Orcinus te regarde.

- Oh… A propos, pourriez-vous s’il vous plaît lui dire au revoir pour moi ?

- Mon petit-fils est assez grand pour faire ses affaires tout seul. D’ailleurs, si tu avais appris à regarder les voiles et à lever le nez, tu saurais où le trouver !

- …

- Pourquoi veux-tu rester à Héliopolis ?

- C’est la première fois que je découvre un pays où une femme n’a pas besoin d’avoir peur tout le temps. Peur de parler. Peur de vivre… Cela me plaît. Vous connaissez bien Héliopolis ?

- Peut-être…

- …

- Tu sais, ma fille, ici ce sont les hommes qui sont privés de choix et de liberté. Ce n’est pas tellement mieux… Je n’aime pas la domination, quelle que soit sa forme. Et même quand je suis du “bon” côté ! A Héliopolis, les femmes sont libres, oui… Mais elles ont l’obligation de le rester. C’est absurde ! Au nom de cette liberté, il est interdit d’aimer vraiment un homme. Est-ce cela, la justice ?

- Je… Je ne sais pas.

- Lomu…

- Lumi. Je m’appelle Lumi.

- Lumi… Le seul peuple libre, ce sont les Lointains. Crois-moi ! Je suis assez vieille pour le savoir. Mais si vraiment tu dois partir, si tu crois que ton chemin est là, alors fais-le. Ce choix t’appartient. Tu peux rester ici… Mais nous, nous devons repartir. Aller toujours plus loin, toujours ailleurs. Telle est notre destinée. Comme un exil qui n’a pas de fin… Nous étions la porte de sortie idéale pour te faire quitter Champarfait !

- Oui, je le sais. J’ai eu beaucoup de chance. Et je vous en suis très reconnaissante.

- …

- Muraena, pourquoi les Lointains ne s’arrêtent-ils jamais ?

- Parce que le mouvement est dans leur nature… Dans notre nature. Que connais-tu de l'histoire de notre peuple ?

- Mon père me l’a apprise. Il y a très longtemps, vous étiez les maîtres de l’Atlantide, une cité engloutie qui tirait tout son pouvoir de la domination des mers. Un jour, Zeus a voulu séduire une jeune fille délicate dont les yeux étaient aussi purs que les vagues de l’océan. Pour la protéger, le roi son père a jeté un sort à tous les habitants : désormais, ils auraient tous les mêmes yeux bleus comme des perles d’eau salée. Parmi eux, Zeus ne réussit jamais à reconnaître la jeune fille... Il entra dans une colère noire, et envoya un cyclone détruire votre ville sous-marine. Depuis lors, les Lointains ont trouvé refuge dans de grands bateaux à voiles. Ils arpentent les mers et les rivières à la recherche de leur cité perdue, et ne trouvent jamais de repos autrement que dans le balancement des flots.

- Exactement. Même notre capitale, qui est construite sur une île, ne dispose que de quelques chambres pour les malades et les étudiants. Et encore, elles sont sous la mer ! Le mouvement est ce qui nous maintient en vie, Lumi. Ne l’oublie pas. »

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