Chapitre XX (2/2)

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C’était Orcinus, chemise sombre et regard clair. Il eut la présence d’esprit de me retenir solidement, resserrant sa prise sur mon bras droit. Je fis volte-face et le regardai d’un air de bête traquée, il avait un sourire immense qui s’évanouit en un quart de seconde.


« - Lumi ? Tout va bien ?

- Mais enfin, on ne tombe pas comme ça sur les gens !

- Je suis désolé, je ne voulais pas te faire peur.

- A quoi pensais-tu donc en débarquant comme ça par derrière ?

- A rien. Je t’ai vue de loin, je voulais te dire bonjour. Tout va bien ?

- Tout allait bien jusqu’à ce que tu me fiches la trouille de ma vie ! J’ai failli tomber à l’eau, avec tes bêtises.

- Pardon. Je ne pensais pas que tu sursauterais à ce point.

- …

- Bon… Je te laisse tranquille, alors. Encore désolé de t’avoir dérangée. »


Il repartit sans demander son reste, me laissant seule avec mon reste de frayeur et la sensation diffuse de ne pas m’être montrée très agréable envers lui. Mais c’était plus fort que moi. Je portais encore le souvenir des mains de Rotu me retenant les bras comme deux fers rouges sur ma peau, et cette sensation de danger, diffuse mais urgente, qui s’emparait de moi quand quelque chose m’approchait sans préavis. Un cri de mouette, un grincement de porte, un éclat de voix : mon cerveau était toujours en alerte. Orcinus n’avait qu’à se le tenir pour dit.


Et il le fit.


Après cet épisode, il garda prudemment ses distances. Je le croisais de loin, le soir, quand j’allais assister aux représentations. Il était toujours là, assis dans le fond ou sur le côté, avec son calepin et sa plume. Il paraissait suspendu aux (jolies) lèvres de Ventura, qui attirait tous les regards dans son rôle de paysanne-guerrière en robe de lune. Elle avait une présence scénique incroyable et une silhouette élancée qui semblait être un aimant à messieurs, dans cette tenue chatoyante qui épousait chacun de ses gestes… Et si, quand nous étions en mer, elle savait mener l’équipage et les manœuvres à la baguette, elle révélait sur scène une tout autre gestuelle pour incarner les sentiments avec beaucoup de sincérité.


Elle prenait la lumière avec une évidence absolument agaçante. Alors que moi, je ne pouvais que rester dans l’ombre. J’aurais détesté monter sur scène, évidemment ! Je n’étais pas encore suffisamment Lointaine pour avoir les planches et les répliques dans le sang. Mais ce n’était pas pour autant que j’appréciais d’être consignée sur le bateau.


Les autres membres de la troupe n’avaient pas manqué de descendre quelques heures et de partir à la découverte de cette minuscule cité balayée par les vents et sculptée dans la pierre comme un bouquet de roses noires. Mais j’avais dû rester à bord, car même si les rumeurs sur la fuite de la princesse de Champarfait ne semblaient agiter personne sous ces latitudes nordiques, il n’aurait pas été prudent de me montrer. Et je dus renoncer aux délicieuses brochettes de mouton aux épices qui grillaient dans les échoppes, répandant des effluves plus que tentantes pour une terrienne égarée parmi les mangeurs d’algues et de poissons.


Je restais donc sagement dans la sainte-barbe, dans la voilerie ou dans le réfectoire, me contentant de brèves escapades sur le pont une fois la nuit tombée, en prenant toujours la précaution de camoufler mes cheveux clairs sous un grand châle bleu marine. J’obéissais ainsi scrupuleusement aux consignes de Rutila et de Salmus, qui veillaient à ma sécurité mais aussi à celle de toute notre troupe.


Car même si je ne pouvais en parler à personne, je gardais en moi une terreur sourde, profonde, un sentiment diffus de différence, malgré tous les efforts de mes voisins pour m’accueillir parmi eux. Que se passerait-il si Rotu me retrouvait ? Cette menace permanente me figeait dans ce secret glacé, instaurant une certaine distance avec le reste de l’équipage. Pour rien au monde, je ne les aurais mis en danger en leur disant la vérité. Mais mon silence, lui aussi, pouvait avoir des répercussions terribles.

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