Chapitre XXX (2/2)

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« - Lumi ! Je commençais à me dire que tu ne viendrais plus. Et que j’allais mourir de faim…

- Non, tu vois, je ne t’ai pas oublié. Mais nous avons travaillé toute la journée pour préparer la salle de classe, et ensuite, nous avons dîné tous ensemble. Tiens, c’est délicieux, tu verras. Eh ! Tu as enlevé ton pansement au bras ?

- Non, madame. C’est Milos qui l’a fait ce matin. J’ai le droit de bouger le bras droit, maintenant. Je vais pouvoir manger tout seul comme un grand. Enfin, presque. Tu peux juste me couper tout ça en petits morceaux, s’il te plaît ?

- Oui… Voilà. Bon appétit.

- Merci. As-tu passé une bonne journée ?

- Excellente, oui.

- Tant mieux.

- …

- Pourquoi tu es partie comme ça, ce matin ?

- Pour rien. Tu dormais, je n’ai pas voulu te réveiller, c’est tout.

- C’est tout ?

(Je devins aussi rouge que le morceau de poivron qu’il s’apprêtait à porter à sa bouche.)

- J’étais peut-être un peu gênée, aussi.

- Lumi, est-ce que je t’ai brusquée à remuer tes mauvais souvenirs ?

- Non… Mais ça me fait un peu bizarre, quand même, parce que je ne les avais jamais racontés à personne. A part au Conseil des Cinq, évidemment.

- …

- Tiens, j’ai une idée. Pendant que tu manges, ce soir, c’est toi qui vas me raconter ta vie.

- Ma vie ?

- Ton enfance. D’où venez-vous, Muraena et toi ?

- En fait, je ne sais pas vraiment. Elle n’en parle jamais. Et j’étais tout petit quand nous sommes arrivés ici ! Elle est née dans le désert héliopoli. Elle a eu ma mère avec un Lointain. Mon père, lui aussi, était Lointain ; mes parents sont morts tous les deux… Mais à part ça, je ne sais rien.

- Bon… Alors tant pis, je remporte la médaille des mauvais souvenirs.

- Haut la main, oui…

- Tu as fini ? Donne-moi ton bol, je vais m’occuper de tes bandages. Surtout, ne bouge pas.

- Tes désirs sont des ordres, docteur.

- A ton avis, que va décider le Grand Conseil ?

- Aucune idée. Mais nous serons bientôt fixés.

- Ils vont m’exclure et me renvoyer chez moi.

- Non ! Non, ce n’est jamais arrivé… Tu as reçu l’asile. En plus, tu n’as rien fait de mal.

- Ma présence vous met tous en danger… Qui siège dans ce fameux Grand Conseil ?

- Tous les membres de tous les Conseils des Cinq de tous les navires. En temps normal, ils se réunissent une fois tous les deux ans. C’est toujours une grande fête, l’occasion de revoir les autres troupes. Là c’est un peu différent, Rutila a sollicité une session extraordinaire.

- Comment prévenez-vous tout le monde ? Car ça doit faire des centaines de personnes, partout à travers le monde…

- Ceux qui sont vraiment loin ne viendront pas… Nous envoyons des mouettes* voyageuses. Seuls ceux qui auront reçu le message et qui pourront venir en moins de dix jours de mer seront présents. Mais ça fera déjà pas mal de monde, tu verras.

- Et tous ces gens que je ne connais pas vont apprendre mon histoire ?

- Oui. Mais pas toute ton histoire, Lumi. Rutila va expliquer qui tu es, comment tu es arrivé à son bord, l’attaque que nous avons subie et le lien possible entre les deux. Mais elle n’entrera pas dans les détails. Exactement comme elle l’a fait quand tu as été accueillie officiellement dans la troupe comme réfugiée.

- J’espère que tu as raison… Je n’ai pas envie que tout le monde sache ce que j’ai vécu.

- Rutila ne dira rien. J’en suis certain.

- Bon…

- Lumi, tu regrettes de m’en avoir parlé ?

- Non. Non, Orci, pas du tout.

- Ah, je m’appelle Orci maintenant ? »

Je souris sans répondre, essayant de me concentrer sur ma gestuelle pour ne pas le blesser. A certains endroits, notamment sur sa jambe, les chairs étaient encore très roses, très fragiles. Mais à d’autres, comme son épaule et son torse, sa peau avait repris des couleurs et une bonne élasticité. Elle était douce et accueillante sous mes doigts, et j’avais parfaitement conscience d’apprécier ces moments pour des raisons qui n'avaient pas grand-chose de médical ! C’était comme si la vie nous donnait à tous les deux un bon prétexte : à moi, pour dénuder et explorer ce corps qui m’attirait autant qu’il m’effrayait, et à lui, pour ralentir des désirs qui, malgré toute sa délicatesse, auraient certainement voulu aller trop vite pour moi s’il avait été en pleine possession de ses moyens.

Cette nuit-là, je dormis de nouveau avec lui. Et cette fois, ce fut sa main que je pris dans la mienne. En silence, il accrocha ses doigts aux miens. Et ce fut tout. Comme s’il m’attendait.




* La mention des mouettes n'est absolument pas fortuite et se veut un hommage aux tartines et aux commentaires rigolos de qui-vous-savez.

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