Chapitre XXXIX (2/2)

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(Lumi) - Ah oui ? Alors pourquoi Muraena s’est-elle donné tant de mal pour cacher la vérité à autant de monde ?

(Orcinus) - …

- Si elle a fait cela, c’est que tes yeux sont une menace.

- …

- La seule chose que l’on sait sur le fils du prince Lomu et de la reine Hanaâ, c’est qu’il avait des yeux de la couleur de l’ambre.

- Lumi, honnêtement…

- Oui ?

- Tu délires, là.

- …

- D’ailleurs, si j’avais survécu à un naufrage, comme dans ta légende, je m’en souviendrais !

- Justement ! Peut-être que tu t’en souviens, d’une certaine façon. Pourquoi as-tu peur de la pleine mer alors que tu nages parfaitement ?

- Lumi, excuse-moi de te dire ça, mais tu me fatigues, avec tes histoires de prince et de royaumes. Si ça te plaisait tant que ça, tu aurais mieux fait de rester mariée à Rotu ! Maintenant, excuse-moi, j’ai des choses à faire. »

Il se libéra de mon étreinte, visiblement agacé, attrapa toutes ses affaires et repartit dans sa minuscule cabine sans un mot de plus. Je l’entendis faire sa toilette, s’habiller et quitter la cale d’un pas décidé. Et je restai là, muette comme une nouille, à ne trop savoir que penser.

Je passai un moment à rêvasser dans le lit et dans le silence, puis je me décidai à me lever à mon tour. J’avais l’esprit ailleurs, comme s'il était accroché aux épaules d’Orcinus… En tout cas, où qu’il soit parti, celui-ci ne se montra pas de la journée. Et même quand je montai au réfectoire pour me sustenter et retrouver mes compagnons habituels, toute la troupe semblait être là, sauf lui.

Après un petit-déjeuner fait de pain aux algues et de discussions bienveillantes, mais creuses, avec mes voisins de table, je rejoignis mes élèves à la sainte-barbe et entrepris de leur apprendre les joies de la grammaire champarfaitoise… Je me sentais comme un automate, et ce ne fut un succès ni pour eux, ni pour moi. Je manquais tellement d’entrain que je me trouvais moi-même ennuyeuse : dès lors, je n’avais guère de chance de transmettre quoi que ce soit aux enfants.

Heureusement, le temps ne s’arrête pas, même quand on le trouve infiniment long… Aussi la cloche finit-elle par sonner, rendant de fait sa liberté à mes jeunes victimes, qui me saluèrent poliment avant de prendre le large de toute la vitesse de leurs petites jambes.

Je décidai alors d’aller me promener un peu dans la ville, loin du navire, pour m’aérer l’esprit et me dégourdir les jambes. Je cherchais à prendre de la distance, dans tous les sens du terme, alors j’arpentai pendant quelques heures les rues de cette cité minuscule, qui ressemblait à un premier comptoir de commerce ou aux derniers vestiges de la civilisation ! Les gens semblaient sereins, empreints d’une sagesse éternelle, mais silencieuse. Tout se fondait dans la Nature : les Hommes, les maisons, les vêtements…

Cette harmonie toute simple, chaleureuse, me fit beaucoup de bien, reléguant à l’accessoire mes histoires de royaume et de lignées. Après tout, même si Orcinus s’avérait être l’héritier de tout l’univers, en quoi cela changerait-il le quotidien des habitants de Port-Eden ? Ils vivaient tranquillement depuis des millénaires, au rythme des pas de leurs caravanes, bien loin de l’agitation du monde et des guerres de succession…

D’ailleurs, j’étais bien placée pour savoir qu’une tête couronnée ne s’accompagnait pas toujours des qualités de cœur et d’empathie que l’on pouvait attendre d’un souverain. Alors pourquoi, maintenant que je m’étais rapprochée d’Orcinus, essayais-je à tout prix de le faire entrer dans les cases de mes rêves de midinette ou du parti idéal selon les lois de Champarfait ?

Je réfléchis longuement à cette question au cours de ma promenade… Et c’est sur le chemin du retour, tandis que les mâts de notre navire commençaient à se profiler au loin, que je compris soudain pourquoi c’était si important pour moi. Ce qui me faisait rêver, ce n’était pas qu’Orcinus soit de sang royal. C’était de redonner vie aux tout premiers souvenirs que je gardais de ma mère, de leur rendre un sens, une épaisseur, une réalité. Si cette légende qu'elle m’avait tellement racontée n’en était pas une, alors ma Maman retrouverait une présence à mes côtés, par-delà la mort…

Je remballai donc mes rêves ridicules et posai le pied sur la passerelle pour rentrer à bord. Sur le quai, j’avais vu en passant que la représentation allait démarrer, et que l’apprenti conteur était assis à droite de la scène, même si rien ne l’y obligeait, puisqu’il était toujours en convalescence. Je me rendis donc au réfectoire pour dîner et enchaînai avec une interminable partie de cartes en compagnie de Milos, Perkins et Aurata. Lorsque je descendis enfin me coucher, il était tard, très tard… Orcinus n’était pas dans sa chambre. Ce n’est qu’au milieu de la nuit que j’entendis grincer sa porte. Mais je restai seule sur ma paillasse jusqu’au petit matin.

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