La fille
À vrai dire, à bien la regarder, cette fille ressemble à une de mes ex. Bien que “ex” soit un peu exagéré et que “ressemble” soit un bien grand mot pour mes souvenirs qui, à la vue de la confiance que je leur porte, ne sont certainement pas exempts de me jouer des tours.
Cette fille, aux boucles blondes, un peu ronde, petite, joviale, charmante, me remémore – avec ses années en plus mais toujours ce même air rayonnant – une jeune étrangère croisée naguère.
Son allure s’apparente à cette amourette passée d’un été en bord de plage, sa silhouette se rapproche de ce même flirt de fin d’adolescence, quant à son minois, il s’harmonise à cette escapade encadrée le temps d’une saison maintenant bien datée.
Et plus je la fixe, plus ma petite voix – vous savez, cette pipelette omniprésente dans votre crâne qui, pertinente ou non, a toujours ce fameux petit truc à dire – s’étonne de son petit coin de lèvres figé et retroussé.
« — Pssst. Eh oh ! me tarabuste-t-elle, tu vois ce rictus qui ne trompe personne ? »
Sans avoir à lui répondre, car cette intérieure petite voix a le don d’anticiper mes mille réflexions, de passer outre mes indécisions et de s’affranchir de mes, judicieuses ou non, observations, voilà qu’elle enchaîne :
« — Cette finassière mimique ne cacherait-elle pas un secret qu’elle seule connaît ? Ma petite voix me dit – là, je perçois votre confusion, admettez juste que ma petite voix à moi a aussi sa petite voix à elle… –, que cette inconnue pourtant si familière se gardera bien de te le divulguer ! »
Tout en acquiesçant à cette intéressante remarque par un imperceptible signe de tête purement personnel, je vois tout à coup cette fille s’approcher avec assurance. La savoir si décidée me perturbe quelque peu, je me renfrogne et, sur mes gardes, m’apprête à faire un pas en arrière ou, selon, à la repousser.
Par un secouement prononcé de tête totalement dirigé à mon encontre, elle s’agace de ma criante méfiance injustifiée et me fait comprendre que je n’ai pas intérêt à entraver son action à venir !
Alors, sans que je n’interfère, elle franchit les quelques pas qui nous séparent, se colle à moi et m’enlace le cou. Ce geste, notable, voire très intimiste, évoque, sans que je ne sache réellement pourquoi, une complicité passée. Pourtant, elle n’est que le souvenir de mon “ex”, elle m’est inconnue…
Le doute me gagne, n’est-elle réellement qu’une réminiscence ? Qu’une image ? Qu’une doublure ?
Est-elle plus ? Sera-t-elle plus ?
« — Et tant que tu y es, ne t’arrête pas en si bon chemin, use donc de tous les temps : Fut-elle plus ? »
Incroyable, ma petite voix, emportée par le virus du lieu, vire à son tour à l’irrationnel. Je me bidonne secrètement qu’elle ait pu formuler une suggestion si ridicule.
Guilleret, distrait, je recentre mon attention vers cette inexplicable fille pour m’apercevoir qu’elle me sonde de ses grands yeux verts, à tel point que je la sens lire mon âme.
Un frisson me gagne, ma poilade est terminée.
De son côté, désinhibée, à croire qu’elle ait pu absorber mon euphorie, elle se met à ricaner sans aucunement chercher à se faire discrète.
À voir la malice sur ses traits, je comprends et réalise qu’elle s’amuse de ma parfaite incompréhension, de ma totale ignorance et de mon scepticisme persistant.
Pris au dépourvu, limite pétrifié, je la soupçonne un instant de me connaître par cœur et, de ce fait, de ne rien pouvoir lui cacher.
Un instant qui s’éternise jusqu’à ce qu’elle me gratifie et me libère d’un éclatant et sincère sourire.
Résigné, je capte sa joie de vivre, me plie au jeu et, sans plus réfléchir ni chercher à lever le mystère, me contente de l’enlacer à mon tour au niveau des hanches.
En fin de compte, prêts à nous déhancher, non pas dans une danse effrénée dont je ne maîtriserais pas même les simples bases, je l’entraîne dans la foule pour un slow inattendu mais ô combien agréable.
Ainsi, en train de danser, m’évertuant à ne pas lui écraser les pieds, ainsi, emporté par son enivrant parfum qui petit-à-petit trouble mes narines décodeuses, ainsi, plus que ma petite voix, voici que mon sixième sens, porté à la fois par mon instinct et une farouche conviction, se manifeste à mon intention : Ma petite voix aurait-elle raison ? Se peut-il que, même si aujourd’hui elle m’est méconnue, dans cette vie ou bien une autre, fut-elle plus ?
« — Alors, toujours envie de rire ? »
Au point de m’être proche, intime… réceptive.
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