Éternellement
Je remue doucement au gré du rythme qu’elle impose.
Lovés l’un contre l’autre, nous nous contentons de l’intime et de la bienheureuse chaleur de nos corps sans chercher à prononcer ne serait-ce qu’un seul mot. Je ne connais pas son nom, n’essaie pas de le savoir ; je ne sais pas qui elle est, ce qu’elle fait, d’où elle vient, j’ai juste au fond de moi cette omniprésente certitude de la connaître par cœur. Le reste, je m’en fiche ; cette sensation, associée à notre enlacement, me suffisent pour l’heure actuelle amplement. Je n’aspire à rien d’autre. Ce moment unique est d’ailleurs l’un de ceux qui pourraient durer éternellement sans qu’en aucun cas je ne m’en lasse.
En certaines circonstances, n’avez-vous jamais souhaité que tels ou tels évènements, à la minute près, s’éternisent ? Pire, mieux, ne vous êtes-vous pas surpris à espérer que tout s’achève là, dans la seconde, à la quintessence de l’instant parfait ?
Sisyphe – encore lui – pousse son rocher jusqu’au sommet de la colline pour ensuite, une fois la pente dévalée, tout recommencer, encore et encore…
Prométhée, enchaîné à un rocher, voit un aigle venir lui dévorer le foie. Chaque jour, le rapace revient car, bien entendu, l’organe se régénère chaque nuit…
Et que dire de l’enfer, lieu de tourments où jours et nuits le feu éternel brûle dans une ruine éternelle pour, sans fin, ronger les corps. Pour ceux qui s’y trouvent, il est dit que "la fumée de leur tourment monte aux siècles des siècles, et ils n’ont de repos ni jour ni nuit…".
Pourquoi faudrait-il toujours mentionner corvées, punitions ou souffrances lorsque nous évoquons l’éternel ?
Cette plaisante fille pourrait bien devenir mon rocher, être mon aigle ou se transformer en un ardent foyer tandis que notre tendre slow, selon nos rotations, pourrait bien se muer en pentes raides, s’apparenter à ce foie meurtri ou finir par ressembler à ces ruines d'afflictions.
Cette histoire n’est qu’à un pas de virer vers un énième mythe infernal et, en ce sens, je pourrais sur le moment être condamné à me trémousser éternellement avec une effroyable chimère !
Ce ne sera pas le cas, car ce moment précis de parfaite symbiose est, et restera, l’opposé du supplice éternel et ne s’apparentera jamais, ô grand jamais, à un calvaire.
Bien au contraire.
Si l’enfer est une même épreuve éternelle, le paradis ne pourrait-il alors être la répétition continue d’un indéfectible moment de bien-être, de bonheur ?
Vous l’aurez compris, la présence de cette fille, avec sa tête reposant contre ma poitrine et ses bras passés autour de mon cou, me fait perdre toute notion de temps au point que je me surprends à croire que ce moment puisse indéfiniment perdurer.
J’en viens à me demander si On, ici en ce lieu absurde mais providentiel, ne m’accorderait pas la faveur de subsister dans une immuable et éternelle plénitude ?
Ainsi fut mon éternel paradis, à approcher et à goûter la béatitude.
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