Chapitre 1 — Il fait beau aujourd’hui, n’est-ce pas ?
J’aime l’été. Les balades sous les pins, l’air iodé qui décoiffe les cheveux… Et je déteste l’été. Les vacances. Les missions « pour sauver le monde » où tu risques de mourir tous les trois pas — soit dévoré par un monstre, soit poignardé dans le dos par un "ami".
Je divague. Ce n’est pas ce que vous voulez entendre, pas vrai ? Vous préférez les belles histoires de héros désintéressés, prêts à tout sacrifier pour cette bonne vieille Gaïa.
Moi ? Me présenter ? Quel intérêt ? … Mais soit. Puisque vous insistez, j’obtempère. Gracieusement.
Je m’appelle Lucifer. Oui, oui, le Lucifer. Le démon. C’est bien cela.
Épargnez-moi vos sourires moqueurs. Pauvres humains pathétiques. Je suis tout à fait sérieux. Vous êtes-vous au moins intéressés à l’étymologie du nom ? Non ? Tsk. Qu’attendais-je d’une assemblée aussi ignare… Un peu plus d’attention en cours ne vous ferait pas de mal. Conseil d’aîné.
Allez, je vais éclairer vos lanternes. « Lucifer » vient du latin lux : lumière, et ferre : porter. Je suis donc le « porteur de lumière ». Ironique, n’est-ce pas ? La lumière éclaire tout — le bien comme le mal.
Bref. Que les Parques me soient favorables : c’est ainsi que mes parents décidèrent de m’enregistrer à la mairie. Ils s’imaginaient sans doute que m’affubler d’un nom ridicule me porterait chance.
Je suis né sous une bonne étoile — béni par Castor et Pollux, les jumeaux divins. Ils ont illuminé ma venue dans ce monde de fous. Dont je fais partie, à vous croire. Vos visages effarés me le crient. Non, je ne suis pas fou.
Enfin, pas plus que vous. Car soyons honnêtes : qui, ici-bas, ne l’est pas ?
J’ai péniblement atteint mes 18 ans. Oui, péniblement. Beaucoup voudraient ma… enfin, oubliez ce que je viens de dire. Sinon je risque de croiser un tronc sur la route, en rentrant à moto. Je vous aime quand même, les gars !
Ne riez pas. Ce n’est pas une blague. Ça m’est déjà arrivé. Que les Lares me protègent — s’ils le peuvent encore.
Mais revenons au début. Mes ennuis ont commencé à quatorze ans. Le jour de ma rentrée au lycée. Pourquoi cet âge-là ? Parce que c’est l’âge de la raison, de la maturité, bla bla bla. En théorie.
Aujourd’hui, à quatorze ans, on fait du skate, on embrasse sa première copine, et on sort avec ses potes. Pas moi.
Cette année-là, j’ai appris trois choses incroyables :
1. Des monstres me traquaient dans les coins les plus banals de la ville.
2. J’avais un talent inné pour le tir à l’arc, comme si je m’étais entraîné toute ma vie — stylé, hein ?
3. Et surtout, j’étais le fils d’un dieu. Pas n’importe lequel : Apollon. Dieu des prophéties, de la médecine, de la poésie. Charmant, n’est-ce pas ?
Sauf qu’Apollon est un ado éternel, insupportable, aussi immature que ses enfants. Obsédé par les rimes médiocres et les conquêtes amoureuses. Dédicace, p’pa !
Donc oui, j’étais ravi de l’apprendre… en me faisant agresser par un arbre. J’ai parlé de mes parents, plus tôt. Je voulais dire adoptifs. Parce qu’avec Apollon, la parentalité, c’est une blague.
Ma mère biologique ? Disparue peu après ma naissance. Elle a laissé une note avec mon nom, mon âge, et un pendentif en forme d’archer. Puis ciao.
Bon courage, mon fils.
Est-ce que je lui en veux ? J’aurais dit oui, jusqu’à récemment. Mais après avoir rencontré mon père… et sa charmante famille… j’aurais fait pareil à sa place.
Décidément, tout le monde voulait que je sois Lucifer.
Détends-toi, papa. J’ose juste dire que c’est un peu fort d’attenter à la vie de ton fils avant de l’envoyer sauver le monde à ta place… Mais bon, « pas le choix », hein ? C’est ce qu’on dit.
J’ai quand même pu me faire des amis. J’ai même rencontré ma copine.
Mais ça ne change rien : on ne fait pas ça à ses enfants. Point. Et non, ne me contredis pas.
… Où en étais-je ? Ah, oui, je—
Je dois m’arrêter là. Cynthia m’appelle. Et vous savez ce que c’est : si je ne bouge pas, couic. Tabassage imminent.
Adieu, à la prochaine. Ne prenez pas tout ce que je dis trop à cœur… Vous risqueriez de griller quelques neurones.
Adios !
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