Chapitre 2 — Salut, guys !
On m’a demandé de revenir. Apparemment, vous avez apprécié notre précédente entrevue.
Je vous fais une fleur, sachez-le. Ce n’est pas tous les jours que je consens à jouer les conteurs pour satisfaire votre curiosité morbide.
Oui, pour vous, ce ne sont que des mots. Des lettres creuses, à peine plus consistantes que vos préoccupations du quotidien.
Mais pour moi ? Ces mots sont une question de survie.
Que diable ! — pardon, Hadès. Rien de personnel. Encore un juron de trop. Sérieusement, vous êtes une mauvaise influence.
Cher public, vous arrive-t-il au moins de penser à votre humble narrateur ?
Non ?
Au moins, vous avez le mérite de ne pas mentir. L’hypocrisie n’est pas votre péché, c’est déjà ça.
Bon. Fin de la digression. Vous n’êtes pas là pour m’écouter me plaindre. Passons aux choses sérieuses.
Je ne sais pas vraiment où je suis né. Mes parents adoptifs m’ont trouvé un jour… sur le siège de leur voiture.
Oui, vous avez bien entendu. Sur le siège arrière. Dans un couffin. Quatre mois, tout au plus. Emmitouflé dans une couverture, hurlant assez fort pour fissurer un pare-brise.
Imaginez la scène. Vous partez faire vos courses. Vous tournez le dos deux minutes pour ranger le coffre… et PAF, un bébé débarque dans votre vie. Surprise !
Apparemment, je n’étais pas un cadeau de Noël anticipé. Juste un poids tombé du ciel. Pas le plus discret, qui plus est.
J’ai grandi avec cette anecdote. Vous savez, le genre de perle que les parents ressortent à tous les dîners de famille :
« Lucifer est arrivé comme ça, pouf, sur le siège ! Comme quoi, la vie est pleine de surprises. »
 Hilarant. Vraiment.
Quand j’ai eu quatre ans, on a déménagé en Floride, à Miami. Je ne sais pas d’où on venait avant. Peut-être qu’ils fuyaient quelque chose… ou quelqu’un. Allez savoir.
Contrairement à la plupart des demi-dieux que je connais aujourd’hui, j’ai eu une enfance… normale. Enfin, relativement.
Pas de monstres sous le lit, pas d’attaques pendant la récré. Une scolarité banale : kindergarten, middle school... Rien de mythologique.
Du moins, c’est ce que je croyais. Parce qu’un jour, tout a basculé.
Lundi 5 septembre. Jour de rentrée à Golden Palms High School.
Le soleil tape comme si c’était encore les vacances, éclairant des groupes d’élèves plus proches de figurants dans un clip de surf que d’étudiants sérieux.
Premier jour de high school pour moi. J’ai opté pour mon éternel t-shirt bleu I love the beach, un short et des baskets.
Les mains dans les poches, à vingt mètres du portail, je trépigne nerveusement, attendant mon tour pour être enregistré.
Je balaye la cour du regard, à la recherche d’un visage familier. Et là, je croise ses yeux.
Une fille, arc en bandoulière, accroupie au bord d’une fontaine de l’autre côté de l’esplanade. Elle me fixe comme si j’étais un cerf au milieu de la route. Son cerf.
Panique immédiate. Mes « instincts » prennent le dessus : demi-tour, fuite dans la rue opposée. Le sang me bat aux tempes, mes bretelles de sac me scient les épaules.
Et… je me prends les pieds dans mes lacets. Pathétique.
Je m’écrase tête la première sur le bitume brûlant. Les paumes râpées, un goût de poussière dans la bouche.
- Aïe…
 
Je roule sur le dos… et me fige. Des yeux d’acier, aussi froids qu’un matin d’hiver. Cheveux courts, bleu nuit. Bandeau militaire. Bottes noires renforcées — parfaites pour piétiner les faibles. Ou moi.
J’ai juste le temps de couiner — le genre de cri de hamster paralysé — avant qu’une douleur me transperce le ventre.
Une lame, enfoncée à quelques centimètres de l’entrejambe. Mon cerveau hésite : admirer la beauté qui vient de me poignarder ou tenter de survivre ?
Spoiler : mon corps tranche.
Mes mains se plaquent sur la plaie, cherchant à contenir l’hémorragie. Un cri rauque m’échappe, métallique au goût.
À travers le brouillard, je la vois s’approcher. Son visage se crispe, contrarié. Elle me pousse du pied, comme on testerait un objet cassé.
- Merde. C’est pas un monstre.
 
J’aurais voulu lui hurler :
- Fallait vérifier AVANT de planter, abrutie !
 
Mais déjà, je sombre.
Le feu dans mon ventre se répand, devient un brasier dans chaque muscle. Puis le froid, si mordant qu’il semble venir d’ailleurs.
Plus de mots. Juste des sensations. La chaleur de mon sang qui imbibe mes vêtements et se répand sur le sol. Le froid et la douleur qui partent de mon ventre et atteignent chacune des extrémités de mon corps.
Puis... Je sombre dans l'inconscience.

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