Chapitre 9 — Ce n’est pas chez moi

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Accompagné par Tobias et Cassiopée, je me mis en route pour rejoindre ma maison… ou ce qui était censé en rester.

J’avais fini par retrouver une paire de pantalons décents. Tout de même. Pas envie de continuer à me taper la honte. Spoiler : c’était loin d’être fini.

Cassiopée, la fille d’Aphrodite, marchait devant nous. Les garçons qu’on croisait se retournaient sur son passage, complètement hypnotisés, ce qui m’étonnait pas mal : perso, j’étais loin d’être sensible à son charme.

Tobias éclata de rire quand il me surprit en train de la fixer comme si elle venait d’une autre planète, pendant qu’elle envoyait des baisers à un abruti aux yeux en forme de cœur.

  • Imagine un peu les pouvoirs de sa mère, quand il lui suffit de marcher pour enchanter tout le monde.
  • C’est… de la magie ?
  • Oui.

Ok, je comprenais mieux. Après, en même temps, fallait pas grand-chose pour retourner le cerveau d’un ado en pleine crise hormonale.

Je fis la moue.

  • Ça marche pas sur moi.

Tobias se mit à rire, ses sabots cliquetant sur le sol. Je m’en remettais toujours pas. J’étais vraiment en train de discuter avec une chèvre.

  • Alors… ton boulot, c’est de me protéger ?

Il hocha la tête, soudain sérieux.

  • Oui. Le dieu Pan nous a lui-même chargés de prendre soin de vous. Vous appartenez autant au monde humain qu’au monde divin et sauvage. Vous êtes donc sous son royaume.

Je fronçai les sourcils.

  • Pan… comme la flûte ?
  • Oui. La flûte a pris son nom. Pan est le dieu de la nature sauvage, des troupeaux, des pâturages, des forêts, de la musique pastorale… et de la frayeur subite.

Il eut un petit rire.

  • Son cri peut paralyser n’importe qui de peur, sur le champ.

Je gémis intérieurement. Encore un détail bizarre à ajouter à la liste.

  • Il est notre protecteur et celui des nymphes. Et nous, à notre tour, protégeons la nature… et ceux qui en font partie.
  • Je vois…

Sa réponse me laissa pensif. Jusqu’ici, ce monde m’avait été présenté uniquement comme dangereux, effrayant… mortel, même.

Mais ce satyre… même si son côté bouc continuait de me sembler étrange, j’appréciais sa manière pacifique de m’expliquer ce monde auquel je n’appartenais qu’à moitié.

  • Tu… tu connais des monstres ? Tu… tu t’es déjà battu, comme les autres ?

Ses yeux s’assombrirent aussitôt. J’avais visiblement touché un point sensible. Un malaise me serra la gorge, et je cherchai désespérément un moyen de détourner la conversation, de rattraper ma question maladroite.

Heureusement, Cassiopée ralentit le pas et revint à notre hauteur. Son parfum sucré m’agressa aussitôt les narines — sans doute un héritage de sa mère divine — et me tira presque une grimace.

  • On arrive, annonça-t-elle.

Je clignai des yeux, surpris. Déjà ? Je n’avais pas remarqué qu’on était si proches. Mais plus je regardais autour de moi, plus mon cœur se serrait.

Je ne reconnaissais rien.

La porte avait changé de couleur. La pelouse, parfaitement tondue, n’avait plus rien de la jungle un peu négligée où j’avais grandi. Et devant le garage… une voiture. Une voiture qui n’avait jamais appartenu à ma famille.

  • Ce n’est pas chez moi. Ce n’est pas chez moi, répétais-je, la voix tremblante. La porte… la porte était bleu-vert, à moitié écaillée, avec un trou, là, parce que je l’avais abîmée. La voiture était noire, pas rouge. Et la pelouse… la pelouse n’avait pas été tondue depuis des semaines…

Cassiopée fronça les sourcils, l’air soudain inquiet.

  • Lucy… désolée de te dire ça, mais c’est bien l’adresse que tu nous as donnée.

Je secouai la tête, incapable de détacher mes yeux de la maison. Tout était à la fois familier et étranger. Comme si quelqu’un avait remplacé ma vie par une copie parfaite… mais fausse.

Tobias avança d’un pas, ses sabots claquant doucement contre l’asphalte.

  • Peut-être qu’on devrait vérifier quand même…

Je n’entendis même pas la fin de sa phrase. Mon cœur battait si fort que c’en était douloureux. Une pensée insidieuse me traversa l’esprit :

  • Si ce n’est pas chez moi… alors où est ma maison ?

Cassiopée eut un sourire éblouissant.

  • On va bien voir.

Avant que j’aie le temps d’ouvrir la bouche, elle s’avança d’un pas décidé vers la porte et appuya sur la sonnette.

  • Cassi—

Trop tard. Mais vous verrez par la suite que ce sera souvent le cas : Cassiopée a un talent certain pour prendre… disons, des décisions rapides. Très rapides.

La porte s’ouvrit, et mon cœur s’arrêta net.

Devant nous se tenait une femme d’une soixantaine d’années. Ses cheveux étaient entièrement blancs, tirés en arrière, et son sourire était doux, presque accueillant… quoique teinté d’étonnement en découvrant notre petit groupe sur son perron.

Ma mère.

Je me figeai, incapable de dire un mot. Panique totale. Mes yeux cherchèrent Tobias. Il me fit un petit signe rassurant et articula silencieusement : T’inquiète. Magie.

  • Puis-je vous aider, jeunes gens ? demanda la femme.
  • Oui, madame, répondit Cassiopée d’un ton enjôleur — elle fait ça très bien, croyez-moi.
  • On est à l’école avec votre fils et… on travaille sur un projet de groupe. On voulait savoir s’il était à la maison.

La femme sourit gentiment.

  • Non, il n’est pas encore rentré.

Cassiopée me poussa légèrement vers elle.

  • Voilà Lucifer, un ami proche de votre fils.

Elle reporta son regard sur moi, son sourire adouci par une lueur presque nostalgique.

  • Vous… vous connaissez mon Bobby ?

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