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Au Damn's, les candidats pour l'épreuve suprême étaient nombreux. Après de nombreuses discussions, il fut décidé de limiter à cinq les crucifixions. Anucci ne voulait pas dépasser trois. Le groupe de médecins promit de s'impliquer dans toutes les phases. Seul le clouage relèverait de son savoir-faire.

Pour choisir parmi les postulants, on me demanda de réfléchir avec chacun sur ses motivations profondes. C'était une responsabilité écrasante, car je savais que j’ouvrais la voie pour une mort possible à ceux que j’accepterai. D'un autre côté, échanger avec ceux tentés par une voie mortifère comme moi pouvait m'aider à comprendre mes motivations et mes pulsions.

Je commençais bien sûr par Armand. Notre amitié était plus ancienne que notre participation de l'année précédente. Nous avions senti notre différence par rapport aux autres membres et cela nous avait rapprochés. Mon analyse de notre sélection avec Lucas avait renforcé notre lien. Des rapprochements physiques intenses n'y étaient pas non plus étrangers. Il n'était pas question de l'écarter, juste d'approfondir notre amitié.

Il me dit le choc de me voir cloué, la planche pleine de sang. C'est la vision du sang qui l'avait révulsé, car sinon il était prêt et demandeur. Il s'était trouvé dans le même état que moi. Comme moi, il cherchait la souffrance ultime, celle qui rendrait les autres inutiles.

Parmi les autres candidats, certains étaient simplement suicidaires, cherchant à se faire tuer par un autre. Aucun n'était désespéré, ou dépressif. Juste curieux de sentir la mort venir, donnée par la main d'un autre. Curieusement, je ressentais profondément leur désir. Plusieurs fois, j'avais attendu cette libération de la main de mon amour. Il s'était toujours dérobé au dernier instant et sa dernière tentative, que j'avais acceptée, avait échoué dans cette bagarre fatale. Cette démarche était forcément individuelle et ne pouvait entrer dans celle collective de la crucifixion.

Quelques mois plus tard, j’apprendrai la mort mystérieuse de l'un d'entre eux, retrouvé mort après une lacération à vif. Savoir que l’exécutant était forcément un des membres du Club, peut-être un de mes amis, fut une raison complémentaire de mon éloignement ultérieur de ce lieu. Je me pose encore des questions sur la réelle volonté de Jordan de finir ainsi.

Une petite frange rêvait de cet exploit pour l'afficher à leur palmarès. Ils n'auraient pas supporté la préparation.

J'ai été effrayé par les autres postulants, car leur recherche de l'extrême résonnait avec la mienne. C'était comme une ascèse, un absolu à dépasser. Il n'y avait aucune volonté de destruction, aucune recherche de la douleur pour la douleur, juste une tentative d’aller au-delà de soi. Je me sentais impur à côté d'eux, aimant ressentir la douleur et ayant une forte pulsion à me détruire. Mais ces deux derniers points étaient exclusivement liés à William. Sans lui, nul besoin de ces extrêmes. William dis-moi ce qui nous lie, pour le meilleur que nous avons vécu ensemble et pour le pire que nous vivons en ce moment.

Au final, quatre autres candidats qu'Armand et moi restaient. Parmi eux, un des scouts, qui serait majeur un mois avant la cérémonie. Il m'avait beaucoup questionné, car vraiment jeune pour un tel parcours. Sa démarche était presque fanatique. En une année, il avait parcouru un chemin terrible, comme une course pour ce résultat. Il était de loin le plus motivé de nous.

***

La date approchait. Le plus dur restait à faire : éloigner Nathan, qui allait passer son bac.

Je discutais beaucoup avec lui. Sa clairvoyance et sa maturité étaient étonnantes. Je lui rapportai des fragments de mes échanges, tentant ainsi de lui expliquer et de comprendre avec lui ma démarche. Il avait une grande peur que je meure. Il avait accepté ma souffrance, mais ma possible disparition le hantait.

Je m'attachais à le détacher de moi. Il fallait qu'il me quitte en esprit et en chair. Le paradoxe était que nos échanges sexuels étaient d'autant plus intenses que nos échanges verbaux avaient été rudes.

Me plonger dans la douceur et la grâce de son corps était un apaisement voluptueux. Il me connaissait si bien et était devenu un amant si parfait.

Mon souci était aussi d’éviter la rupture avec sa famille. Nous connaissions tous des jeunes jetés à la rue ou se tuant, car rejetés pour leur homosexualité. Il venait d'une des pires familles sur ce sujet. Lui faire admettre de retrouver le giron, de faire profil bas, de ne pas revendiquer sa « particularité », de profiter du financement de ses études et d'attendre son autonomie pour leur cracher à la gueule, ne fut pas une sinécure.

Je voulais aussi qu'il s’éloigne de tout ceci avant son bac. Il me rejoindra après la dernière épreuve. Je serai en fin de préparation et il assistera à ma mise en croix, promis !

J'aurais préféré qu’il ne garde pas ces images en tête, mais nous pûmes ainsi nous accorder. Il commença par retourner chez ses parents le weekend, puis plus longtemps. Une dernière nuit nous permit de beaux adieux, avant de nous retrouver deux mois plus tard.

Je profitais d’un de ces weekends pour remonter à Berck avec Ophélie.

Je fus surpris par mon bonheur de partager ces quelques heures de trajet avec elle. En arrivant, je savais ce que j'allais affronter, mais je devais le faire. J'aurais préféré qu'Ophélie ne soit pas présente, mais je n’ai pas eu la force de lui demander de sortir.

— William, je vais recommencer, pour moi, pour aller au bout. Je suis certain que cela va bien se passer. Ensuite, je reviendrai te chercher. Tu t’installeras dans notre appartement et je m'occuperai de toi.

Ses yeux chavirèrent, mais je sortis immédiatement. Sur le retour, Ophélie me dit :

— Nicolas, je sens qu’une chose terrible est arrivée entre vous. Je ne parle pas de l'accident, tu as compris. Je ne veux pas savoir. Ce que je vois, c'est que votre amour, au moins ton amour, est plus fort que cela.

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