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Tout était en ordre. Je pouvais aller jusqu'au bout. Nathan avait accepté la situation. Ses longs appels téléphoniques étaient réjouissants. Je le connaissais assez pour savoir qu'il ne masquait pas ses sentiments. Décidément, ce garçon était plein de ressources. J'étais content de l'avoir éloigné de moi, lui permettant bientôt de trouver l'amour qui comblerait sa vie.

Lors de notre dernier entretien, je lui avais fait part de mon revirement. Je lui interdisais de venir me rejoindre et d'assister à l'exécution. Tout le Club était averti et d'accord. Je sentis qu'il était déçu, mais soulagé. En revanche, si le lendemain il n'était pas à mon chevet, je viendrais l'étrangler ! J'avais besoin de lui pour ressortir, pour ressusciter !

— Tu te prends pour le Christ, tu blasphèmes, me lança-t-il dans un éclat de rire, avant de me couvrir de baisers et de raccrocher.

J'avais décidé d’aller jusqu'au bout, en totale et pleine conscience. Je savais que si j'y parvenais, j'aurais alors tué mes démons définitivement. Si j’échouais, cela n’aurait plus d'importance. C'était le deal : je ne voulais pas de la préparation qui brisait la volonté, je ne voulais pas de l'humiliation qui fait tout accepter. Je voulais voir approcher, les yeux ouverts.

Je me sentais prêt ensuite à affronter et à défaire les démons de William. J'ignorais lesquels et comment procéder, mais je voulais le débarrasser de ces monstres, qu'il puisse enfin vivre.

Je m'en étais remis à eux. Maintenant, je savais qu'un comité s'occupait et organisait tout. Je ne connaissais pas ses membres et ne voulais pas les connaître. C'était un gage de confiance et de sécurité, car je ne pouvais pas les manipuler. Je soupçonnais certains d'y appartenir. Je connaissais assez les qualités et professions de mes amis pour savoir le sérieux de l'opération.

Après quelques semaines de battement, j'arrivais au château serein. J'avais chassé de mon esprit les autres préoccupations.

Je retrouvais les mêmes tortures. De temps en temps, je devais remettre la cagoule. Ne pas savoir quand et comment cela allait arriver était aussi une préparation. Je me croyais assez fort. En fait, plusieurs fois, je reculai, luttai. Mon esprit acceptait, souhaitait, mais mon corps refusait. Je devais me forcer pour affronter le mal. L'avoir déjà vécu était un handicap.

J'étais épuisé par ce contrôle permanent, cette acceptation forcée. Ma volonté était sans faille : il me fallait franchir ce cap. Derrière, la mer était calme, le soleil brillait. C'était le plus dur : oublier Nathan, sa fraîcheur, sa gaité. Comprendre qu'il me serait inaccessible si je ne gagnais pas fut un moteur puissant.

Cette lutte m'éroda. Je perdis la notion du temps. Je pense que des épreuves supplémentaires m'avaient poussé dans cette confusion. J’alternai entre des moments d'impatience et des moments de doutes profonds. C'est dans un moment de fuite qu'on vint me chercher. Je ressentis ce que doivent ressentir les condamnés à mort quand on les sort de leur cellule. La possibilité que je survive n'existait plus.

Par un effort surhumain, je les suivis, libre, la tête haute. Je recrachai discrètement les gélules. Je l'avais décidé dès le début. À nu, face à l'absolu !

J'étais le premier. Anucci me sourit, me questionna des yeux. Heureusement que je n'avais pas à parler, je me serais trahi. Mon esprit était crispé, mon corps affolé. Anucci dut le sentir. Il me réinterrogea des yeux. Je sautais dans le vide. Je coupais mes relations avec mon corps.

— Oui, vas-y.

La même impression, le résonnement du marteau, l'impression de finitude quand les deux bras sentirent la pression du métal. Je vis arriver les trois autres. Il en manquait un. Cette fois, j'avais assez de conscience pour me rendre compte de cette absence. Mon inquiétude dut se lire, car j'entendis :

— Tout va bien ! Bruno a renoncé, simplement.

Un soulagement me parcourut. Le temps me parut interminable. J'entendis un cri. Il n’arrêta pas le marteau. Simple et compréhensible réflexe.

La procession avec les quatre suppliciés se mit en marche. Les douleurs arrivèrent immédiatement. Terribles, insupportables. J'ai crié, tenté de me débattre, les augmentant. Je ne repris conscience qu'à la bascule de la croix. Pourquoi avais-je recraché la miséricorde des opiacés ? Cette fois, la douleur était connue. Elle ne m'aurait plus par surprise. Une fois le choc passé, je vis que des bancs avaient été installés. Le public était nombreux, mais un silence glacial pesait. Je réclamais à boire.

La douleur m’envahissait. Il n’était pas encore temps, il me fallait aller plus loin. Contrairement à l'année précédente, je n'arrivais pas à la stabiliser, à la contrôler. Elle montait, montait. Encore. Tenir. Plus loin. Jusqu'au bout.

Combien de temps cela dura-t-il ? La nuit était tombée. J'étais au fond de moi, face à moi. Puis ce fut la bascule, le point de non-retour. Un cri déchirant me transperça la gorge.

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