La chute du Vicomte

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Victer de Gan avait fait ses classes de pilote sur les genoux de son papa. Aristocrate jusqu'au bout des ongles, Axelion de Gan n'avait rien d'autre à faire que de se distraire aux commandes de ses vaisseaux de luxe. Et lorsque survint la Déchéance, son fils Vic ne savait rien faire d'autre non plus.

La providence apporta à Vic une reconversion sur un plateau d'argent le jour où elle lui retira de la bouche la cuillère du même métal.

Pour quitter Gan et échapper à la Déchéance, il avait un vaisseau mais pas de laisser-passer. Il croisa la route d'un groupe de mercenaires qui n'avaient pas de vaisseau, pas de pilote, pas de laisser-passer non plus mais la capacité de forcer le passage.

Ce qu'ils faisaient là à ce moment précis, Vic préféra ne pas chercher à le savoir. Et eux ne se formalisèrent pas de qui il était. Chacun profita de l'échappatoire qu'ils s'offraient mutuellement.

Un poste de pilote à long terme venait de se libérer chez les mercenaires et Vic resta avec eux après l'évacuation de sa planète. Il s'avéra être moins bon pilote qu'il ne le croyait mais il faisait l'affaire pour des missions de transport de fret : trajets tranquilles et guet depuis la tourelle pendant les opérations au sol.

La manoeuvre qu'il amorçait à l'instant était de loin la plus risquée de toutes celles qu'il avait réalisées jusque là.

Quelques heures plus tôt il n'avait pas vraiment compris ce qui se passait quand Bow avait débarqué toutes mèches dehors, pour le sortir du lit et le caler dans le cockpit avec un plan de vol déjà chargé.

Il était conscient que l'équipe de mercenaires cachait quelque chose, depuis le début. De longs conciliabules nocturnes auxquels il n'était pas convié, des échanges avec d'autres équipages trop cordiaux pour être de banales tractations entre contrebandiers, certains gestes et expressions qui évoquaient un autre milieu que la pègre ... On évite beaucoup de choses en feignant de ne pas les voir, et Vic avait fait de cet adage sa devise. Il n'était pas à sa place dans ce groupe et il en rajoutait. Son meilleur gage de tranquillité était de surjouer l'aristo déchu, un peu gauche et très naïf. Et ça payait, on le laissait tranquille, la seule vanne récurrente qu'il eut à supporter était le nouveau nom attribué à son vaisseau : "Le Vicomte".

Vic remontait la piste boueuse pour survoler la colonne de véhicules en approche : leurs petits canons montés ne pourraient pas l'atteindre à la verticale et leurs armes de poings seraient moins nocives que les moustiques qui constellaient sa verrière.

Il fit un premier passage et entendit sous son cockpit, à travers l'entrepont technique, les coups sourds du minigun de Wandar. Espacés et appuyés, c'étaient des coups de semonces. Vic amorça une boucle lente pour revenir sur les tacots par l'arrière. En se réalignant il constata que son artilleur avait fait du boulot propre. Le véhicule en tête de colonne s'était mis en travers en voulant éviter un premier tir bien centré sur le milieu de la piste. Les deux autres étaient chacun encadrés par deux impacts fumants qui faisaient crépiter la boue autour d'eux.

Le pilote fit un second passage comme à la parade, que Wandar ponctua de nouveaux tirs dissuasifs dont les impacts se confondirent aux premiers. Le cortège était maintenant arrêté. Le vaisseau fit une nouvelle boucle et revint se placer en face, en vol stationnaire. Les occupants des tacots semblaient furieux mais pas un ne fit mine de tirer.

- Bow ? C'est bon on les a calmé là.

Vic n'attendit pas la réponse. Son vaisseau était déséquilibré et penchait à tribord. Il exerça une poussée sur le manche pour rétablir l'assiette.

- OK Vic. Tiens les en respect pour le moment. Vous nous récupérez sur le toit de la clinique dans 3 minutes ... Nan, 5 minutes. Et je veux une extraction qui ait de la gueule. Les bouseux vont être comme au cinéma.

Le pilote grogna une réponse contrariée. Quelque chose n'allait pas avec son vaisseau. Il devait compenser en permanence pour ne pas basculer à tribord.

- Wandar, on a été touchés ?

Il était certain du contraire, au vu des symptômes un répulseur était probablement HS mais seul un gros impact aurait pu provoquer ce genre d'avarie. Et s'il avait reçue un tel impact il l'aurait senti.

Le vaisseau ne tenait plus en place. Du fait de l'inclinaison, les répulseurs poussaient le Vicomte vers la droite au lieu de simplement le maintenir en suspension. Ce qui prouvait qu'ils étaient intacts et opérationnels.

- Wandar ! Il se passe quoi ?

Le vaisseau fut secoué par un impact. Cette fois ils étaient touchés. A travers la verrière Vic vit que les occupants des tacots s'étaient réorganisés et le prenaient pour cible.

Il tenta de prendre de la hauteur, les propulseurs hurlèrent en vain. Un tir frappa la verrière juste sur sa gauche. Surpris Vic relâcha le manche un instant, le vaisseau fut emporté vers la droite. Le pilote comprit que c'était le seul moyen de sortir de là. Il activa la configuration anti-crash, transférant toute la puissance dans les répulseurs, et le Vicomte chassa sur tribord à pleine vitesse.

Il parvint à s'écarter d'une cinquantaine de mètres avant que le carénage de l'aile droite n'accroche le sol. Emporté par son élan le Vicomte creusa un début de tranchée avant de partir en tonneau. Vic lâcha les commandes et replia ses bras en croix sur son torse, la première leçon qu'il avait apprise sur les genoux de papa. Les yeux fermés il essaya machinalement de compter le nombre de vrilles avant que l'épave ne s'immobilise.

Et il se demanda où était Wandar.

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