L'épave

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Le Vicomte gisait à quelques dizaines de mètres seulement de la piste de terre compacte, mais c'était suffisant pour que le marais le revendique comme sien.

Le vaisseau s'était déjà enfoncé d'un mètre depuis qu'il était immobilisé sur le dos. Encore quelques dizaines de minutes et la boue commencerait à s'écouler par la baie pour envahir l'habitacle avant que l'appareil ne disparaisse totalement sous la surface immonde.

Erin accompagnait Bow pour tenter de sortir de la carlingue ses deux occupants, en espérant qu'ils avaient survécu au crash. A bord d'une barge de fortune ils approchaient en s'appuyant sur une perche qui s'enfonçait un peu plus à chaque poussée. La progression était rendue difficile par les branches d'arbres pourrissants sur pieds qui affleuraient à la surface.

L'obscurité s'étendait de plus en plus, aux dangers du marécage il faudrait bientôt ajouter ceux de la nuit.

- On a 15 minutes, pas plus.

- On prendra le temps qu'il faudra.

- Je rentre dans 15 minutes.

Bow ne répondit pas, prenant son élan il sauta sur l'épave renversée et se hâta vers l'ouverture au centre, surplombée par la rampe désormais dressée vers le ciel. Evitant les plaques de métal déchiré qui hérissaient le bord, il se pencha vers l'intérieur du vaisseau et appela.

- Wandar ?

Aucune réponse ne parvint de la soute. Le mercenaire esquissa une grimace, jeta un regard circulaire autour du vaisseau et son visage se crispa un peu plus.

Erin le regarda sortir une torche de son manteau, il avait l'intention de descendre dans le vaisseau. Elle le prévint une nouvelle fois.

- On ne peut pas rester longtemps.

- C'est quoi le problème ? Les paysans de tout à l'heure, vous avez peur qu'ils reviennent ?

- Non. Ils ne reviendront pas. Pas ce soir, parce qu'on ne peut pas ...

- Et bah alors ? Arrêtez de faire ...

- ... être dehors quand il fait nuit.

Le type se tut et fixa Erin. Elle s'attendait à ce qu'il se moque ou éclate de rire, mais sa répartie fut tout juste ironique.

- Evidemment, un trou pareil ... Alors c'est quoi chez vous ? Des loups-garous ?

- Des bouniasses.

- OK ... Vous m'expliquerez quand on sera rentré, j'ai un ami qui m'est cher à extraire de ce tas de ferraille.

- Un seul ?

Mais Bow s'était déjà glissé dans la soute.

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Quand Erin descendit à son tour elle le trouva agenouillé près d'un enchevêtrement de tuyaux. Face à lui, adossé aux tubes de métal, était assis l'autre type qu'il avait appelé Wandar.

S'habituant à l'obscurité elle remarqua que Wandar avait une cambrure un peu trop marquée, puis elle distingua l'extrémité d'un tuyau sectionné qui lui sortait de sous les côtes. Son cerveau de médecin ne ménagea aucun suspense : à cet endroit là le foie était transpercé, le type était mort.

Erin se focalisa sur la recherche du pilote, pour ne pas déranger Bow. Elle n'avait aucune sympathie pour ces connards, ils avaient ce que leur arrogance méritait, mais un minimum de décence s'imposait avant de faire la leçon a leur chef.

Elle n'était jamais montée à bord d'un vaisseau mais l'appareil était d'une taille suffisamment modeste pour ne pas être un labyrinthe de coursives. Outre la baie qui donnait sur l'extérieur, la soute offrait une seule autre issue, une échelle. Prévue pour monter vers la tourelle et le poste de pilotage, elle s'enfonçait désormais dans le noir vers la partie déjà immergée sous le niveau du marais.

Erin progressait grâce à la faible lueur de néons qui couraient le long du couloir. Elle atteignit le poste de pilotage sans avoir à s'interroger sur le trajet à suivre. La première chose qui attira son regard fut la verrière du cockpit, à travers laquelle elle pouvait voir le marais de l'intérieur. C'était pire que la surface.

Subjuguée par les millions de litres de mixture immonde qui s'offraient à sa vue, elle heurta un objet suspendu au dossier d'un des sièges fixés au plafond. C'était un long étui de métal retenu par une bandoulière, au vu de sa forme et de ses dimensions Erin ne s'interrogea pas longtemps sur ce qu'il contenait. Convaincue de son utilité dans un avenir proche elle tira sur la sangle pour le décrocher.

Elle reporta son attention sur le pilote, harnaché à son siège, la tête en bas, il était sonné mais vivant. Malgré la faible luminosité Erin constata que ce n'était qu'un gamin. Une auscultation un peu plus poussée ne révéla aucune blessure. Avec des gestes maîtrisés elle détacha le corps inanimé et le réceptionna sur ses épaules.

Il avait beau être jeune il pesait son poids. La médecin estima que si elle le posait au sol elle aurait toutes les peines du monde à le soulever de nouveau pour le porter. Après quelques pas hésitants elle trouva son équilibre en utilisant l'étui comme une béquille et elle sortit du cockpit, avec le pilote sur le dos.

Le transfert de poids avait déséquilibré le vaisseau en train de couler. L'avant commençait à s'enfoncer plus vite et bientôt le sol ne fut plus à l'horizontale. Pour repartir vers la soute et atteindre la sortie il fallait désormais gravir une pente qui s'accentuait à chaque instant.

Erin héla le chef des mercenaires resté à l'arrière du vaisseau. Il allait bien se décider à un moment à venir secourir son pilote. Après quelques dizaines de secondes sans réponse elle sut qu'elle devrait se débrouiller seule.

Elle s'engagea dans la coursive en veillant à ne pas cogner la tête de son patient contre une tuyère. Le passage le plus difficile s'avéra être l'échelle à l'envers qui remontait vers la soute. Erin parvint à hisser le pilote en s'aidant de l'étui et de sa bandoulière comme d'un harnais.

En haut, le dénommé Bow n'avait pas bougé. Il était resté prostré près du cadavre du colosse blond empalé sur un tuyau. Erin estima qu'il n'était plus question de le ménager.

- Celui là est mort, venez m'aider à sortir votre pilote.

- ...

- Dépêchez-vous !

Bow se redressa, au lieu de rejoindre Erin il attrapa le cadavre sous les épaules et entreprit de le libérer de son pal.

On n'extrait pas si facilement une tige de métal d'une cage thoracique humaine. Le mercenaire ne parvint qu'à élargir la blessure fatale de son camarade, d'où s'écoula un sang épais déjà tiède, le tout dans un bruitage affreux.

Bow lâcha prise et vomit. Encore penché vers le sol il se tourna vers Erin, les yeux rouges et humides, la bouche baveuse marquée d'un rictus apathique. Il fallut à la native de Teccis convoquer tout son détachement de médecin, pour ne pas défaillir en prenant la mesure de la détresse dans laquelle se trouvait l'inconnu qui une heure plus tôt l'agaçait de ses facéties.

- Venez, on sort. C'est fini.

Le calme clinique de sa voix fit son effet. L'autre la rejoignit sous l'ouverture de la rampe d'accès par laquelle de la boue commençait à couler dans la soute. Il se hissa à l'extérieur puis aida Erin à sortir le pilote inanimé. Ils le transférèrent sur la barge en bois, et les trois rescapés s'éloignèrent définitivement du Vicomte.

Erin regardait le vaisseau disparaitre lentement. Derrière elle Bow avait récupéré l'étui, sur lequel il avait reporté toute ses attentions. A l'horizon le soleil s'enfonçait lui aussi dans le marécage. Ils avaient passé dans l'épave un peu plus de temps qu'il n'aurait fallu, bientôt il ferait noir.

Erin visualisa tout ce qu'il leur restait à faire avant que l'obscurité ne tombe complètement : manoeuvrer la barge à travers les branches et les rochers, accoster un sol ferme, transporter le pilote inanimé jusqu'à la clinique, barricader l'ouverture que l'explosion avait causé dans le mur de la réserve.

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