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Après toutes ces années, sa voix est toujours empreinte de douceur. Son accent typiquement marseillais s'avère beaucoup plus prononcé que dans mon souvenir. Le message de sa boîte vocale se termine, m'incitant à laisser une trace. Je prends une profonde inspiration et me lance.
«Bonjour Alisée... C'est... C'est Thomas... Pardonne-moi pour le dérangement... Je... Tu... Mais qu'est-ce que je fous ? Je ne suis même pas capable d'aligner deux phrases correctes ! Allez reprends-toi ! J'ai une chose à te dire... Non, plutôt une nouvelle... Je souhaiterais te voir pour t'en parler. Ok, ça c'est bien. Je te propose... On pourrait se rejoindre à quatorze heures au lieu de ton choix. Lui laisser une alternative, ça c'est pas mal. Bon et bien... Je te laisse... à bientôt... Euh rappelle-moi... »
Un bip sonore ainsi qu'une voix mécanique m'indiquent la fin de la communication. Je fixe le téléphone en arpentant la terrasse de long en large. Eh merde ! Quel enregistrement foireux. J'ai passé des jours et des jours à réfléchir à chaque phrase, chaque mot et je me démerde pour lui laisser une annonce sans queue ni tête, truffée d'hésitations et de silences. Elle va me prendre pour un con, c'est certain.
Du coin de l’œil, j'aperçois une fenêtre s'ouvrir sur mon écran d'ordinateur. Je m'affale sur la chaise. Il manquait plus que ça, grommelé-je en parcourant le mail reçu. Un professeur de physique/chimie qui devait remplacer une collègue en longue maladie, n'est plus disponible. Je dois réorganiser les emplois du temps. Je clique sur l'icône de Pronote, le rond de téléchargement s'active. Des minutes s'écoulent, il tourne encore et encore sans rien qui ne change. C'est bien ma veine ! Ce logiciel à la con marche une fois sur deux. Mon regard exécute des va-et-vient entre l'écran qui ne bouge pas, à part ces putains de mouvements circulaires et mon téléphone.
Et si elle décide de ne pas répondre ? Il lui est arrivée de couper son portable pour éviter d'avoir certains appels ou de voir certaines réponses. Mon message a dû lui faire un choc. En y réfléchissant, la recontacter du jour au lendemain, ce n'était pas une bonne idée et en plus pour lui laisser des paroles énigmatiques. Je l'imagine en pleurs, la respiration haletante, essayant de reprendre le dessus sur ses émotions. Mais quel abruti je fais !
Pronote s'affiche enfin. Des dizaines de notifications espèrent une réponse. Je souffle désappointé et ferme avec violence l'écran. Je me lève et sillonne de nouveau les carreaux crasseux. Les cigales se réveillent en légion. En temps normal leur chant ne me dérange pas, il m'apaise, mais aujourd'hui son écho assourdissant m'empêche de raisonner.
Soudainement la table se met à trembler sous la vibration de mon mobile. Je l'attrape avec précipitation, il manque même de tomber. Le pictogramme de l'enveloppe m'indique la réception d'un SMS. Je l'ouvre. «D'accord pour 14 h, à notre banc. Alisée.»
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