Chapitre 1 - Suhua

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Je ne sais pas ce que je fais ici, à Kyoto, après être arrivée à l’aéroport d’Osaka Itami à quatre heures quarante-sept du matin. Il est désormais sept heures vingt-huit, et je suis dans le hall d’une gare.

J’ai juste fui. Fui le petit village de Rochefort-en-Terre, en Bretagne. Fui ma mère taïwanaise.

Je ne parle pas un seul mot de japonais. Enfin, si, je sais dire « arigato » parce que j’ai regardé des animes jusqu’à mes quinze ans, que j’ai lu des mangas à l’eau de rose et que j’ai été une grande fan du Japon jusqu’à mes huit ans.

Mon anglais est bancal, pour ne pas dire incompréhensible. Je le comprends, mais je suis incapable de formuler une seule phrase.

En revanche, je parle français, mandarin et taïwanais. Pas sûre que ça me sera très très utile ici. Même si Taïwan est une île asiatique, il y a énormément de chances que personne ne me comprenne.

Je n’ai même pas de valise. Je suis là, perdue, avec mon jean délavé, mon pull en laine couleur crème, mon téléphone dans la main et mes cheveux bruns décoiffés. Et mon portefeuille, dans la poche arrière de mon jean. C’est tout. Je suis totalement démunie.

Nous sommes le premier janvier. Des milliers de gens se pressent dans la gare. Personne ne fait attention à moi, la petite asiatique tout frêle complètement perdue.

Je m’avance, hésitante, à la recherche d’une banque de change. Je suis soulagée d’en trouver une quelques étages au-dessus des quais. Je convertis cent euros en yens, et je les glisse dans mon portefeuille. C’est peut-être énorme, mais je ne sais pas quand est-ce que je trouverais une autre banque.

Après une petite marche entre les différentes boutiques de la gare, je finis par entrer dans un Starbucks. Je m’avance pour demander un café latte, sauf que je n’ai aucune idée de la façon dont ça se dit.

- A coffee, please, dis-je. With a slice of brioche*.

Le barista hoche la tête et s’occupe de préparer ma commande. Je paye puis vais m’asseoir sur un banc de la gare, mon café brûlant dans une main, ma tranche de brioche dans l’autre.

Je porte la boisson à mes lèvres. Je déteste le café noir. Je le trouve trop amer.

Je contemple à travers les vitres du hall le soleil se lever sur les rues de Kyoto.

Ma vie est vraiment en train de partir en cacahuète.

En repensant au conflit que j’ai eu avec ma mère avant de quitter la France précipitamment, les larmes me montent aux yeux.

- 失礼ですが、よろしいですか

Je relève la tête. Un jeune homme se tient devant moi. Ses cheveux blonds décolorés retombent devant ses yeux bruns. Il porte une chemise blanche rentrée dans un pantalon noir, et je remarque à son poignet gauche une montre de luxe.

- Euh… Je… Excuse-me, I… Je n’ai rien compris, finis-je par dire en français.

Le jeune homme me fixe et hoche la tête.

- J’ai dit « Excusez-moi, vous allez bien ».

Il a un accent très prononcé.

- Vous parlez français ? demandé-je.

- Oui, j’ai appris lorsque j’étais plus jeune.

J’opine du chef. L’homme me détaille du regard et penche la tête.

- Vous pleuriez, alors je me suis demandé si tout allait bien.

- Oh, oui… Euh… ça va. Ne vous en faites pas.

- Vous pouvez me tutoyer, finit-il par dire.

J’hésite. Je ne le connais pas du tout.

- Alors toi aussi.

L’homme me sourit et me tend sa grande main fine.

- Je m’appelle Felix Nagashi. Et toi ?

- Suhua Liu. Ce n’est pas très japonais comme nom, Felix.

Il sourit et s’assoit à mes côtés, mettant ses mains dans ses poches et s’appuyant contre le dossier.

- Non, tu as raison. C’est français. C’est ma mère qui l’a choisi en l’honneur de Felix de Stray Kids. Elle écoute beaucoup de K-pop. Euh, tu ne connais peut-être pas.

- Juste de nom.

- Et toi ? Suhua Liu ? C’est chinois ?

Je secoue la tête.

- Taïwanais.

- D’accord. Et donc, Suhua Liu, que fais-tu dans une gare de Kyoto en train de pleurer ? Si ce n’est pas indiscret ?

- Ça l’est, dis-je fermement.

- Excuse-moi.

Felix s’incline comme il peut et je souris.

- Et toi ? Que faisais-tu à la gare ? dis-je en croquant dans ma brioche que j’avais oubliée.

Il soupire et jette un regard aux passants.

- J’accompagnais ma grande sœur, Karina. Elle avait un train à prendre pour aller à l’aéroport de Tokyo et partir en France.

- Karina ? Laisse-moi deviner. Aespa ?

Felix a un sourire en coin.

- Tu t’y connais, en fait.

- Oui, un peu.

- Bref, je passais et je t’ai vue en train de pleurer. Je me suis demandé pourquoi. Et voilà.

Felix grimace.

- Je vais te laisser, si tu dis que ça va. Ça a été un plaisir de faire ta connaissance, Suhua Liu.

Felix se lève et je l’arrête.

- Attends.

*Un café, s’il vous plait. Avec une tranche de brioche.

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