Chapitre 2 - Felix
Je me retourne et fixe Suhua Liu, cette jeune femme que je viens à peine de rencontrer. Elle me fixe, hésitante. J’observe son visage fin, ses longs cheveux bruns bouclés qui cascadent dans son dos. Elle semble nager dans son pull crème et son jean bleu.
- Fais-moi visiter le Japon.
Je hausse un sourcil. Soit elle est naïve au point de faire confiance à un inconnu, soit elle est désespérée au point de se laisser aller.
- Je n’ai nulle part où aller, et je ne sais pas combien de temps je vais rester au Japon. Je suis venue sur un coup de tête.
Je remarque en effet qu’elle n’a rien d’autre que son téléphone et son portefeuille.
Allez, Felix. Tu n’as rien à faire de ta vie. Tu es tellement riche que tu pourrais passer le restant de tes jours à ne pas travailler. Sois gentil.
Suhua Liu ne me semble pas méchante, en plus.
- Euh… ben, d’accord.
La jeune femme saute sur ses pieds.
- Attends, vraiment ?
Je ne peux même pas m’empêcher de sourire.
- Oui. Si ça te fait plaisir. Tu es sur Instagram ?
Suhua hausse un sourcil.
- Pourquoi ?
- Parce que si oui, mademoiselle Suhua Liu, prépare-toi à beaucoup poster pour ton nouveau concept : road-trip du Japon en un an.
Elle me fixe comme si j’étais complètement fou. Je la comprends. Je viens de sortir ça de nulle part. Si ça se trouve, elle a un copain de là où elle vient. Si ça se trouve, elle n’a même pas envie de s’embarquer pendant une année entière dans un road-trip avec un inconnu.
- Je n’ai pas Instagram… Mais il n’est jamais trop tard pour s’y mettre, annonce-t-elle avec détermination.
Puis, Suhua baisse les yeux.
- Désolée, en fait, Felix… Je n’ai pas d’argent. Ça ne va pas être…
- J’en ai, moi. Je suis blindé. Je paye tout.
- Tu n’es pas bien ?! s’insurge-t-elle.
Je hausse les épaules.
- Je fais comme toi. Je prends des libertés sur un coup de tête.
Elle rougit.
- Je ne sais pas si je peux accepter.
- Alors imagine que tout est gratuit pendant un an. Comme ça, tu n’auras pas l’impression que je paye tout.
- Idiot.
- Merci, réponds-je avec un sourire.
Nous sortons de la gare alors que le soleil perce l’obscurité de la nuit. Kyoto s’anime doucement. Les cafés ouvrent, les gens sortent de chez eux pour aller au travail… Suhua fixe tout, les yeux éberlués.
- On commence par quoi ? demande-t-elle.
Je regarde autour de nous, puis mes yeux se posent sur elle.
- Viens.
- On va où ?
- Changer tes vêtements.
Suhua s’arrête et observe sa tenue.
- Pourquoi ? Je ne fais pas assez riche pour toi ? raille-t-elle.
- Non, c’est pas ça. Mais tu dois avoir froid. Non ?
La jeune femme hésite. Puis elle soupire.
- En effet.
Nous rejoignons donc un prêt-à-porter parce que Suhua ne voulait pas de vêtements de marques. Elle observe les différentes tenues plus ou moins chaudes.
- Prends-en plusieurs, indiqué-je. Beaucoup. Ne t’en fais pas pour l’argent. Tout est gratuit. Pour les vêtements plus légers pour l’été, on les commandera.
Suhua s’arrête à nouveau et me lance un regard.
- Felix… Tu as la folie des grandeurs.
- Je peux me le permettre. Et de toute façon, je ne sais pas quoi faire de mon argent.
Elle attrape un jean taille haute et le pose sur son avant-bras.
- Tu fais quoi, comme métier ? demande-t-elle, les yeux rivés sur une jupe en cuir.
- Mon père est un magnat de l’immobilier. Il possède des hôtels, des immeubles et pleins d’autres bâtiments dans tout le Japon, quatre en Corée du Sud, deux en France et dans d’autres pays. Je n’ai pas de métier, en réalité. J’ai grandi dans le luxe et l’élégance. J’ai beaucoup voyagé. Mais je n’ai jamais eu besoin de travailler. Sauf que comme je déteste ne rien faire, j’aide mon père. Enfin, indirectement.
Suhua ouvre de grands yeux impressionnés et continue d’entasser des vêtements sur ses bras.
- Et toi ?
Elle hésite avant de dire :
- Je suis serveuse dans un restaurant asiatique, en Bretagne. Mais j’ai été virée. Ça fait partie des raisons pour lesquelles je suis partie.
J’opine du chef et observe la montagne de vêtements qu’elle a choisis : des robes, des collants, des leggings, des pulls, des jupes et des jeans.
- Donne, je vais payer. Sauf si tu veux autre chose ?
- Non, c’est bon. J’ai de quoi tenir un mois sans reporter une seule fois la même tenue, là.
Je souris et attrape tous les vêtements que Suhua a pris. Je m’avance vers la caisse, et la femme me fixe avec des yeux exorbités. Elle scanne tous les articles et m’annonce le prix :
- Deux-cents trente-huit milles yens, s’il vous plait*.
Je suis heureux que Suhua ne parle pas japonais, parce que j’ai le sentiment qu’elle aurait reposé la moitié des vêtements. La caissière a l’air médusée. Seulement, le prix s’affiche sur le ticket que la dame imprime. Suhua écarquille les yeux.
- Ça fait combien ? me demande-t-elle.
- Pas beaucoup, réponds-je en fourrant dans des sacs en carton les vêtements.
- Felix, ne me prends pas pour une idiote.
Je soupire et lui jette un regard.
- Je te dis de ne pas t’inquiéter.
- Excuse-moi de le faire. Je ne te connais pas, et tu m’embarques dans Kyoto pour m’acheter des vêtements pour des milliers de yens.
- C’était ton idée.
Suhua grimace et hoche la tête.
- Je sais, mais… Je ne suis pas à l’aise avec tout ça.
Elle fait de grands gestes en me désignant de bas en haut.
- Le luxe.
Je laisse échapper un petit rire.
- Alors fais comme si je n’étais pas riche.
- C’est compliqué. Tu te promènes avec une chemise Gucci, une montre Grand Seiko, et tu sens le dernier parfum Yves Saint-Laurent.
Je lève les yeux au ciel.
- Ça ne veut rien dire. L’habit ne fait pas le moine. Allez, mademoiselle Suhua Liu. Allons chez moi pour que tu te changes et te douches.
- D’accord, concède-t-elle.
Nous sortons du magasin et j’hèle un taxi. Gênée, Suhua monte dedans et je la suis. J’indique au chauffeur notre destination et il écarquille les yeux, mais ne dit rien.
*Environ 1 380 euros

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