Chapitre 4 - Felix

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Merde, merde, merde.

Comment ai-je pu être si con ? Je n’ai même pas pensé à lui demander si elle avait des allergies, alors que c’est assez important quand on sait que je vais la nourrir pendant un an. J’entre dans la pharmacie, essoufflé, et m’approche du pharmacien. Je lui expose la situation, insistant bien sur le fait que c’est urgent et que même si je n’ai pas de prescription médicale comme il le demande… c’est urgent.

Il finit par me donner un sachet quand je lui tends une somme d’argent beaucoup trop élevée pour un pauvre tube de pommade, et je repars en courant jusqu’à chez moi. Je cherche des yeux Suhua, haletant.

Elle est assise contre un mur. Suhua a de l’eczéma sur le contour des yeux et ses joues, et je m’approche d’elle.

- Tiens. Encore désolé… Tu as d’autres allergies ?

Elle secoue la tête sans parler et je pousse un léger soupir de soulagement. Je lis à Suhua les précautions d’emploi de la pommade et une fois qu’elle a compris, elle part s’en appliquer.

Je prends mon visage entre mes mains. Lorsqu’elle revient, elle me sourit.

- Tu sais… Tu n’as pas besoin de t’inquiéter autant. Je n’allais pas mourir.

Quelque chose me bloque la gorge. J’ai envie de lui hurler que, si, on peut mourir d’allergies. Seulement, Suhua n’a pas l’air stupide. Elle doit le savoir.

- Je… d’accord.

Je me perds rapidement dans un flash-back. Sa peau rouge, brûlante. Ses démangeaisons. Sa sensation d’étouffement. Son anaphylaxie.

- Felix ?

Je sursaute. Suhua me fixe, les sourcils froncés.

- Tu vas bien ?

J’acquiesce, même si je mens.

- Oui. Allez, viens. Je vais te faire visiter un peu Kyoto.

- D’accord.

- Prends ton portable. Comme ça, tu feras pleins de photos pour Insta.

Elle hausse les épaules.

- Je ne suis pas à l’aise sur les réseaux, mais j’aime l’idée de partager des photos…

- Il faut juste que tu t’habitues.

* * *

Nous arrivons à Kinkaku-ji, aussi appelé « Le Pavillon d’Or ». C’est un temple bouddhiste célèbre. Sa façade est recouverte de feuilles d’or, qui se reflètent dans un petit bassin entouré de jardins zens. Le toit est surmonté d’un phénix doré, symbole de puissance et de protection. Suhua est émerveillée.

Nous traversons les jardins. La neige ajoute une touche féerique, même si j’avoue préférer cet endroit au printemps, quand les cerisiers et les érables fleurissent. Je propose à Suhua d’entrer à l’intérieur du temple et elle accepte.

Nous arrivons dans une pièce traditionnelle avec une table basse en bois clair et deux coussins beiges posés derrière. Devant la table, il y a une baie vitrée qui donne une vue sur les jardins.

- C’était à la base une villa de shogun, des généraux militaires suprêmes, au Japon féodal, mais celui-ci l’a transformé en temple zen, expliqué-je.

Suhua boit mes paroles pendant que je lui raconte l’histoire du temple.

Vers treize heures, son ventre gargouille et je comprends qu’elle a faim, alors nous quittons les lieux pour nous rendre dans un restaurant de ramen.

- Pourquoi avoir choisi le Japon ? demandé-je à Suhua.

- Hein ?

- Tu as quitté précipitamment la France, je suppose. Pourquoi tu as choisi de venir au Japon ? Et pourquoi Kyoto au lieu de Tokyo ?

Elle hausse les épaules, blasée.

- J’aime la culture japonaise. Les paysages, la langue, la nourriture… Et… En réalité, je suis venue à Kyoto parce que c’est le seul train dans lequel j’ai pu embarquer sans réservation.

J’opine du chef.

- Tu aimes la langue, mais tu ne la parles pas, souligné-je, moqueur.

- Je ne suis pas obligée d’apprendre une langue parce que je l’aime.

- Non, en effet. Mais c’est bien quand même.

Suhua croise les bras.

- Qu’est-ce que ça peut te faire ? Et puis, tu n’as qu’à m’apprendre. Vas-y, dis un mot.

Je m’appuie contre le dossier de ma chaise et réfléchis.

- Enmusubi. Lier les liens du destin. Tu connais peut-être la légende asiatique du fil rouge.

Comme elle secoue la tête, je lui explique.

- Il paraît qu’un fil rouge attaché à ta main te relie à ta destinée, parfois ton âme sœur. C’est une légende utilisée dans beaucoup de livres. Le fil rouge du destin.

Suhua hoche la tête.

- Comme dans Your Name.

J’opine du chef.

- En effet.

Suhua attrape des nouilles avec ses baguettes.

- Ok, Felix, apprends-moi une phrase utile au quotidien.

- フェリックスはとても魅力的な人です.*

- Ce qui signifie ?

Je souris.

- Merci, le repas était très bon.

Suhua opine du chef. Je m’en veux un peu de me moquer d’elle, mais c’est tellement drôle.

Lorsque nous passons au comptoir pour payer, Suhua sort la phrase que je lui ai apprise, et la serveuse la fixe, les yeux écarquillés. Elle lui répond en japonais et Suhua ne comprend pas.

- Désolé, mon amie a encore du mal avec la langue, dis-je à la serveuse en japonais. Elle confond encore quelques mots. Elle voulait vous dire que le repas était délicieux.

La dame s’incline et nous remercie, puis nous quittons le restaurant.

- Je ne comprends pas, gémit Suhua. J’ai bien prononcé pourtant, non ?

Je lui offre un sourire coupable.

- Excuse-moi, mais c’était vraiment très drôle.

La jeune femme se tourne vers moi.

- Quoi ?

- Tu lui as dit que j’étais un homme plein de charmes, souris-je.

Suhua écarquille les yeux et me donne une petite tape sur l’avant-bras.

- Sérieusement ?!

- Oui, ris-je.

Suhua souffle et croise les bras, la mine boudeuse. Je ne peux m’empêcher de rire.

- Je me suis ridiculisée, à cause de toi.

- Excuse-moi, je te jure que je ne recommencerai pas.

- Mouais.

Je lui adresse un regard désolé et l’observe attentivement. Elle est assez mignonne, elle fait très enfantine.

- Vraiment, Felix… Je me demande dans quoi je me suis embarquée.

- Une année super, en compagnie d’un homme super.

- Super agaçant, ouais.

Je fais mine de me vexer.

- Eh ! Ce n’est pas très gentil.

Elle m’offre un sourire hypocrite mais quand même taquin.

- C’est une vengeance, Felix. Je suis scorpion, après tout.

- Je m’y connais pas du tout, en astrologie.

- Quoi ?

- Tu es du genre à lire ton horoscope tous les matins ?

Suhua grogne. Elle me fait penser à Karina, à décrire les gens en fonction de leur signe.

- Pas à ce point. Mais c’est vrai que je considère que le signe astro des gens joue sur leur personnalité. Par exemple, moi, je suis scorpion de novembre ascendant bélier. Mon aspect émotionnel est intense, je suis hypersensible. Mon côté bélier m’insuffle une énergie brute, impulsive, une envie d’agir sans attendre. Je suis passionnée, que ce soit en amour, ou dans des projets dans lesquels je me lance. Et en tant que scorpion, je suis charismatique, mais je dois faire attention : si je tombe amoureuse, je peux être victime d’une naïveté affective, alors que je suis normalement méfiante et intuitive.

C’est difficile de ne pas rire face à son explication. Si Suhua est en effet impulsive et, je l’avoue, assez charismatique, je ne la trouve pas méfiante du tout. Elle me fait relativement confiance, après tout.

- Toi, je parie que tu es lion, ascendant balance. Tu es raffiné, généreux, fier mais protecteur, et taquin.

Je fronce les sourcils.

- Ouais, ok, je suis lion. Mon ascendant, j’en sais rien. Mais il suffisait de chercher mon nom sur Internet pour trouver ma date de naissance. Tu ne peux pas deviner mon signe astrologique juste avec mon caractère.

- La preuve que ça marche, sourit-elle. Sinon, c’est quand ton anniversaire ?

- Le sept août. Et toi ?

- Sept novembre, répond-elle.

Je lui souris et lui propose de lui faire visiter un jardin magnifique en hiver.

*Ferikkusu wa totemo miryokuteki na hito desu. Felix est un homme plein de charme.

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