Chapitre 7 - Suhua

6 minutes de lecture

8 février – 11 heures 23

Tokyo

Nous sortons du train que nous avons emprunté depuis Kyoto jusqu’ici. Felix tire derrière lui deux valises, tout comme moi. Il n’y en a qu’une à moi. Le jeune homme a décidé de ne pas voyager léger.

Nous quittons la gare en briques rouges, me rappelant la gare centrale d’Amsterdam, et nous voilà en plein milieu du quartier Marunouchi.

- L’hôtel se trouve à douze minutes à pied, m’apprend Felix. On va un peu se dégourdir les jambes.

Je fixe les rues de Tokyo, émerveillée. Tout est grand, beau, moderne, tout en gardant un style japonais. J’adore. Kyoto était une ville similaire mais plus calme et apaisante, alors que Tokyo doit être une sorte de New York japonais.

Nous finissons par arriver devant l’hôtel Hoshinoya.

Il a vraiment choisi un hôtel de luxe ?

Dès que nous entrons, je suis accueillie par un calme, une odeur de cèdre et de thé, et des décorations en bois. Le hall est sombre. Les murs sont recouverts de panneaux en bois noir, et le son de mes pas est étouffé par le sol. Un employé en kimono nous accueille avec une révérence. Je n’ose même pas parler.

Felix, lui, semble parfaitement à l’aise. Il salue, sourit, glisse son nom à la réception, comme s’il venait ici tous les mois.

On nous conduit à l’ascenseur, puis à un étage qui ne ressemble à aucun autre hôtel que j’ai connu. Chaque niveau est comme un petit monde à part : six chambres seulement, un salon commun avec des tatamis, thé à volonté, et livres soigneusement alignés.

La chambre est sobre, mais somptueuse. Tatamis au sol, futons épais, baignoire en bois qui sent la forêt. La fenêtre donne sur les toits de Tokyo, mais il n’y a pas un bruit.

Felix pose ses trois valises dans l’angle de la pièce, tandis que je laisse la mienne à côté de mon futon.

- On est dans le quartier Ōtemachi, m’explique-t-il. Je te propose d’aller dans le quartier Asakusa, pour commencer.

En un mois, j’ai vite compris que sous son apparence désinvolte, Felix est très organisé.

D’ailleurs, lui et moi nous entendons plutôt bien. Il m’a fait découvrir ses endroits préférés de Kyoto, les adresses de restaurants délicieux. Il m’a expliqué qu’il avait déjà fait le tour du Japon trois fois, et qu’il savait exactement où m’amener.

- D’accord.

- Mais avant… Il va falloir s’habiller.

- J’en étais sûre.

Felix est un grand fan de mode. Il ne l’admet pas, mais ça se remarque assez vite. Il ouvre sa valise et farfouille jusqu’à sortir un kimono rose pâle, avec des fleurs de cerisiers blanches dessus. Il continue de fouiller pour me tendre les chaussures en bois qui vont avec et dont je ne connais pas le nom.

- Tu as acheté ça quand, exactement ?

- C’était à ma grande sœur. Sauf qu’il est trop petit, donc elle ne l’a jamais porté.

- Ok !

J’attrape les vêtements et rejoins la minuscule salle de bain pour mettre le kimono. Je cherche des photos de japonaises pour voir comment elles le portent, et je remarque que beaucoup ont un chignon et une frange.

Je cherche alors sur YouTube un tuto pour me faire une frange japonaise et attrape une paire de ciseaux, suivant les instructions. Je relève la tête vers le miroir.

J’aime bien. Ça change, et ça me donne un petit côté mignon.

Je ramène mes longs cheveux bruns en un chignon volumineux avant de m’observer dans le miroir et de prendre une photo pour Instagram.

Je sors de la salle de bain pour avoir l’avis de Felix – c’est lui, l’expert – et tombe sur lui en train de s’habiller.

Merde.

Je tourne la tête, les joues rouges. D’une voix hésitante, il me dit que c’est bon, alors je pose mon regard sur lui. Il porte une chemise blanche dont les trois premiers boutons sont ouverts, rentrée dans un pantalon de la même couleur, avec une fine ceinture argenté. Une veste noir complète son ensemble.

Je croise les bras.

- Pourquoi tu n’as pas de kimono, toi ?

- J’ai oublié le mien à Kyoto.

Felix me dévisage ensuite de la tête aux pieds, très lentement, et je ne me sens pas à l’aise. Il finit par me sourire.

- Ça te va bien. J’ai vraiment de bons goûts.

Je soupire avec exagération et m’apprête à lui faire remarquer que j’ai une frange, lorsqu’il lance :

- Et c’est sympa, la frange.

Je souris.

- Merci.

- On peut y aller ?

- Oui.

Felix m’ouvre la porte de la chambre et la referme, puis il glisse la carte qui sert de clé dans sa poche. Nous rejoignons le métro et je remarque plein de personnes qui portent des tenues provenant d’animes.

Il y a même un groupe de filles assez spéciales : l’une d’elle a les cheveux rose bonbon et une robe bouffante courte de la même couleur, avec des chaussettes blanches qui remontent jusqu’à ses cuisses. Elle porte des lentilles grises. Les deux autres sont vêtues de la même façon, mais en bleu et orange.

Une autre fille dans le fond du métro porte des oreilles de chat, et elle est accompagnée d’un garçon habillé en Naruto.

Des filles nous dévisagent. Enfin, elles regardent surtout Felix en chuchotant.

Après quarante longues minutes dans le métro de Tokyo, nous émergeons dans le quartier Asakusa. Les temples traditionnels sont rouges, en bois, parfois noirs. Il y a des inscriptions en japonais dessus, et Felix m’en traduit certaines. J’observe les branches nues des cerisiers, me disant que ça doit être magnifique au printemps.

Nous arrivons devant le Sensoji, un grand temple sur deux étages. Le toit noir incurvé est immense, légèrement enneigé.

- J’ai l’impression de ressembler à une touriste déguisée, soufflé-je à Felix lorsque j’observe les autres femmes qui portent le kimono beaucoup mieux que moi.

Le jeune homme me lance un regard.

- Ne fais pas attention aux autres. Ils sont juste jaloux.

Je me demande s’il insinue que ça me va bien ou quelque chose comme ça. J’hésite à lui poser la question. On ne se connaît que depuis un mois, je ne vais pas lui dire ça, si ? Je trouve ça particulièrement osé.

- Pourquoi ? finis-je par dire.

Il sourit.

- Parce que tu es en ma compagnie, bien sûr.

Je croise les bras, légèrement vexée. Felix ne semble pas le remarquer, il continue de marcher en me montrant les bâtiments et en me traduisant des choses.

Il me propose de faire quelques photos, et j’oublie vite ma vexation. Je prends des selfies, il me photographie, je le photographie discrètement. La photo est floue, Felix est de trois-quarts, mais elle est hilarante.

Son œil droit est à moitié fermé, l’autre est ouvert. Ses lèvres sont entrouvertes et ses cheveux volent, parce que j’ai pris la photo pendant qu’il bougeait la tête.

- Eh, je fais des supers photos, dis-je en faisant défiler les clichés de ma galerie. Je devrais faire des tutos « comment prendre une photo magnifique », plaisanté-je.

Felix jette un regard à l’écran de mon portable et nous tombons sur la photo de lui. Il écarquille les yeux.

- Sérieux ? C’est quoi, ça ?

Je ne peux pas m’empêcher d’éclater de rire.

- C’est pas des tutos « comment prendre une photo magnifique » que tu devrais faire, mais « comment faire perdre à quelqu’un tout son charisme en une photo ».

- Moi, je l’aime bien.

Felix hurle « QUOI » et puis se met à sortir un monologue en parlant rapidement sur le fait que la photographie est avant tout un art, et que la beauté de la photo dépend de l’affection que l’on porte au sujet. Il finit par dire « tu me détestes en fait » pour plaisanter.

Il regarde une nouvelle fois la photo et finit par rire lui aussi. J’essuie quelques larmes sur mon visage, toujours morte de rire. Je manque de faire tomber mon portable.

- Je vais la mettre en fond d’écran, dis-je entre deux rires.

- Si tu veux…

Je sélectionne la photo pour la mettre sur mon écran d’accueil. Quand je relève la tête, je me prends le flash du portable de Felix dans les yeux. Il me montre le cliché : il y a un gros zoom sur mon front, la photo est prise de haut. Ma bouche est tordue trop bizarrement, et mes yeux sont mi-clos.

- Pour mon fond d’écran, ajoute-t-il.

Je ne peux m’empêcher de sourire.

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