Chapitre 10 - Felix

4 minutes de lecture

9 février – 15 heures 47

Tokyo

J’ai encore en bouche le goût de la glace chimique de Suhua, mais tant pis. Soudain, elle se fige à mes côtés, les yeux rivés sur son téléphone. Je tourne la tête vers elle.

- Tu vas bien ?

Suhua range son portable dans le petit sac à main que je lui ai passé et force un sourire qui n’atteint pas ses yeux.

- Oui. Allons ici.

Elle me désigne une boutique remplie de peluches incroyablement mignonnes. J’accepte et suis la jeune femme à l’intérieur. Elle s’extasie devant chaque peluche et jette souvent des regards à un tout petit axolotl doux et tout rose, avec de grands yeux mignons.

Suhua passe de rayons en rayons, des étoiles pleins les yeux. J’attrape discrètement l’axolotl et, tandis qu’elle a le dos tourné, je pars en caisse. Je le tends au caissier, qui scanne le petit code barre sur l’étiquette accrochée aux fesses de la peluche.

- Ça vous fera quatre-milles trois-cents yens*.

Je lui tends la monnaie (c’est cher pour une peluche de moins de vingt-cinq centimètres) et rejoins Suhua. Je lui tends et elle me remercie, les yeux pétillants.

J’aime bien lui faire plaisir et lui acheter des souvenirs. À vrai dire, lorsque je l’ai rencontrée il y a un mois et que je lui ai proposé de faire un road-trip au Japon, j’espérais devenir ami avec elle. Je ne sais pas si elle me considère comme tel, mais j’aime le penser.

- On ira où après Tokyo ? me demande-t-elle.

- Tu te projettes loin. J’ai prévu de faire un mois, une ville. Mais si ça t’intéresse vraiment, j’ai choisi d’aller à Osaka. Et pour avril, un petit village de campagne moins connu pour profiter des cerisiers en fleurs loin de la ville.

- Oh, trop bien. J’ai toujours voulu voir les cerisiers japonais.

Je lui souris alors que nous traversons la foule pour rejoindre la rame de métro, direction la Tour de Tokyo.

* * *

- Ouais, ils ont juste copié les français et ont fait la Tour Eiffel à la japonaise.

Je laisse échapper un petit sourire.

- Oui, c’est ça. L’architecte s’en est inspirée. Elle fait trois-cents trente-deux virgule six mètres de haut. Elle ne fait que quatre milles tonnes, alors que la Tour Eiffel est autour des dix-milles cent tonnes. La construction a commencé en 1957 et s’est terminée en 1958. Elle est éclairée par cent soixante-seize ampoules et s’illumine en orange pendant l’hiver, blanc pendant l’été. Elle a coûté deux milliards deux-cents millions de yens, soit très approximativement seize millions cent-quatre-vingt-un mille vingt-trois euros. Les deux architectes étaient Nikken Sekkei et Tachū Naitō, mais le premier était aussi l’ingénieur.

Elle me fixe, éberluée.

- Je ne sais pas ce qui me surprend le plus : que tu connaisses tout ça, ou que tu aies cru que j’avais besoin de tous ces détails pour comprendre qu’elle est inspirée de la Tour Eiffel.

- Tu veux aussi le nombre de marches où je garde ça pour plus tard ? continué-je avec un sourire.

- Parce que ça aussi, tu le sais ?

- Il y a six cents marches pour atteindre l’observatoire principal à cent-cinquante mètres de hauteur. La plateforme supérieure est accessible en ascenseur.

Suhua croise les bras.

- Heureusement. Je n’ai pas les jambes adaptées pour monter des milliers de marches.

- Alors montons, souris-je.

Elle me suit jusqu’à la billetterie et nous commençons notre ascension. Nous avons à peine monté six marches que je m’arrête.

- Tu as un short en-dessous de ta jupe ?

Suhua hoche la tête et je pousse un soupir de soulagement. Nous reprenons notre montée et au bout d’un moment, elle s’arrête et s’appuie contre la rambarde.

- Je sens plus mes jambes…

Elle tourne la tête vers la vitre et trébuche.

- Putain, Felix, on est hauts.

Je hausse un sourcil.

- Il nous reste environ cent mètres à monter. Tu ne m’as pas dit que tu avais le vertige.

- Non, mais ça passe d’habitude. Mais là…

Le vent s’engouffre par une ouverture, frais contre nos visages. Tokyo s’étend sous nos yeux.

Je fixe Suhua. Je ne sais pas quoi faire pour l’aider. On ne peut pas redescendre pour prendre l’ascenseur, c’est trop tard.

Elle tourne sa tête vers moi, le corps crispé.

- Je sais qu’on se connaît à peine, mais ça te dérange si je m’agrippe à toi ?

Mon cœur cogne dans ma poitrine, sans trop savoir pourquoi.

- On se connaît à peine ? Tu exagères. Ça fait un mois qu’on visite le Japon ensemble.

- Non, mais je veux dire qu’on se connaît trop peu pour avoir des contacts physiques, mais là j’ai besoin de m’accrocher à quelque chose.

Après hésitation, je lui tends mon bras. Suhua fait deux pas et s’agrippe à mon coude avec ses deux mains, comme si sa vie en dépendait.

- N’abîme pas ma veste Louis Vuitton.

Elle lève les yeux au ciel.

- Tu as de quoi t’en payer quinze autres, des comme ça.

- Ce n’est pas pour autant que je veux le faire.

Suhua me demande de lui parler pendant que l’on monte. Je lui parle alors de la Fashion Week de Paris où je suis allé quand j’avais vingt-deux ans, puis de la soirée VIP que mon père avait organisé pour mes dix-huit ans.

- C’était bien ?

Je hausse les épaules.

- Bof. C’est vrai que j’aime les choses luxueuses comme les marques, les défilés de mode et les restos chers, mais les soirées VIP, c’est pas mon truc. Les gens invités étaient là pour mon argent et celui de mon père. Personne ne faisait vraiment attention à moi. En plus, il n’y avait que du champagne à boire. Sauf que je ne bois pas d’alcool.

- Ah oui ? Toi ?

Je souris.

- Je suis du genre à aller dans des caves sans alcool et à boire des mocktails. Ça casse mon image raffinée ?

Suhua penche la tête sur le côté.

- Non, ça va. Mais je croyais que tu ne parlais plus à ton père ?

- Depuis ce soir-là, justement.

- À cause de la soirée ratée ?

- En partie, oui.

*Un peu moins de 25€

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