23 février – 7 heures 26

Tokyo

Suhua dort profondément, mais je la réveille. Elle se plaint en disant qu’elle est fatiguée.

- Tu n’auras pas le temps d’y penser aujourd’hui, réponds-je. Je t’emmène au quartier Akihabara puis au quartier Ginza pour la soirée.

Suhua se relève difficilement et me demande si je peux la laisser s’habiller.

- Je t’attends dans le couloir. Tu as dix minutes.

- Et pour le petit-déjeuner ?

- Je suis allé à l’accueil acheter des gâteaux de riz.

Je quitte la chambre pour qu’elle puisse s’habiller. Elle ressort, vêtue d’un jean large noir taille haute, des baskets blanches, un t-shirt de base-ball trop large blanc avec le chiffre 23 écrit dessus en noir. Une casquette de base-ball accordée aux baskets est vissée sur sa tête. Elle me fait penser à une lycéenne au style streetwear, ou à une fille sortie tout droit d’un drama.

- Je suis prête, dit-elle avec un sourire.

- Il faudra repasser se changer pour la soirée, lui ajouté-je.

- Je m’en doutais, Felix. Je te connais bien, maintenant.

En deux mois, on a en effet appris à se connaître, même si elle ne connaît pas mon histoire, et inversement. Mais nous sommes de bons amis.

Il nous faut vingt-cinq minutes à pied pour rejoindre le quartier d’Akihabara. C’est un vrai paradis pour les geeks : on y trouve des mangas, des figurines, des jeux vidéos et des maid cafés.

Suhua est impressionnée par les personnes autour de nous. Elles observent les filles déguisées en chat ou roses de la tête aux pieds, ainsi que les garçons habillés en Son Goku ou encore Luffy.

- C’est dingue, souffle-t-elle en mitraillant le paysage avec son appareil photo.

Nous entrons dans une boutique de mangas shōjos et Suhua feuillette plusieurs livres à la couverture… disons, sensuelle.

Je regarde le titre de celui qu’elle observe. Boku wa Imōto ni Koi o Suru. Soit, traduit en français, « je suis amoureux de ma sœur ». Je jette un œil par-dessus l’épaule de Suhua.

- Oh, wow, je ne savais pas que tu lisais des mangas érotiques.

Suhua me lance un regard, gênée. Ses joues sont rouges.

- Ok, j’avoue, répond-elle, s’empourprant encore plus.

- Je suppose que tu es du genre à regarder « Cinquante nuances de Grey ».

- Non, j’aime pas quand il y a ce genre de scènes dans les films. Je préfère lire, ça rend ça moins vulgaire et plus… romantique.

Je lui souris.

- Ne sois pas gênée. Des gens font pire que lire des livres un peu… Voilà. Certaines personnes regardent. Alors ne soit pas gênée.

Elle me sourit sincèrement et je sens mon cœur cogner dans ma poitrine, comme la dernière fois à la Tokyo Tower.

- On devrait aller voir d’autres choses, indiqué-je en détournant le regard.

- D’accord.

Suhua se met sur la pointe des pieds pour reposer le manga et vacille. Je l’attrape par le bras pour la retenir, mais mon autre main vient se poser sur sa taille.

- J’ai une crampe au pied, se plaint-elle.

- Assieds-toi ici, dis-je en désignant un siège.

Je retire vivement mes mains d’elle, comme si j’avais été brûlé.

Merde, Felix, c’est pas le moment d’avoir un crush sur une fille. Tu n’as plus quatorze ans.

En y repensant, je ne suis jamais tombé amoureux. Comme beaucoup de gens, j’ai eu des petits crush sur une ou deux filles quand j’étais au collège, mais ça durait deux jours grand maximum.

Ça faisait longtemps. Mais en tout cas, il faut vite que je me reprenne. Suhua est mon amie. Ce n’est pas raisonnable, elle va partir, je ne dois pas m’attacher.

- Ça va mieux ? demandé-je.

Suhua hoche la tête et se relève. Elle fait quelques pas puis estime qu’elle va bien.

- On peut changer de boutiques.

On entre alors dans un magasin rempli de goodies des films Ghibli. Il y a des Totoro plus ou moins gros, des carnets représentant les différents films, des autocollants… Il y a même une figurine du chat de Kiki la petite sorcière.

- C’est quoi, ton Miyazaki préféré ? me demande Suhua en observant des posters du film Le Château ambulant.

Je prends un instant pour réfléchir.

- Probablement Le Voyage de Chihiro. Et toi ?

Suhua se tourne vers moi avec un énorme sourire.

- Le Château dans le ciel.

Je lui rends son sourire.

- Et celui que tu aimes le moins ? demandé-je.

Suhua s’arrête à travers les étalages et balaye la boutique du regard. Je la fixe tandis qu’elle réfléchit.

- Princesse Mononoké. Et toi ?

- Pareil.

Elle attrape une peluche de Hauru et la pose à côté de moi.

- Vous avez les mêmes cheveux.

Je souris et repose la peluche qu’elle tient. Ses yeux se posent sur un cahier dont la couverture représente celle de son Miyazaki préféré. Elle l’observe et regarde les pages. Sur certaines, il y a des citations du film écrites en japonais, sur d’autres il y a des dessins de scènes du film.

Je regarde Suhua et mes yeux se posent sur son sac noir, où la peluche axolotl que je lui ai achetée quelques jours plus tôt est accrochée. Je m’avance jusqu’à mon amie et désigne le cahier.

- Tu le veux ?

- Hein ? Non, merci. Enfin, il est très beau mais il doit coûter très cher, et je ne sais même pas pourquoi je m’en servirais.

Je regarde le prix quand même. Il n’est pas si cher que ça. Elle va me tuer si je lui achète, mais je m’avance quand même vers le comptoir en bois qui sert de caisse pour payer le cahier. Je tends un billet correspondant à la somme à la caissière et rejoins Suhua, le cahier caché dans la poche intérieur de ma veste noire.

- On fait quoi ? On va essayer des cosplays ? propose-t-elle, excitée.

- Ok. Je connais une boutique. On y va ?

- Oui !

Elle sort presque en courant de la boutique.