Chapitre 14 - Felix

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Avant

Kyoto

Je passe devant le miroir paré de dorures de l’entrée de la salle des fêtes que nous avons réservé pour mes dix-huit ans. Je vérifie que ma chemise noire, dont les trois premiers boutons en or ouverts révèlent ma clavicule, est ajustée, bien rentrée dans mon pantalon noire. Mes cheveux blonds retombent sur mes épaules, je suis prêt. Je sors de ma poche une petite broche Yves Saint-Laurent, que j’accroche au niveau de mon cœur.

- Ah, Felix. Tu es là.

Je jette un regard à mon père qui apparaît, ses cheveux noirs plaqués en arrière sur sa tête. Il porte un ensemble marron Louis Vuitton avec une montre Rolex.

- Les invités devraient bientôt arriver.

- Il y a qui ?

Mon père me fixe avant de répondre :

- Ta sœur, si elle a pu se libérer. Des investisseurs que je connais. Et Amy, l’amie de ta mère.

Amy est une femme écossaise qui fait partie de ce cercle privé de gens riches, que ma mère connaît depuis ses études de mode à Paris. Mon père m’énerve à parler de ma mère comme si elle était encore là, alors que ça fait huit ans qu’elle est morte. Mais peut-être que c’est une façon pour lui de se raccrocher à son souvenir.

J’observe la pièce, somptueusement décorée pour cet événement VIP qui est en réalité mon anniversaire. On est plein été, je sais déjà que l’on va tous mourir de chaud dans cette pièce. L’odeur de la sueur sera mêlée à celle écœurante de certains parfums de luxe.

Des tables rondes ont été disposées partout, avec des petits canapés français mis sur des présentoirs, avec d’autres petits apéritifs parisiens. La salle a été décorée dans un style parisien chic, et mon père m’explique que c’est parce qu’il sait à quel point j’aime la France.

- J’ai même fait importer un champagne des vignes de la ville de Reims, en Champagne-Ardennes. Si ça ne te va pas, il y a du rosé et du vin rouge, bien évidemment.

Je me fige. Visiblement, mon père ne retient pas que je ne tolère pas l’alcool.

Je n’ai pas le temps de lui dire, les invités affluent. Chaque investisseur est venu avec sa femme, et je me retrouve entouré de gens « comme moi ». Je suis déçu de ne pas voir ma sœur arriver, mais je me rassure en me disant qu’elle est juste en retard.

Une fille avec une robe qui s’arrête juste en-dessous de ses fesses et révèle de fortes cuisses arrive vers moi. Elle me dit bonjour en me collant son décolleté plongeant sous le nez, et je détourne le regard.

- Je m’appelle Masami Hoshimori. J’ai dix-huit ans, comme toi.

Super, je n’en ai rien à faire.

Masami attrape une flûte de champagne et la porte à ses lèvres. Je sens d’ici son parfum écœurant de vanille. Elle en a trop mis, ça me pique la gorge et j’ai un peu mal à la tête.

- Mon père est Soichiro Hoshimori, tu dois le connaître.

- Non, réponds-je simplement, glissant mes mains dans les poches de mon pantalon.

- Oh. Moi, en tout cas, je te connais, sourit-elle en posant sa main sur mon avant-bras.

Je me dégage légèrement.

- Tu es en couple, Felix ?

Apparemment, elle a décidé de m’appeler par mon prénom.

- Non. Je ne cherche pas à avoir une relation amoureuse, dis-je fermement.

- Oh, ça va… Je veux pas me mettre en couple avec toi, juste passer la nuit dans ton lit. Je suis sexy, non ? Et je suis très forte pour faire l’a…

- FELIX !!!

Karina arrive en courant, ses longs cheveux noir de jais se balançant dans son dos, et elle se jette dans mes bras. Même hissée sur ses talons, je suis plus grand qu’elle. Je la remercie intérieurement de m’avoir sauvé de l’autre folle.

- Je reviens tout juste de Milan où j’ai assisté à un défilé. J’ai eu peur de manquer ton anniversaire.

Ma sœur se détache et sourit à Masami.

- Karina Nagashi. Et toi ?

- Masami Hoshimori.

J’attrape ma sœur par le poignet.

- Oneechan, il fallait que je te parle d’un truc, viens.

- Ok. Attends-moi là, Masami, ajoute Karina en s’accrochant à mon bras.

J’emmène ma grande sœur à l’écart de la foule, dans une cage d’escalier sombre, et pousse un soupir de soulagement.

- Désolé, je n’ai rien de spécial à te dire. Je ne supportais juste pas Masami.

- Arrête, elle a l’air adorable.

Je lève les yeux au ciel. Karina s’assoit sur les escaliers face à nous et attrape une mèche de ses cheveux sombres.

- Je pensais me les couper. Qu’est-ce que tu en dis, Felix ?

- Si tu les coupes, je serai le dernier encore charismatique de cette famille.

- Oh la la, t’es vraiment un lion, toi. C’est quoi cet ego ?

Je souris.

- C’est quoi cette façon de me définir par mon signe astro ?

- Laisse tomber. Tu penses vraiment que je serais moche ? Je n’aime pas mes cheveux trop longs. J’ai envie de changer.

Je m’assois à côté de Karina.

- Fais ce que tu veux.

Je sursaute quand Amy, l’amie de ma mère, se fait plaquer contre le mur par un homme juste devant nous. J’échange un regard surpris avec ma sœur mais nous ne bougeons pas. L’homme l’embrasse passionnément en poussant des petits grognements et je me sens gêné. Heureusement qu’il fait trop sombre pour que je puisse le distinguer, sinon, ça serait pire. Karina, qui ne semble pas de mon avis, allume la lampe torche de son téléphone, brisant l’intimité du couple face à nous.

Et là, mon cœur s’arrête.

Mon père. Je ne bouge même plus. Amy tourne la tête vers nous, réajuste sa robe courte et s’en va sans nous regarder. Je reste figé face à mon père. Karina est sous le choc.

- Les enfants…

- Tu es sérieux ? articulé-je.

Je serre la mâchoire. Notre père nous a toujours dit qu’il ne comptait pas remplacer notre mère. Et puis, Amy n’est pas n’importe quelle femme. C’était la meilleure amie de ma mère, bordel.

- Tu as prévu de gâcher mes dix-huit ans ?! D’abord, tu commandes du champagne alors que je suis intolérant à l’alcool et tu ne prévois même pas d’eau au cas où. Ensuite, tu invites des personnes que je ne connais pas pour discuter avec eux en me laissant moisir tout seul dans un coin. Et pour finir, tu embrasses la meilleure amie de Maman. C’est ma soirée d’anniversaire, où c’est juste une autre excuse pour faire une petite fête VIP avec tout tes amis hypocrites riches ?!

- Felix… commence mon père.

- C’est pour ça que tu as invité Amy. Tu pensais pouvoir t’envoyer discrètement en l’air avec elle en pensant que Masami allait me divertir pour que je ne le remarque pas. C’est ça ?!

- Felix, viens, souffle Karina. On s’en va.

J’opine du chef, le souffle court. Ma respiration est difficile, j’ai envie de vomir. Karina m’attrape par le poignet pour me tirer loin de cette pièce à la chaleur étouffante.

Une fois dehors, dans la nuit de début août, je prends une grande inspiration.

- Je le déteste.

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