Chapitre 15 - Felix

4 minutes de lecture

23 février – 17 heures 12

Tokyo

J’attends que Suhua ait fini de se préparer pour aller au quartier Ginza. La jeune femme apparaît, dans une robe bleu ciel Chanel à jupe volumineuse, façon tutu, qui flotte autour de ses jambes fines enserrées dans ses chaussettes blanches qui montent jusqu’à mi-cuisse. Le corsage blanc ajusté souligne sa silhouette avec délicatesse, ornés de volants vaporeux. Ses cheveux sont ramenés en deux tresses lâches qui passent sur ses épaules. À ses pieds, des ballerines satinées noires. Elle a accepté le bracelet Chanel et le collier en or Dior que j’avais sur moi.

Suhua est à la fois mignonne et élégante.

- Tu es… jolie, hésité-je.

Elle me sourit et observe sa tenue.

- Je n’ai pas l’habitude de porter des vêtements de marque, mais si on va dans un quartier de luxe…

J’ajuste la veste blanche de mon ensemble et enfonce correctement une des bagues en or sur mon majeur gauche.

Nous prenons un taxi en bas de l’hôtel, qui nous emmène au quartier Ginza en seulement dix minutes. Nous sommes accueillis par de larges boulevards, des bâtiments modernes et des gens tous plus luxueux les uns que les autres.

- Viens, je vais te faire découvrir un rooftop.

- C’est quoi ?

- Un espace aménagé sur le toit d’un bâtiment.

- Ahh, ok.

Je souris et la conduis à travers les rues du quartier pour arriver à l’entrée du complexe Ginza Six, un jardin de quatre mille mètres carrés. Nous prenons l’ascenseur pour monter au rooftop, au quatorzième étage. Nous arrivons dans un grand jardin japonais moderne, avec des bancs, des mini patinoires et des tables près du bord. Nous nous y installons. Le soleil commence à disparaître derrière l’horizon. Nous avons une vue d’ensemble sur les toits des maisons de Ginza, ainsi que sur la Tokyo Tower.

Un serveur vient nous demander si on souhaite manger ou boire quelque chose. Il nous fait la liste de ses cocktails et je lui demande s’il en a des sans alcool. Il me fixe, éberlué, avant de sortir une petite tablette de sa poche et de faire défiler le menu sous mes yeux.

J’en choisis un nouveau qui s’appelle « La Clavicule d’Or ». Il est composé de thé blanc infusé à froid, de nectar de poire, de jus de yuzu, de sirop de fleur de sureau, de feuilles de shiso. Suhua prend un « Shirley Temple » à la limonade et non pas à la ginger ale. On ajoute des mochis au litchi pour Suhua et au thé vert pour moi.

- Tu ne bois pas d’alcool ?

Elle hausse les épaules.

- Ça m’arrive. Mais je n’avais pas envie ce soir.

J’opine du chef et tourne la tête vers la vue.

Le serveur revient avec notre commande et j’observe mon mocktail d’une couleur pâle. Suhua dit que c’est couleur « champagne délavé » et je ris doucement.

Je me sens beaucoup plus à l’aise avec Suhua depuis que je lui ai dit pourquoi je ne parlais plus à mon père. Elle m’a toujours poussé à être moi-même, sûrement parce que c’était une inconnue, mais je le suis encore plus depuis qu’elle sait la vérité.

Je l’observe à la dérobée, les rayons du soleil donnant des reflets roux à ses cheveux bruns.

Il est encore trop tôt pour en être complètement sûr, et je sais que je ne la connais que depuis deux mois, mais je crois que je suis en train de tomber amoureux de cette jeune femme pétillante, spontanée mais aussi lucide et impulsive.

En revanche, je sais que ce n’est pas réciproque, et que je ferais mieux de la reléguer au statut d’amie avant de trop m’attacher.

Je croise les jambes et attrape mon verre entre mes doigts, puis je m’appuie contre le dossier de la chaise en bois.

- Wow, une vraie star, dit Suhua en sortant son téléphone. Tiens, regarde vers le coucher de soleil, lève un peu le menton… Hop…

Elle brandit son téléphone avec le cliché de moi.

- Je suis déjà plus charismatique que sur la photo de ton fond d’écran, réponds-je.

- Celle-ci ? demande-t-elle désignant la photo prise à Asakusa.

- Exactement.

Je me penche par-dessus la table pour saisir un mochi au thé vert.

- Je croyais que tu ne les aimais pas parce qu’ils avaient un goût de réglisse.

Je plisse le nez.

- Je n’ai jamais dit que je ne les aimais pas.

- Oui, mais vu que le réglisse ce n’est pas bon…

- Je suis d’accord.

- Mais ?

Je lui souris mystérieusement.

- Je suis un homme plein de contradictions.

- Je vois ça, soupire Suhua en buvant une gorgée de sa boisson.

Elle se tourne ensuite vers le rooftop, puis sur la vue. Elle regarde tout intensément, la mine concentrée.

- Est-ce qu’à Osaka, on va continuer dans le luxe ou tu comptes me faire découvrir un autre aspect de la vie japonaise ?

Je repose mon verre de mocktail et croise son regard. Une mèche blonde tombe devant mes yeux et je la repousse, puis je lance :

- Non. À Osaka, ce sera camping. Tu en as déjà fait ?

Suhua secoue négativement la tête.

- Non.

- Tu n’en as jamais eu l’occasion, ou tu ne voulais pas ?

Suhua pousse un léger soupir.

- J’ai peur de dormir dans la nature. Tu sais, juste protégée par une tente.

Je croise les bras.

- Eh bien, prépare-toi à dormir en forêt pendant un mois.

- Vraiment ?

- Si tu ne peux vraiment pas, on trouvera un hôtel. Mais essaye au moins une nuit.

- D’accord.

Je demande un plateau de petits cubes de gelée à base de racine de konjac au matcha, étant donné que Suhua n’aime pas trop le yuzu.

- Des konnyaku cubes, présenté-je. Ce sont des petits en-cas très sains.

Elle en porte un à ses lèvres et fait une tête étrange, mais approuve.

- C’est bon. Très, très bon.

- Tu vois ! Je ne te donne que de bonnes choses à manger.

- Tu oublies l’épisode des sushis aux oursins, rappelle-t-elle.

Je lève les yeux au ciel.

- C’est bon, ça va. Tu n’as pas aimé une seule fois.

- Mais, Felix…

Je pose mon regard sur elle.

- Oui ?

- Comment une personne aussi raffinée que toi peut-elle dormir sous tente ?

- Je connais une bonne aire de camping dans une forêt d’Osaka. Sur un mont. Le lever de soleil y est magnifique.

- Je vois. Il y a toujours quelque chose de magnifique, sinon, tu n’irais pas.

- Évidemment.

Suhua sourit et je lui rends.

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