Chapitre 16 - Suhua
2 mars – 16 heures 37
Osaka
Après trois heures vingt-et-une de train, Felix et moi sommes arrivés à Osaka. Il fait douze degrés Celsius dehors, et ça me réjouit. Je suis contente de revoir les beaux jours arriver. Je traîne derrière moi ma valise et celle de Felix.
- On va poser nos affaires à l’aire de camping et après on va à la supérette, annonce-t-il.
Felix arrête un taxi, et lui indique notre destination : le mont Iwawaki. Ils discutent en japonais, puis Felix m’explique que pour aller à l’aire de camping, certaines routes sont bloquées pour travaux, et donc qu’on va devoir finir à pied.
- Pas de problème. J’aime les randonnées en montagne.
- Ouais, mais là on est chargés. Enfin, on a pas d’autres choix.
- Tu es chargé Felix. Moi, j’ai une valise.
Il marmonne quelque chose avant de fourrer les valises dans le coffre du taxi noir et nous montons à l’arrière. Le chauffeur dit à Felix quelque chose, et il me traduit que nous en aurons pour une heure dix-neuf de trajet. Je m’appuie contre la vitre et regarde Osaka défiler sous mes yeux. Nous passons devant un énorme temple sur plusieurs étages et Felix m’explique que c’est le château d’Osaka.
- On le visitera ?
- C’était pas au programme, mais si tu veux.
J’opine du chef. Le chauffeur allume la radio et plusieurs types de chansons japonaises passent : du rap, du hip-hop, du metal, des musiques toutes mignonnes, de la J-pop et j’en passe. Felix ne me parle pas et ça me va : je profite du paysage japonais.
Au bout d’un moment, nous quittons l’autoroute et arrivons dans des routes forestières en pente et en zigzag. Ça me rappelle quand je suis allée dans les Alpes avec ma mère, quand j’avais seize ans. Nous avions décidé de partir à la montagne pour voir la neige. C’est le premier Noël que nous avons passé sans Suhui. Il avait décidé de rester avec Lia, qui était seule à cause du divorce de ses parents.
* * *
Nous montons la tente à la lisière d’un sentier. Le vent souffle dans les arbres, et les lumières de la ville sont visibles d’ici. Le mont offre une vue sur des crêtes boisées, des plaines. Je n’ai jamais campée, mais ici l’atmosphère est à la fois paisible et sauvage, c’est magnifique. Il y a même un lac à l’eau cristalline.
- Pour se laver, indique Felix.
Je hausse un sourcil, incrédule.
- Attends. On va se laver dans un lac ?
- Il n’est pas très profond. Dans le pire des cas, l’eau t’arrivera au menton. Et il n’y a pas d’animaux sauvages dedans.
- Ok, ok.
- On va à la supérette acheter de quoi manger ? Et du savon, aussi.
Je croise les bras et donne un coup de menton vers ses trois valises.
- T’es en train de me dire que là-dedans, y a même pas une bouteille de gel douche ?
Felix hoche la tête.
- Que des vêtements.
- T’es un cas désespéré.
Mon ami rit et range nos affaires dans la petite tente. Il glisse son portefeuille dans la poche de son pantalon blanc, qu’il a accordé à un pull en laine coréen bleu ciel.
Nous descendons une partie de la montagne pour arriver à une sorte de petit centre commercial avec une supérette, une laverie et une pompe à essence. Felix et moi entrons dans la première et je regarde chaque rayon. Il y a des savons, des petits biscuits industriels, des nouilles instantanées, des brosses à dents et j’en passe.
- On prend quoi ?
- Tu aimes les nouilles ?
- Ouais, mais on fait des courses pour la semaine ou juste pour ce soir ?
- Juste pour ce soir, pour le moment. On avisera en fonction de ce qu’on fait si on mange à la tente ou ici.
- Mais j’y pense, on a vraiment laissé notre tente en liberté dans la forêt ?
Felix sourit en attrapant des petits paquets de nouilles au porc au caramel.
- Oui, c’est un endroit tellement caché que personne ne nous trouvera. On est perdus au milieu de nulle part, Suhua.
- C’est pas très rassurant.
- Je l’ai déjà fait avec Karina.
Nous passons au rayon confiserie et Felix se transforme en enfant de trois ans. Il prend des Marshmallow, hésite entre les petits et les grands Dragibus et finit par prendre les deux.
- C’est quoi, tes bonbons préférés ?
J’observe les rayons avant de lui désigner les Haribo à la pastèque et ceux à la pêche.
- Eux.
Felix saisit les deux sachets et manque de faire tomber les nouilles. Je les ramasse et lui propose de l’aider à porter des choses. Nous allons ensuite au rayon hygiène pour prendre du shampooing et du savon. Je choisis un shampooing à la menthe poivrée et à la lavande, tandis que Felix sélectionne un gel douche au charbon et à l’ambre.
- Hm, ça sent bon… C’est du savon pour homme mais c’est pas grave, souris-je.
- Je vais me laver les cheveux avec de la lavande et de la menthe poivrée à cause de toi, tu peux pas te plaindre.
Je ris et nous nous rendons à la caisse. Alors que nous posons nos achats devant le caissier, Felix se tend.
- On a oublié les desserts, souffle-t-il comme si c’était réellement dramatique.
- On a déjà des bonbons. Je veux pas faire une crise d’hyperglycémie.
- Je t’amènerai à l’hôpital. J’arrive. Tu veux quoi ?
Je souris et réfléchis.
- Des mochis.
- T’es devenue accro à ces trucs.
- Ouais.
- Je vais en chercher.
- Évite ceux à la betterave.
Je suis sûre qu’il est à deux doigts de me tirer la langue avant de partir. J’attends à la caisse que Felix revienne avec des mochis à la mangue et aux haricots rouges. Il paye puis nous remontons jusqu’à la tente. Le temps se rafraîchit et la température est passée à moins de dix degrés. Je récupère dans ma valise une chemise à carreaux que je mets par-dessus mon pull fin noir.
Il est environ dix-neuf heures quarante, et Felix allume un petit feu. Je m’assois sur l’herbe et l’observe alimenter les petites flammes pour le faire grossir un peu. Une fois que c’est fait, il s’occupe de faire cuire les nouilles.
- Si tu veux on peut aller voir le château demain, souffle-t-il tout en mélangeant les nouilles.
- Oui, ça me va.
- Le seul truc chiant, c’est qu’il faut faire plus d’une heure de route tous les jours.
- Ouais…
Felix remplit des petits bols en bois avec les nouilles et m’en tend un, puis il me passe des baguettes. Le soleil a disparu derrière l’horizon et le ciel est bleu sombre, mais pas tout à fait noir.
Je mange mes nouilles silencieusement tout en fixant les sapins le long des crêtes. J’aime beaucoup la montagne, et si je devais répondre au débat « montagne ou plage », je choisirais le premier sans hésiter. J’aime aussi aller à la mer, mais moins. C’est peut-être parce que j’habite en Bretagne et que je suis à environ une heure de la Manche, mais je ne trouve pas ça… exceptionnel.

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