Chapitre 17 - Felix

5 minutes de lecture

2 mars – 20 heures 12

Osaka

Suhua observe la vallée qui s’étend sous nos yeux, mais moi je la regarde elle. J’essaye de me persuader que je ne suis pas amoureux d’elle, parce que j’ai vu des vidéos qui disaient que si on se répétait une chose suffisamment de fois, on finirait par y croire.

Suhua tourne enfin la tête vers moi et je détourne le regard en appuyant sur mon index avec mon pouce à l’intérieur de la poche de mon pantalon. Je me penche en arrière pour récupérer les Marshmallow, les Dragibus, les pastèques et les pêches. On a un peu abusé sur la dose de bonbons, mais ce n’est pas grave.

J’ouvre les guimauves et attrape des bâtons de bois que j’avais dans la poche avant d’une de mes valises.

Eh oui, Suhua Liu, je n’ai pas que des vêtements.

Je tends un pique à Suhua et elle enfonce plusieurs Marshmallows dessus.

- J’ai l’impression d’être dans un film américain où ils font un camp de vacances.

Je souris et hausse une épaule.

- Non, mais tu trouves pas ? Tu sais, le truc classique. Ils sont tous les deux autour du feu, ils rient et dévient sur une conversation un peu intime, genre le mec qui parle de sa mère morte de cancer et la fille qui semble parfaite qui lui explique qu’elle n’ose en réalité pas s’affirmer. Ils compatissent l’un pour l’autre en grillant leurs guimauves, et ils s’embrassent.

Je tente d’ignorer mes joues qui me brûlent.

- T’en as vu beaucoup, des films comme ça ?

- Tout plein, répond Suhua en mangeant une guimauve sans même l’avoir faite chauffer.

Le feu crépite, et Suhua ressert sa chemise noire et rouge autour de son corps.

- Tu préfères les pastèques ou les pêches ? demandé-je en attrapant les paquets.

- Honnêtement… C’est dur, comme dilemme. J’ai découvert les pastèques en premier, et avant que je ne découvre les pêches, c’étaient mes préférés… Je ne peux pas trahir les pastèques, si ?

Je me retiens de rire. Suhua arbore une expression tellement sérieuse, comme si les bonbons allaient être vexés qu’elle choisisse les pêches.

- Les pastèques, répond-elle finalement en réclamant le paquet pour l’ouvrir.

Je la laisse manger la première avant de goûter le bonbon rouge et vert recouvert de sucre. C’est à la fois frais et sucré.

- C’est vrai que c’est bon… Hm, je pourrais manger le paquet à moi tout seul.

Suhua ouvre la bouche et penche la tête sur le côté, une expression consternée sur le visage, et pose une main sur son cœur.

- Alors que tu sais que ce sont mes préférés ?

Pour appuyer mes dires, j’attrape un bonbon et le mange lentement. Suhua se met à quatre pattes.

- Rends-moi ça.

Elle se penche en avant pour attraper le paquet. Je lève mon bras en l’air pour l’empêcher de l’atteindre et elle grogne.

- Felix !

Je ris. Suhua se met sur les genoux mais je me mets debout et on part en course poursuite pour des bonbons. Quand elle parvient à attraper le paquet, elle s’enfuit en courant et je la rattrape. Sans réfléchir, je pose mes mains sur sa taille et la soulève du sol, avant de lui arracher le paquet des mains. Quand je réalise ce que j’ai fait, je lâche Suhua et lui rends les pastèques.

- Tiens.

Je fais demi-tour pour cacher mes joues rouges et retourne m’asseoir près du feu. Suhua revient s’asseoir aussi et me lance un regard gêné. Comme si elle était mal à l’aise, et pas comme si mon geste l’avait dérangée parce que ça lui faisait de l’effet.

Conclusion : mes sentiments ne sont pas réciproques.

Assis en tailleur, mon coude droit posé sur ma cuisse droite, et les lèvres dissimulées par ma main droite, je regarde vers les crêtes. Suhua ne dit rien.

- Tu veux une pastèque ? dit-elle en secouant le sachet sous mon nez.

J’acquiesce et attrape un bonbon, la main tremblante.

J’ai plombé l’ambiance.

- Je te rassure, je ne sais pas jouer de guitare, dis-je de but en blanc.

- Wow, pourquoi tu me sors ça sans contexte ?

Suhua hausse un sourcil.

- Non, mais j’ai repensé à ce que tu disais sur les films américains. Le mec joue de la guitare, à chaque fois. Moi non.

- Oh, ok. Et en plus, t’as fait cuire des nouilles. T’étais pas en train de faire cuire des saucisses torse nu.

Je ris doucement.

Suhua finit par demander si on peut aller dormir, et j’accepte, fatigué aussi. On ouvre la tente et elle hausse un sourcil.

- Attends, mais c’est minuscule.

- C’est une tente pour deux, quoi. Y a la place de mettre deux futons.

- Ouais, génial, on va se rouler dessus pendant qu’on dort.

Je hausse un sourcil.

- Tu bouges tant que ça dans ton sommeil ?

- Tu n’imagines même pas.

Je me plie en deux pour rentrer dans la tente et décale mon futon au maximum du sien.

- Je ne peux pas faire mieux, désolé. Je te laisse te changer, appelle-moi quand t’as fini.

Suhua entre dans la tente et j’en sors. Elle ferme la fermeture Éclair et je m’avance près du feu pour l’éteindre et ramasser les emballages de bonbons.

- Feeeeeliiiiiix ! hurle-t-elle.

Je glisse nos affaires dans un sac et m’approche de la tente. J’ouvre la fermeture. Suhua porte un jogging large noir et assez fin, ainsi qu’une brassière de sport. Son t-shirt est plaqué contre sa poitrine et elle fixe le sol.

- Quoi ?

- Quoi, « quoi » ?! s’énerve-t-elle. Y a une putain de Gipsy par terre !

- De Gipsy ? C’est quoi ça, encore ?

Elle pointe du doigt le coin de la tente où une araignée assez velue s’est logée. L’arachnide avance et Suhua hurle de nouveau, lâchant son t-shirt au sol pour se réfugier dans le coin opposé à celui où se trouve l’araignée.

- Tue-la !!!

- Eh, oh, t’es pas la seule à avoir peur des araignées.

Suhua tourne la tête vers moi.

- Attends, t’as peur des araignées ?

- Ben oui, y a pas que les filles qui en ont peur, faut arrêter avec ça.

- Mais alors on fait quoi ?!

L’araignée monte sur mon oreiller, se rapprochant dangereusement de nos pieds. Suhua s’accroche à mon bras, tremblante.

- De toute façon faut soit la tuer, soit la mettre dehors, réponds-je.

Un frisson me parcourt alors que je regarde « Gipsy ». Pris d’une poussée d’adrénaline que je ne soupçonnais pas et qui ne risque pas d’arriver avant longtemps, j’attrape la basket de Suhua et claque l’araignée avec. Je soulève la chaussure et montre la semelle.

- Une crêpe de Gipsy. Spécialité du camping à Osaka.

Suhua frissonne et me pousse hors de la tente.

- N’importe quoi. Laisse-moi finir de me changer.

Je souris et obéis. Je m’approche d’un coin d’herbe pour retirer le cadavre de l’araignée avec un bout de bois.

Je rejoins la tente et demande à Suhua à travers le tissu si je peux rentrer. Elle accepte et j’ouvre la tente.

- C’est bon, tu es remise de tes émotions ?

- Te moque pas de moi alors que t’as eu peur aussi.

Je ris et viens m’asseoir sur mon futon.

- Si tu veux bien quitter la tente pour que je me change aussi.

- Ouais, ok.

Suhua se lève et quitte notre… « logement » pour le mois à venir, me laissant me changer.

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