Chapitre 18 - Suhua
3 mars – 7 heures 46
Osaka
Les rayons du soleil traversent le tissu de la tente et me réveillent. Je ne suis plus tout à fait dans le futon, et la couette a carrément été éjectée sur Felix. Le pauvre. Je me retiens de rire et la récupère doucement pour ne pas le réveiller. J’embrasse la tente du regard.
Quand on n’y pense, elle n’est pas si petite que ça, c’est juste que les trois valises de Felix prennent énormément de place.
J’attrape mon téléphone dans ma valise. Je n’ai aucune barre de réseau. Je sors discrètement de la tente, marchant pieds nus sur l’herbe humide par la rosée du matin. Il fait frais dehors, c’est incroyable. Je prends une photo du lever de soleil et retourne dans la tente. Je m’accroupis à côté de Felix. Je secoue son épaule pour le réveiller et il émerge lentement du sommeil.
Il frotte ses yeux avant de s’asseoir.
- Ça va ?
- Ouaip. Et toi ?
- Oui.
Felix passe une main dans ses cheveux pour tenter de les discipliner. Personnellement, je ne fais pas cet effort, je sais très bien que je vais juste créer pleins de nouveaux nœuds.
- Il va falloir aller se laver, continue Felix. Je te laisse le lac en première.
Il farfouille dans un petit sac qu’on a acheté hier en plus de la nourriture pour en sortir le savon et le shampooing qu’il me tend. Je le remercie et récupère dans ma valise des sous-vêtements et de quoi m’habiller, ainsi qu’une serviette, puis je file dehors.
D’abord hésitante, je finis par retirer mes vêtements pour me plonger dans l’eau glacée du lac. J’ai envie de mourir tellement elle est froide. Je rejoins le centre du lac, et comme l’avait dit Felix, l’eau n’est pas profonde, elle m’arrive aux épaules. Je m’approche du bord pour récupérer le shampooing et me laver les cheveux, puis je plonge ma tête dans l’eau pour les rincer. J’ai l’impression de mal le faire parce que je ne suis pas habituée à me rincer les cheveux dans un lac. Une fois que j’estime que c’est bon, je me savonne puis retourne au centre du lac. Je barbote un peu dans l’eau cristalline, habituée à sa température froide, puis je ressors, les cheveux trempés et plaqués en arrière.
Je m’enroule dans ma serviette, de nouveau frigorifiée, et me sèche rapidement pour enfiler au moins mes sous-vêtements. Je mets un jean et un pull avec un peu moins de précipitation. Je coiffe mes cheveux humides puis rejoins la tente.
Felix y est assis, les yeux rivés sur son portable.
- Tu fais quoi ?
- Je cherche à appeler un taxi. Si on y va à pied, on en aura pour dix heures de marche.
J’opine du chef et l’observe attentivement, en pyjama, décoiffé, la mine concentrée.
- Tu peux aller te laver.
- Ok. Ça va, d’ailleurs ? Le bain sauvage était bien ?
Je fourre mes vêtements dans ma valise et hausse les épaules.
- Hormis le fait que l’eau était gelée, que des petits poissons m’ont léché les pieds et que réussir à se rincer les cheveux relève de l’exploit… Oui, ça va.
Felix rit et se lève, ses affaires en main. Il disparaît pour se laver et j’en profite pour mettre de l’ordre dans la tente. Cette escapade dans la nature m’aura appris une chose : Felix est bordélique à mort.
Je plie soigneusement ses vêtements d’hier et les mets dans sa valise « hiver et début de printemps » et je pars à la recherche de ses bagues dans les différents coins de la tente. J’extrais une chaussette de sous ses draps et me retiens d’éclater de rire.
Juste pour le fun, je la garde de côté pour la lui montrer quand il reviendra.
Le voilà justement qui fait son apparition dans la tente, de nouveau apprêté comme s’il allait rencontrer le président. Je lui balance sa chaussette sur la tête et il hausse un sourcil.
- Je l’ai trouvée dans ton lit.
- Ouais, bah dormir avec des chaussettes, c’est désagréable.
Je ris.
- Tu sais ce qui est drôle ?
- Non, mais je sens que tu vas me le dire, répond-il en glissant sa chaussette dans sa valise.
- T’es un mec qui porte des broches Yves Saint-Laurent, qui trie ses valises par saison, qui soigne son image comme un ambassadeur de luxe… Et derrière tout ça, c’est le chaos. Des bagues éparpillées, des chaussettes sous les draps, des vêtements en bordel…
- Je t’ai déjà dit que j’étais plein de contradictions.
- Je l’aurais remarqué tôt ou tard.
Il m’indique que nous partons et tandis que nous descendons des sentiers de forêt pour rejoindre le bas de la montagne, Felix me demande si j’apprécie le camping.
- C’est sympa.
- Donc on va pouvoir passer un mois en tente ou je vais devoir trouver un hôtel en urgence ?
- Non, c’est bon.
- Cool.
Une fois en bas, nous grimpons dans le taxi et Felix lui demande de nous emmener à une rue près du château d’Osaka. Il m’informe qu’on pourra prendre le petit-déjeuner avant de visiter le château. J’ai le sentiment qu’il va encore me faire une visite guidée comme s’il avait appris par cœur la page Wikipédia du château d’Osaka, et même si je me moque un peu, j’avoue que j’aime cette part de lui.
- Tu penses beaucoup à manger, quand même. Tu serais pas de signe lunaire taureau ?
Felix lève ses yeux vers moi.
- Qu’eeeeest-ce que tu me racontes encore ? demande-t-il en faisant traîner sa voix.
- Ben, y a le signe astro solaire. Pour toi, lion, pour moi, scorpion. L’ascendant : pour toi, balance, pour moi, bélier. Et le signe lunaire. Moi, je suis poisson. Et toi, je parierais que c’est taureau.
- Je ne comprends rien à ce que tu me racontes. Karina est pareille que toi, elle passe son temps à mettre mon comportement sur le dos de mon signe.
- C’est assez exact.
Il souffle bruyamment et attrape son portable pour chercher « comment trouver son signe lunaire ». Felix clique sur le premier site, décidé à me prouver que j’ai tort et qu’il n’est pas de signe lunaire taureau.
- Si tu n’en sais rien, pourquoi tu es persuadé que j’ai tort ?
- Je suis persuadé qu’on ne peut pas décrire une personnalité juste avec un signe.
Il tape sa date de naissance, sa ville natale et d’autres informations. Les résultats chargent et je ne sais pas pourquoi, ça me stresse. C’est stupide, mais je veux avoir raison.
L’air dépité de Felix me fait sourire. Il me montre son téléphone, dont la page a été traduite en français, avec écrit « SIGNE LUNAIRE TAUREAU » et j’éclate de rire.
Après environ une heure de route où j’expliquais à Felix sa personnalité de lion ascendant balance signe lunaire taureau – et où il n’a pas compris la moitié – le taxi se gare devant un café. Felix paye le chauffeur puis nous entrons dans la boutique.
Nous prenons un petit-déjeuner et Felix m’indique qu’il part aux toilettes.

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