Chapitre 19 - Felix
3 mars – 9 heures 54
Osaka
C’est peut-être stupide, mais je m’enferme dans une des cabines des toilettes et tape sur Google pour chercher la compatibilité de Suhua et moi en se basant sur nos signes solaires, lunaires et nos ascendants.
Je ne crois pas à ces trucs-là, mais mon amie est à fond là-dedans et je veux savoir ce que le site d’astrologie en pense.
Le scorpion ascendant bélier de signe lunaire poisson est intense, direct, émotif et parfois même explosif. Il ressent avant de comprendre, agit avant de réfléchir et aime profondément mais avec prudence.
De son côté, le lion ascendant balance de signe lunaire taureau est charismatique, élégant, stable, parfois trop dans le contrôle. Il veut briller dans l’harmonie. Il aime le confort, les relations équilibrées et les rituels.
Ce qui les rend compatibles :
Feu + eau : le lion et le scorpion sont tous les deux passionnés, fiers, et loyaux. Ils se respectent autant qu’ils se reconnaissent.
Ascendants complémentaires : bélier pousse, balance temporise. Bélier bouscule, balance adoucit.
Lunes compatibles : poisson et taureau sont deux signes sensibles, qui aiment les plaisirs simples et les moments tendres. Ils peuvent créer un cocon émotionnel très fort.
Ce qui peut créer des frictions :
Le scorpion veut des réponses émotionnelles exactes. Le lion prend son temps et reste dans le contrôle.
Le scorpion agit sur l’instinct, le lion sur l’élégance. Le scorpion peut trouver son partenaire trop lisse, et le lion peut le trouver trop brute.
Mais justement, c’est là que ça fonctionne : ils s’équilibrent.
C’est fou comme on croit à quelque chose qu’on trouvait stupide il y a deux minutes quand ça nous arrange.
Je sors des toilettes et rejoins Suhua. Elle boit son thé en fixant la pluie qui s’est mise à tomber. Elle me sourit quand elle m’aperçoit et je lui rends. Je sais qu’elle me voit comme un ami, mais au fond de moi, j’espère quand même que ça pourra changer.
- On va au château ? demande-t-elle.
- Tu as fini ?
- Oui.
Suhua se lève et me suit en dehors du café, puis dans la rue qui nous mène au château d’Osaka. Elle l’observe attentivement, sous le ciel pluvieux de la ville japonaise. Je paye des billets d’entrée et une fois que nous sommes dans les jardins, elle se tourne vers moi.
- Alors, tu ne me fais pas d’explications ?
- Tu y tiens vraiment ?
Suhua hausse les épaules.
- De base ça m’intéresse pas, mais quand c’est toi, c’est amusant.
Elle sourit et je fais de même avant de me lancer dans des explications alors que nous évoluons dans les jardins.
- En 1583, Toyotomi Hideyoshi commence la construction du château sur le site du temple Hongan-ji d’Ishiyama, construit en 1496 par un moine de haut rang de la secte Jōdo Shinshū et détruit en 1580 par les troupes d’Oda Nobunaga. La construction se termine en 1597, après donc dix ans. Il se trouve au cœur d’un parc de six hectares dans l’arrondissement de Chūō-ku. Il est construit sur deux plateformes imbriquées, soutenues par des murs en pierre, chacune donnant sur un fossé. Le tenshu – le donjon – comporte cinq niveaux extérieurs et huit étages. D’ailleurs, pendant la seconde guerre mondiale, le public n’avait plus accès au château, qui servait à la garnison militaire et à l’arsenal.
Suhua observe autour de nous, attentive à ce que je dis.
Je pose mon regard sur le château, dont les murs blancs, rehaussés de détails dorés, contrastent avec le ciel gris. Le toit courbé, aux tuiles vertes foncées, ruisselle d’eau.
Autour du château, les douves profondes se remplissent lentement, leur surface troublée par les cercles concentriques des gouttes. Le jardin Nishinomaru est aujourd’hui désert. Les cerisiers, encore nus en ce début mars, frémissent sous le vent humide. Les sentiers de graviers sont sombres, détrempés, et les rares passants avancent sous des parapluies.
- C’est juste trop joli, souffle Suhua.
Elle sort son portable pour prendre des photos. Mon amie se tend d’un coup. Je lui demande ce qui ne va pas, mais elle ne répond pas, les yeux rivés sur son portable.
- C’est ma mère, finit-elle par dire. J’avais bloqué son numéro, mais elle en a pris un autre pour me contacter. Elle n’arrête pas de me demander de rentrer.
Je pose ma main sur son épaule.
- Et ? Tu as envie de rentrer ?
Suhua secoue vivement la tête.
- Pas du tout. Je suis bien, au Japon.
Ça me fait mal qu’elle n’ait pas dit « avec toi », mais qu’est-ce que j’espérais ? Elle n’est pas amoureuse de moi.
- Suhua, tu es une adulte, tu fais ce que tu veux de ta vie.
- Je… je sais, sauf que… Merde, j’ai honte de l’avouer, mais je vis encore chez ma mère. Notre appartement se trouve au-dessus de son restaurant et vu que j’y étais employée… Si je ne lui obéis pas, elle risque de me mettre dehors quand je rentrerai en France.
- Eh bien, tu repartiras au Japon pour venir chez moi.
Un peu osée comme phrase, Felix.
Suhua n’a pas le temps de répondre, son téléphone émet un bruit de goutte d’eau, indiquant qu’elle a reçu un message.
- Elle veut savoir si je suis à Taïwan avec mon père. Je ne sais pas c’est quoi le mieux : lui dire ça, ou lui avouer que je suis avec un homme que j’ai rencontré dans une gare en train de faire le tour du Japon.
Elle tape un message puis met son téléphone en silencieux.
- Je veux profiter de la visite. On verra après.
Je lui souris et change de sujet, conscient qu’elle n’a pas envie de parler de ça. La vérité, c’est que j’aimerais savoir ce qu’elle faisait dans cette gare, à Kyoto, le premier janvier, à sept heures trente-huit, sans affaires.
Je veux savoir pourquoi elle a fui la France et son petit village breton.
Je veux savoir pourquoi sa mère l’a virée de son restaurant.
Mais Suhua n’est pas prête à s’ouvrir. Elle me fait peut-être confiance, mais pas à ce point-là.

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