17 mars – 12 heures 23

Osaka

Ça fait quatorze jours que ma mère me spamme de messages pour que je rentre. Je n’ai même pas tenté de bloquer son numéro. Je visite Osaka, le printemps approche, Felix m’embête… Je profite de ma vie, sans réfléchir.

Felix et moi sommes en route pour l’aquarium Kaiyukan. Il m’avoue apprécier les aquariums mais détester les zoos.

- Je trouve qu’un aquarium, c’est apaisant, tu vois. Il fait sombre, il y a de l’eau autour de toi, des poissons qui nagent paisiblement… Alors qu’un zoo… Ça pue, on est dehors, les animaux sont bruyants.

Je souris et pousse les portes de l’aquarium. Felix achète deux billets à la billetterie puis nous commençons notre visite. Il continue de m’expliquer en quoi l’aquarium est mieux tandis que j’observe les poissons nager dans leurs bassins.

Nous descendons des escaliers en métal et passons dans un couloir qui est en réalité un tunnel. Les poissons sont partout autour de nous : sur les côtés et au-dessus de nos têtes. Une raie manta passe au-dessus de nous et Felix la fixe, des étoiles dans les yeux.

Je souris et le prends discrètement en photo pour changer de fond d’écran et remplacer celle prise à Asakusa.

Nous arrivons face à une grande vitre où des requins baleines nagent. Je les observe bouger gracilement dans l’eau. Une petite fille se glisse entre mes jambes en courant et plaque ses mains sur la vitre, fascinée.

- Ooooh, c’est trop bien… souffle mon ami.

Je tourne la tête vers Felix qui fixe les méduses et éclate de rire. Il me lance un regard.

- Arrête de te moquer de moi. J’aime bien les méduses.

- Je ne me moque pas ! assuré-je. C’est juste… trop chou. On dirait un enfant.

Felix marmonne quelque chose, les joues rosées, et glisse ses mains dans son pantalon noir estampillé du logo Chanel sur la poche droite.

Nous passons devant des poissons qui grignotent.

- Oh, ça me donne faim.

- Signe lunaire taureau, je te l’avais dit.

Il ne répond pas mais me fait un croche-pied. Je trébuche et m’accroche à ce que je trouve, c’est-à-dire ses bras, tandis que ses mains se posent sur ma taille. Il me soutient et m’aide à me relever. Je le fusille du regard et il retire aussitôt ses mains.

- Je suis désolé, mais j’ai voulu te rattraper et…

- Ce n’est pas pour ça que je te regardais mal, Felix. J’ai mal à la cheville.

Felix se mord la lèvre et se confond en excuses. Il me désigne un banc pour nous asseoir et retire ma basket pour observer ma cheville.

- Elle est fragile, en plus. Je me la suis cassée quand j’étais jeune.

Je baisse un peu ma chaussette blanche pour lui montrer ma cicatrice.

- Comment ?

- Je faisais de la corde à sauter dans la cour de l’école. Un ballon est arrivé sous mes pieds au moment où j’atterrissais, et voilà.

- Oh… Je… je suis désolé de t’avoir fait un croche-pied. Ce n’était pas méchant, je ne cherchais pas à te faire mal.

- Je me doute. Mais… Je voulais te le dire.

Felix me remet ma chaussure et m’aide à me relever. Nous continuons notre visite de l’aquarium Kaiyukan. Il est immense, et Felix tente de m’apprendre à lire des mots japonais sur les pancartes de présentation.

On me tapote l’épaule et je me retourne, intriguée. Un homme se tient devant moi. Dès que Felix entend une voix masculine dire « excusez-moi », il se retourne.

- Vous êtes… Cherry Su ? demande-t-il en français.

Cherry Su est le pseudo que j’utilise sur Instagram pour ne pas mettre mon vrai nom. J’utilise souvent l’emoji cerise, et c’est un de mes fruits préférés.

- Euh… oui.

- Oh, c’est vrai ? Je suis abonné à votre compte Instagram.

Mais, mec, t’as l’air d’avoir quarante-sept ans.

- C’est votre petit ami ? Il n’apparaît sur aucune photo, je ne savais pas que vous en aviez un.

- Ah, non. C’est juste un ami.

L’homme hoche la tête.

- Cherry Su, je suis français, comme vous, n’est-ce pas ?

J’acquiesce, perplexe.

- Est-ce que ce serait possible d’avoir votre numéro ?

- Non, désolée.

- Mais vous êtes célibataire, pourtant.

L’homme tend son téléphone. Felix attrape son poignet et le repousse sans violence mais sèchement, un brin de jalousie dans le regard.

- Elle vous a dit non.

- D’accord, excusez-moi.

L’homme s’en va et je me retourne vers Felix. Il recentre son attention sur moi et sourit.

- Merci.

- De rien. On reprend ?

J’obtempère et nous recommençons à marcher pour observer les poissons. Tandis que Felix fixe les animaux marins, je l’observe à la dérobée. Tout à l’heure, il m’a défendue comme si j’étais à lui. J’aurais été capable de refuser seule, quitte à m’énerver, mais Felix a immédiatement repoussé le fan, comme s’il refusait qu’on m’approche.

Ou alors, je me fais juste des idées.

Peut-être qu’en tant qu’homme, il a reconnu son comportement et l’a trouvé étrange et m’a juste protégée en tant qu’ami.

Reprends-toi, Suhua. Felix n’est pas amoureux de toi.

J’ai juste lu trop de romans. De toute façon, je ne vois pas ce que ça peut me faire qu’il m’aime ou pas : moi, je suis son amie. Son amour – s’il existe bel et bien – n’est pas réciproque.

J’ai fait ce voyage pour me libérer de ma mère et de son resto pourri à Rochefort-en-Terre. Pas pour tomber amoureuse. Ça n’a jamais fait parti de mes objectifs de vie. Et de toute façon, Felix ne m’attire pas.

Ok, il est beau, sympa, drôle, généreux, cultivé, intelligent, loyal, respectueux, attentionné, et…

Merde, tu lui trouves beaucoup de qualités pour quelqu’un qui est indifférente.

Oui, parce que c’est mon ami, et que je l’apprécie sincèrement. Un amour n’est pas envisageable. Pas maintenant. Peut-être plus tard, quand je retournerai en France, que je mènerai une vie paisible où je ferai ce que je veux.

Pour le moment, je préfère rester célibataire.