Chapitre 26 - Felix

5 minutes de lecture

2 avril – 12 heures 59

Oshino Hakkai

Je me rassois alors que Suhua disparaît. Pour être sûre que mon amie n’entende pas, Karina me lance en japonais :

- Alors ?

- Alors quoi ?

Je croise les bras et regarde ma sœur avec énervement. Karina donne un coup de menton vers la porte par où est sortie Suhua.

- Tu l’aimes, n’est-ce pas ?

- De quoi ?

Karina lève les yeux au ciel et souffle.

- Oh, s’il te plait, Felix. Ne fais pas ton innocent. T’es amoureux de cette fille.

- Oui, peut-être, ok. Et alors ? Qu’est-ce que ça change ?

Elle sourit malicieusement et pose son menton sur sa main en me regardant.

- Mon petit frère est amoureux pour la première fois… C’est mignon. Sinon… Sérieusement, ce n’est pas une très bonne idée. Déjà, ça se voit que ton amour n’est pas réciproque.

- Wow, oneechan, merci, réponds-je ironiquement.

- Laisse-moi finir. Cette fille va repartir de là où elle vient. Elle a une vie, en France. Ok, elle l’a mise en pause, mais elle existe. Et, désolée de briser tes petits espoirs, mais y a que dans les films que la fille plaque toute sa vie pour son mec.

Karina marque une pause.

- Je vais rester avec vous à partir de maintenant.

- Quoi ?! Non !

- Qu’est-ce que ça peut te faire ? Ça évitera que la moitié des gens que vous croisez pensent que vous êtes en couple.

- Ok. À une condition : quand je te le demande, tu me laisses seul avec elle.

- Oh… Tu veux draguer, otōto* ?

Même si c’est faux, je rougis.

- Non. Mais je veux...être seul avec elle parfois.

- Je te promets que quand tu te déclareras, je vous laisserai de l’intimité.

- Rah, mais qui t’as dit que j’allais lui dire ?

Karina ouvre la bouche, choquée.

- Quoi ? Tu comptais la laisser retourner à sa petite vie bretonne sans lui révéler que le grand, riche et fier Felix Nagashi est amoureux d’elle ? Tu me déçois tellement. Je dois revoir toute ton éducation.

Je souffle.

- Karina, non, je vais pas lui balancer que je l’aime.

- Et si c’est réciproque ?

Je hausse un sourcil.

- Tu m’as dit toi-même que ça ne l’était pas.

Ma sœur hausse les épaules.

- Ça peut changer. Ne te contente pas d’être son ami alors que ce que tu ressens est bien plus fort. Maintenant que c’est dit, je vais m’installer dans ma chambre.

- Suhua y est.

- Eh bien, elle dormira avec toi.

- Oneechan, partage ta chambre avec elle, je t’en supplie.

- Non, non. Il faut bien que je te donne un coup de pouce. Sinon, ça ne va jamais arriver.

À ces mots, Karina se dirige vers sa chambre et explique en français à Suhua qu’elle va rester avec nous et que, si ça ne la dérange pas, elle va « reprendre possession » de sa chambre.

- Mais tu peux dormir dans celle de Felix. Il a la plus grande.

- D’accord…

Suhua s’incline et ressort de la chambre de ma sœur avec sa valise. Gêné, je lui montre ma chambre. Elle déplie à quelques centimètres du mien le futon qu’elle a utilisé pour le camping à Osaka.

Je me répète en boucle que c’est comme quand on a dormi dans la tente. Sauf que là, ce n’est pas pareil. C’est ma chambre. C’est beaucoup plus intime qu’une tente achetée dans un magasin de sport.

- Si ça te gêne trop, je peux dormir dans le canapé.

Suhua tourne la tête vers moi.

- Ah, mais ça ne me dérange pas.

Ben ouais, Felix, t’es le seul gêné, là.

- L’avantage de ma chambre, c’est qu’il n’y a pas de Gipsy cachée sous les draps.

- Non, mais des chaussettes sous ta couverture, il doit y en avoir, répond Suhua.

Je souris tandis qu’elle s’approche de mon futon pour en sortir une chaussette et… un sous-vêtement. La première chose que je me dis, c’est « merde ». La deuxième, c’est « qu’est-ce que ça fout là ». J’ai envie de disparaître dans le sol.

Suhua le tient par le bout des doigts, au bord du fou rire.

- Rassure-moi, il est propre.

- Je peux pas te le garantir…

Elle ne se retient plus et éclate de rire. Je fais de même avant de reprendre mes affaires et de les mettre dans un panier à linges sales. Je ne sais même pas pourquoi je ne suis pas gêné. Après tout, c’est une situation assez étrange.

- T’es loin du mec raffiné que je croyais que t’étais, rit-elle.

- Non, mais on peut être chic en étant bordélique.

- Non, sérieusement Felix… Pourquoi y avait ce truc dans ton lit ?

- Mais j’en sais rien !

Karina apparaît.

- Y avait quoi, dans le lit de mon frère ?

- Rien, réponds-je.

- Un caleçon.

Suhua se plie de rire en se tenant le ventre. Karina me fait les gros yeux mais finit par rire aussi.

- Mon petit frère a toujours foutu le bordel partout. Quand il avait quatorze ans, il s’était changé alors que la fenêtre de sa chambre était ouverte. Moi, je lisais sur un transat dans la cour et son t-shirt a atterri sur ma tête.

- Mais attends, Karina, tu sais que dans la tente j’ai trouvé ses bagues éparpillées comme si y avait eu une tornade ?

- Je pose mes trucs au hasard, c’est bon.

- Ce qui me choque, c’est qu’il a jamais rien perdu, reprend Karina.

Les filles rient comme des folles encore quelques minutes, puis Karina dit qu’elle part à l’épicerie chercher de quoi manger.

Suhua et moi rejoignons la salle à manger. Nous nous asseyons par terre. Je sais très bien que ma sœur a fait exprès de nous laisser seuls, et je sens qu’elle va passer son temps à essayer de m’arranger des coups comme ça.

- Elle est sympa, ta sœur.

- Ah ? Eh bah, merci pour elle.

- Felix.

- Quoi ?

- Ça ne te dérange pas qu’elle se rajoute avec nous ?

J’ignore mon cœur qui manque de transpercer ma poitrine et hausse un sourcil.

- Ça te dérange, toi ?

Suhua détourne le regard et ramène ses jambes contre sa poitrine, avant de les entourer de ses bras et de poser son menton entre ses genoux.

- Non, pas trop. J’aime bien Karina. Mais j’aimais bien être toute seule avec toi, aussi. C’était drôle, tu vois. J’ai peur qu’on mette ta sœur de côté en faisant nos trucs habituels, ou que comme c’est ta sœur, je sois de côté.

Je dois user de toute ma volonté pour ne pas la prendre dans mes bras.

- Suhua… Je ne te laisserai pas de côté, promis.

*“Petit frère” en japonais

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