Chapitre 35 - Felix

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11 mai – 8 heures 36

Fukuoka

- Tu l’as repoussée ?! Tu l’aimes, elle t’aime, et toi tu fais le mec distant ?!

Karina entre en furie dans ma chambre. La vérité, c’est qu’hier soir, j’avais moi aussi envie de Suhua. Mais elle était ivre. Je m’en serais voulu toute ma vie si on avait couché ensemble pour la première fois alors qu’elle était bourrée. Rien ne me prouve qu’elle m’aime, en plus.

- Oh, Karina, tu crois que j’avais pas envie d’elle, moi ?! Excuse-moi d’avoir refusé de coucher avec elle alors qu’elle était ivre ! Tu croyais vraiment que j’étais irrespectueux ?! Tu voulais que je profite d’elle ?!

- T’aurais au moins pu lui dire que tu l’aimais.

- Merde, Karina. Ça te regarde pas.

- Réfléchis, idiot ! Suhua a peur de se faire abandonner, et toi tu la repousses alors que tu l’as embrassée dix jours plus tôt !

Je hausse un sourcil.

- Qui t’a dit qu’elle avait peur de se faire abandonner ?

- Ça se voit, imbécile.

C’est vrai. Je confirme juste la théorie de sa mère comme quoi les mecs finissent tous par se barrer.

- Elle est dans ta chambre ?

- Oui.

Je me mets debout.

- Fais pas de conneries, Felix. Et c’est plus le moment de lui dire tes sentiments. Va falloir que t’attendes encore, à cause de tes erreurs.

Je lève les yeux au ciel et sors de ma chambre pour rejoindre celle de Karina. Suhua est assise sur le seul lit, son téléphone en main. Je m’approche d’elle d’un pas décidé, puis je m’assois à ses côtés.

- Je suis désolé. Pour hier. Ne crois pas que je t’abandonne ou quoique ce soit, ok ?

- Qu’est-ce que ça peut me faire ? On n’est même pas ensemble.

Je l’attrape par la taille et l’attire dans mes bras.

Ne lui dis pas, ne lui dis pas, ne lui dis pas.

Je me le répète plusieurs fois. J’hésite à déposer un baiser sur son front, mais je réalise qu’on s’est déjà embrassés plusieurs fois, alors je presse mes lèvres sur le sommet de sa tête.

* * *

Nous arrivons à Ōhori-kōen. Comme me l’a conseillé Karina, je n’ai pas dit à Suhua que je l’aimais. Si elle ne l’a pas compris, c’est quand même étrange.

Nous nous promenons autour du lac, observant les portails traditionnels. Il y a des petites embarcations sur le lac, et j’espère pouvoir faire une balade tout à l’heure. Nous traversons le pont en bois pour rejoindre le pavillon en plein milieu du lac. Suhua prend quelques photos des jardins, de l’étang, et de la ville en fond.

Elle porte un short blanc avec un chemisier bleu pastel, et elle a des sandales plates. Ses cheveux cascadent dans son dos, brillants.

- Felix !!!

- Oui ?

- On fait un tour en barque ?

Je lui souris et nous payons un tour en barque de trente minutes. Karina grommelle qu’on la laisse de côté, mais me glisse d’essayer de me réconcilier avec Suhua.

- T’as le look parfait pour une balade romantique comme dans les films, mais tu sais ce qui manque ?

Suhua tourne la tête vers moi, amusée.

- Non ?

- Le mec qui sait ramer droit. Parce que là, si je te fais tomber, c’est pas de l’amour, c’est un naufrage.

- J’aime beaucoup Titanic.

Je souris. Nous ramons près d’une barque avec deux personnes âgées.

- Tu te souviens de la fois où t’as confondu le dentifrice avec la crème pour les hémorroïdes à la pharmacie ? lui dit l’homme moustachu.

Ils parlent en anglais, alors Suhua et moi comprenons. Enfin, moi oui. Mais vu la tête de Suhua, elle est incapable de prononcer une phrase en anglais mais elle le comprend très bien.

La femme éclate de rire, trop fort pour le calme du lac.

- C’est quoi, ça ? me souffle Suhua.

- J’en sais rien, mais si à un moment, on a besoin de dentifrice, je compte sur toi pour surveiller ce que je prends, lancé-je sarcastiquement.

Suhua rit. Elle observe ensuite les poissons intensément.

- Tu penses que les poissons ont conscience de l’espace ? Genre, qu’ils ont conscience d’être dans un lac et pas l’océan ?

Je fronce les sourcils, incrédule.

- Attends, t’es en train de me demander si un poisson peut faire la différence entre Fukuoka et Hawaï ?

- Bah ouais. Imagine, ils se disent peut-être « ma vie est trop nulle, j’aurais pu être un poisson tropical ».

J’éclate de rire.

- T’es sérieuse ? Tu veux qu’on fasse une thérapie aux poissons ?

- Je sais pas, ça me rend triste. Peut-être qu’ils rêvent de coraux, d’hippocampes et qu’ils sont coincés avec les carpes moches.

Je la fixe, mi-amusé mi-fasciné. Cette femme est incroyable.

- Tu as une imagination insensée, Suhua.

- Je me pose des questions, c’est tout.

Nous finissons notre tour de barque. Karina a disparu. Je lui envoie un message, et en attendant qu’elle me réponde, Suhua et moi allons nous installer sur une terrasse. Je la laisse commander deux sodas, fier de ses progrès en japonais.

- L’alcool, j’en boirai plus avant longtemps, crois-moi.

Je souris, croisant les jambes.

- Normal. Au fait, t’as des nouvelles de ta mère ?

Suhua secoue la tête.

- Pas depuis que Suhui m’a dit qu’elle partait pour Taipei, c’est-à-dire en avril.

- D’accord.

Nos boissons arrivent, et nous discutons en les buvant. Suhua commande ensuite un bubble tea pastèque et litchi, qu’elle prend en photo en voyant sa couleur orange-rouge.

Elle se fige soudainement et je lui demande si ça va. Les joues rouges, elle mord sa lèvre.

- Felix.

- Quoi ?

Suhua se met debout et souffle :

- C’est trop bizarre, mais est-ce que j’ai un truc ?

Elle me tourne le dos. Je hausse un sourcil, tout en me penchant pour attraper mon verre.

- Comment ça ?

- Sur… bref.

Ah. Je vois.

Mon regard glisse sur son short. Il y a une petite tâche entre ses deux jambes, et je lui indique.

- Putain de merde… grince-t-elle.

Suhua se rue à l’intérieur du café et je la suis, délaissant notre table. Je la retrouve dans les toilettes, appuyée contre le lavabo, scrollant sur son portable.

- Eh… Suhua.

- Quoi ? Je… C’est trop gênant.

Elle détourne le regard. Je soupire.

- Il n’y a rien de gênant, Suhua. C’est normal… Je suis désolé de ne pas y avoir pensé plus tôt. Mais… Comment tu as fait, ces quatre derniers mois ?

- En janvier, quand tu m’as passé ton ordinateur pour que j’achète des vêtements. J’ai fait le plein pour quelques mois. J’ai pas osé te demander directement.

Ses joues sont rouges. Je m’approche d’elle et la serre dans mes bras.

- Je… On va trouver une pharmacie ou un magasin pour t’acheter ce qu’il faut. En attendant…

Je retire la veste que je portais par-dessus ma chemise et l’attache autour de ses hanches pour dissimuler son short.

- Encore désolé de ne pas y avoir pensé avant, Suhua.

On sort des toilettes et quittons le café après avoir payé.

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