11 mai – 14 heures 38

Fukuoka

Felix et moi rejoignons une épicerie à côté du café. J’ai envie de mourir de honte. Pourtant, Felix ne semble pas gêné du tout. Il ne trouve pas ça étrange, ou dégoûtant.

On s’arrête devant le rayon hygiène féminine et il croise les bras.

- Euh… Là, je peux pas t’aider, dit-il doucement. Oh, j’y pense, elles sont douloureuses ? Si oui, je peux aussi t’acheter une petite bouillotte. Ou du thé ? Karina disait qu’elle apaisait la douleur avec une infusion cannelle et menthe poivrée. Dis-moi de quoi tu as besoin.

Je souris. Il est tellement mignon, je n’arrive même pas à lui en vouloir pour hier soir. Il ne m’aime pas, il n’a pas envie de moi. Karina s’est trompé. C’est ok. Tant pis. Ça me passera.

Je prends ce qu’il me faut et nous passons aussi m’acheter un nouveau short – noir cette fois. On cherche ensuite des toilettes publiques. Lorsqu’on en trouve, je m’enferme dans la cabine, Felix m’attendant devant.

Je change mon short et mets une protection, puis je me lave les mains. Je fixe mon reflet dans le miroir. De quoi est-ce que j’ai l’air ? Je me ridiculise depuis hier.

Je débarque dans sa chambre à vingt-trois heures en essayant de coucher avec lui, je me fais passer pour une alcoolo dévergondée.

Je raconte n’importe quoi sur des poissons, je me fais passer pour une tarée.

J’ai mes règles et je tâche mon short.

J’ai vraiment l’air conne. Comment Karina a-t-elle pu pensé une seule seconde que Felix m’aimait ? Pire, comment j’ai pu la croire ?

Je me mets à pleurer. Je me suis encore attachée à quelqu’un et je déteste ça. Et puis, je déteste Felix de m’avoir embrassée, de me serrer dans ses bras. Ça me donne des faux espoirs. Il croit qu’il peut jouer comme ça ? Il ne comprend pas que je suis amoureuse de lui ?

Des coups retentissent sur la porte.

- Suhua, ça va ?

Je sèche mes larmes d’un geste rageur.

- Oui.

Je dissimule mon visage avec mes cheveux et sors en flèche des toilettes. Felix me suit.

- Attends, Suhua !

Je ne l’écoute pas. Je dois l’oublier avant d’être encore plus blessée. J’aurais dû retourner en France quand je l’ai dit.

Felix attrape mon poignet, me forçant à me tourner vers lui.

- Suhua Liu. Attends. Qu’est-ce qui t’arrive ?

- Je veux rentrer…

- À l’hôtel ?

Je secoue la tête.

- En France. À Rochefort-en-Terre.

Felix bouge sa main de façon à saisir mes doigts.

- Pourquoi ?

Si je lui dis maintenant, je vais me remettre à pleurer. J’ai peur de ce qu’il pourrait me dire. De ce qu’il pourrait penser de moi.

Je suis stupide. Stupide d’avoir suivi Felix pour un road-trip au Japon alors que je l’ai rencontré dans une gare. Stupide de me comporter comme s’il m’aimait. Stupide d’être tombée amoureuse de ce mec que j’ai rencontré il y a quatre mois.

Une pluie battante se met à tomber. Elle détrempe mon chemisier bleu, elle plaque mes cheveux sur mon visage, elle se mêle à mes larmes.

- Je veux rentrer…. sangloté-je.

Felix avance encore d’un pas. Je retire ma main de la sienne et pars en courant. Je ne sais pas où. Juste loin de lui. Loin de cet homme qui m’a fait tomber amoureuse sans le savoir.

J’attrape mon portable pour chercher l’aéroport le plus près. Je dois rentrer. J’active mes données mobiles et reçois un message de Felix.

Suhua, reviens, s’il te plait. J’ai quelque chose à te dire. C’est important.

J’éteins mon portable. Je ne veux pas savoir. J’entre dans l’aéroport et cherche un vol en direction de la France – n’importe où, tant que c’est ce pays – sans ticket. Les gens autour de moi me regardent bizarrement ou m’ignorent.

Je vois les queues immenses, j’entends les voix qui annoncent les départs d’avions, les arrivées.

Je suis replongée dans le passé. Il y a quatre mois. Je m’effondre contre un mur, laissant mon portable tomber à côté de moi et l’écran se briser.