Chapitre 37 - Suhua
Avant
Rochefort-en-Terre
Il est vingt-deux heures, nous sommes le trente décembre. Je balaye les cuisines en attendant que les derniers clients du restaurant sortent, pour pouvoir faire la fermeture. Ils se lèvent, payent puis partent. Je ferme le restaurant et nettoie leur table. C’est bientôt le Nouvel An, et nous aurons sûrement plein de commandes demain.
Une fois que j’ai fini, je monte dans l’appartement et me brosse les dents, détache mes cheveux et enfile un pyjama. J’attends le retour de ma mère dans le canapé.
Elle était partie chez notre fournisseur de poissons et m’a laissé gérer les cuisiniers et la fermeture du restaurant. Une première.
Maman rentre à vingt-deux heures trente, l’air énervé. Je lui prépare un thé pendant qu’elle retire ses escarpins et se met à l’aise.
- La fermeture s’est bien passée, dis-je en déposant la tasse devant Maman.
- Suhua.
- Oui ?
Elle tourne la tête vers moi, les sourcils froncés.
- Tu as auditionné pour faire partie d’un film.
Mon cœur s’arrête. Elle sait. Il y a trois jours, je suis allée à des auditions pour être l’actrice principale d’une romance de Noël qui se passe en Chine, film qui doit sortir l’an prochain. J’ai toujours voulu être actrice, et elle le sait.
- Je sais que tu détestes cette idée, mais…
- Suhua ! Tu as trahi ma confiance ! Tu m’as dit que tu allais retrouver Jade. Tu veux n’en faire qu’à ta tête et être actrice ? Très bien.
- Maman, j’ai vingt-deux ans ! Je fais bien ce que je veux, non ?
- Je ne veux pas que tu sois actrice, c’est tout.
Mais pourquoi ? C’est le métier de mes rêves.
- Mais visiblement, tu as décidé de faire ta petite vie sans penser une seule seconde à moi, ta mère. Je t’ai élevée seule, parce que ton foutu père s’est barré quand tu avais huit ans. Et Suhui s’est cassé avec sa copine. Tu es une sale égoïste, Suhua. Vis ta vie si ça te chante. Tu es virée du resto.
- Quoi ?
- Je te vire de ce putain de resto ! C’est fini, Suhua. C’est bon, tu as eu ce que tu voulais ?
Je fronce les sourcils. Énervée, je monte dans ma chambre. J’enfile un jean délavé, un pull couleur crème. Je mets mes baskets.
- Où vas-tu ?
- Vivre ma vie, sifflé-je en claquant la porte.
Je cours dans les rues sombres de Rochefort-en-Terre. Les lampadaires sont éteints, je vois à peine dehors. Je rejoins les routes qui entourent la ville et appelle un taxi.
Une fois qu’il est là, je monte dans sa voiture et lui indique l’aéroport de Rennes.
- C’est à une heure d’ici, répond-il.
Je regarde l’heure. Il est vingt-deux heures quarante-trois. J’écoute la radio et les musiques qui y passent, puis j’attrape mon portable. Je cherche un billet d’avion en direction d’un pays aléatoire.
Il y en a un en direction d’Osaka, qui part à vingt-trois heures quarante-sept. Je le réserve et paye avec le code de ma carte bleue.
Lorsque le taxi me dépose devant l’aéroport de Rennes, je le paye puis cours pour rejoindre le quai de l’avion. Les gens autour de moi me regardent étrangement face à l’absence de bagages avec moi. J’ai envie de pleurer, mais je retiens mes larmes. Je montre mon billet sur mon portable puis grimpe dans l’avion. Il y a vingt-deux heures de vol jusqu’à Osaka, j’arriverais à quatre heures trente, le premier janvier, heure japonaise. Soit vingt-et-une heure quarante-sept le trente-et-un décembre, heure française.
L’avion décolle. Je regarde à travers le hublot la nuit et les étoiles. Je m’endors.
Quand je me réveille, j’ai la gorge sèche et un goût amer en bouche. Je regarde l’heure sur la petite télé face à moi et constate qu’il ne reste que trois heures de vol. Je lance un film et accepte le verre d’eau que me tend l’hôtesse de l’air.
* * *
Je réalise ce que j’ai fait quand j’arrive à l’aéroport d’Osaka à quatre heures trente du matin. Pourtant, je ne me dégonfle pas et me rends à la gare de la ville. Je ne veux pas rester dans le Kansai. J’ai besoin de me détendre, autant aller dans une ville paisible, comme Kyoto. Il y a un train en direction de cette ville à quatre heures quarante-sept.
Je paye un ticket rapidement et me rue dans le train. L’arrivée à Kyoto est prévue à sept heures vingt-huit. Honnêtement, je me demande ce que je ferai, là-bas. Ce que je vais découvrir.

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